Le biologiste Jacques Testart, père scientifique du premier bébé-éprouvette français, et la journaliste indépendante Agnès Rousseaux signent un livre important et très documenté, Au péril de l’humain – Les promesses suicidaires des transhumanistes (Éditions du Seuil, 268 pages, 21 euros), qui développe une réflexion critique sur les avancées récentes de la science et de la technique.
Réfutant toute perspective technophobe – car nul ne peut évidemment critiquer les progrès technologiques qui visent à améliorer la vie quotidienne, encore moins celle des personnes malades ou handicapées – ces auteurs s’inquiètent notamment des ambitions d’une idéologie qui entend faire advenir un « homme augmenté », véritable « homme-machine du capitalisme » régnant sur une sous-humanité massifiée.
L’avenir radieux promis par la techno-science
Dans le but avoué de prendre le relais de l’évolution, les entreprises internationales de la Silicon Valley consacrent des sommes colossales à des projets futuristes concernant la nature du vivant et l’intelligence artificielle.
L’idéologie transhumaniste promet en effet aux individus de devenir, d’ici quelques décennies, « plus forts, plus solides, plus rapides, plus intelligents, moins mortels ». « L’étape suivante, ce serait le “post-humain”, l’être affranchi de la condition humaine, qui a totalement fusionné avec la machine. » De fait, selon ses apôtres, « l’homme-laboratoire de demain, technologiquement ou génétiquement modifié, sera un mutant ».
Un scientifique britannique, Kevin Warwick, va jusqu’à proclamer l’avènement de « deux espèces distinctes » : les « augmentés » et les « naturels », ces derniers étant voués à constituer une sous-espèce analogue aux « chimpanzés du futur » !
« Une chose est sûre : dans les prochaines décennies, des ruptures technologiques sans précédent vont sans doute rendre possible une transformation radicale de l’humain » : implants cérébraux, puces greffées dans le corps, organes de rechange, peau artificielle, prothèses bioélectroniques, bébés à la carte, nanomédecine, etc.
Une réflexion éthique renouvelée
Même si beaucoup se montrent encore incrédules devant ces mutations annoncées, celles-ci posent d’ores et déjà de multiples questions tant elles sont riches de conséquences encore imprévues. L’idée a ainsi été émise d’implanter des puces électroniques aux enfants pour mieux les protéger !
Ces innovations – voire ces mutations – ne seront pas sans susciter de nombreuses questions éthiques : « Demain, l’homme pourra-t-il remplacer des membres sains par des procédés bioniques pour accroître ses capacités motrices ? Pourra-t-il remplacer un à un ses organes défaillants pour allonger sa durée de vie ? Qui pourra bénéficier de ces prothèses très onéreuses ? Où se situe la frontière entre traitement d’une pathologie et amélioration humaine ? Où s’arrête l’usage thérapeutique et où commence l’“augmentation” de l’homme ? » Par ailleurs, une hyperperformance mnémonique d’origine technologique ne risquerait-elle pas de créer un déséquilibre ou même une pathologie chez les sujets concernés, comme le craignent des neuro-oncologues ?
Après les modifications sur le génome de différentes espèces vivantes, l’étape suivante concerne plus particulièrement le génome humain, nonobstant le fait que « la transgenèse génère des effets indésirables et incontrôlés que les savants généticiens à l’origine de ces bricolages demeurent incapables d’expliquer ».
Deux étapes majeures ont été franchies récemment, à savoir l’hybridation génétique de grandes espèces terrestres et le développement d’un organe d’une espèce animale dans le corps d’une autre espèce. En 2016, des scientifiques ont ainsi créé des embryons contenant une cellule humaine sur 10 000 cellules de porc, en vue de les transplanter dans l’utérus de truies porteuses (l’expérience a été arrêtée au bout de 28 jours).
D’autres projets, tel celui que propose (en lien avec le Commissariat à l’énergie atomique) le biologiste français Philippe Marlière, envisagent de créer, à côté de l’ADN qui existe depuis trois milliards d’années, un autre code du vivant, de façon à éviter les risques sanitaires provenant de la proximité génétique. Selon ses concepteurs, une biodiversité artificielle cohabiterait ainsi avec une biodiversité naturelle jugée limitée.
Dans le domaine technologique, les développements récents de l’intelligence artificielle [illustrés par la sortie récente de ChatGPT dont les conséquences économiques, sociales et culturelles ne sont pas encore totalement appréhendées] préoccupent des personnalités avisées comme Elon Musk, qui considère ses effets comme potentiellement plus dangereux que l’arme nucléaire, ou feu le physicien Stephen Hawking, selon lequel ceux-ci pourraient mettre fin à la race humaine !
L’historien israélien Yuval Noah Harari, auteur d’un livre très médiatisé, refuse quant à lui ce catastrophisme en assumant sans complexe une position transhumaniste dans laquelle l’homme est tout simplement assimilé à un algorithme perfectible…
La promesse de l’immortalité
« Le projet de “tuer la mort” séduit de nombreux milliardaires, en quête du privilège ultime : vivre plus longtemps que leurs contemporains. »
Comme le révèle la lecture de leurs publications, les transhumanistes envisagent la mort comme un simple problème technique et le vieillissement comme une maladie à combattre. Selon eux, la substitution d’organes constitue la clef pour prolonger indéfiniment la vie. Quant au cerveau, ils imaginent son téléchargement sur un ordinateur… et la possibilité d’améliorer au passage ses capacités grâce à la puissance logique ajoutée par la machine !
Peter Thiel, dirigeant de Facebook et cofondateur des entreprises Paypal et Palantir (leader du Big Data et de l’analyse des données), estime qu’il est « étrange et un peu pathologique » de se résigner à mourir. L’intéressé, qui a d’ores et déjà prévu que son corps soit cryogénisé après son décès (une pratique illégale en France), est passionné par les recherches concernant les transfusions sanguines censées permettre de régénérer les corps vieillissants. Comme l’écrivent les auteurs au sujet de cette hypothèse non validée scientifiquement : « Espérons que nous ne verrons pas se développer dans les prochaines années un marché noir de la jouvence, avec le commerce de doses de sang d’adolescents… »
En France, le chirurgien-urologue Laurent Alexandre, qui se pique de futurologie, affirme que la mort deviendra un choix et non plus un destin. Selon lui, l’homme qui vivra plus de mille ans est déjà né !
Que faire ?
« Face au récit fantastique déroulé par les transhumanistes, à leur inépuisable capacité à vendre du rêve (ou du cauchemar) », Jacques Testart et Agnès Rousseaux proposent de mettre l’accent sur une éducation orientée vers l’esprit critique et la connaissance des sciences et des techniques, afin de faire comprendre au grand public les mécanismes à l’œuvre et de démasquer les fausses promesses.
Conscients du fait que les effets d’une politique éducative ne pourraient être effectifs qu’à long terme, et par ailleurs sceptiques sur les capacités (et la volonté) des États et des instances internationales de préserver sérieusement les populations des avancées transhumanistes, les auteurs soulignent l’urgente nécessité d’opposer un autre récit à une « utopie » dont les adeptes proclament l’avènement comme un fait inéluctable, à l’instar de « l’incontournable There is no alternative (TINA) du libéralisme financier » dont lesdits « utopistes » partagent très majoritairement les conceptions social-darwinistes.
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Après la sortie du livre en 2018, Jacques Testart s’est exprimé publiquement sur les raisons légitimes qui ont pu plonger les citoyens français dans le doute à l’occasion des mesures sanitaires imposées durant la pandémie de Covid-19. Il a ainsi plaidé en faveur d’une distinction entre pratique médicale et activité scientifique, tout en observant que « les affirmations des officiels, des médecins et des scientifiques ont démontré, par leur cacophonie, que la science n’était pas de la partie, car c’est l’ignorance savante qui a sévi, souvent avec arrogance ».
Constatant que, « depuis plusieurs décennies, l’économie a été mise aux commandes des laboratoires », en rupture avec la conception d’une science pure dédiée à la connaissance, Jacques Testart estime nécessaire de faire prévaloir des réponses politiquement acceptables, fondées sur la raison et l’information, par le biais de conventions de citoyens chargés de se prononcer sur la répartition souhaitable des budgets entre les grandes thématiques telles que la santé, l’alimentation, la vie quotidienne, les énergies, l’environnement, etc.
Une position qui sera sans nul doute qualifiée de populiste par les partisans et les bénéficiaires des « utopies » soutenues par les oligarchies financières !
Johan Hardoy
13/09/2023
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