Fiche de lecture de Bernard Mazin, essayiste
♦ Que le lecteur ne se trompe pas, en croyant lire ici un article déjà paru à Polémia avec un titre similaire (*) ! En effet, il y a peu, nous avons présenté, pour ce même livre de Bruno Mégret, une première note de lecture sous la plume de Michel Geoffroy, connu pour sa pertinence. Bernard Mazin, quant à lui, explore la propre vision que l’auteur de l’ouvrage se fait de la charge d’un président de la République à la tête d’un pays bien tourmenté.
C’est à la fois un très bon exercice institutionnel et une approche aimable d’une fonction unique.
Polémia
« J’en veux énormément à mes prédécesseurs qui, depuis des décennies, ont laissé s’installer sur notre sol des populations étrangères dont la présence met en cause non seulement notre identité mais aussi notre sécurité. »
Pour son septième ouvrage, et bien qu’il ait quitté la politique depuis plusieurs années, Bruno Mégret revient sur ce qui lui tient à cœur et qui a toujours motivé son action, à savoir mettre ses idées au service du bien de la France.
Pour cela, il a choisi la formule du récit d’anticipation, qui est souvent l’occasion de cantonner le lecteur dans une approche très anecdotique, mais qui prend ici tout son sens. En effet, les événements qui jalonnent le quinquennat 2017-2022 de ce président qui
ressemble furieusement à Bruno Mégret soutiennent la tension dramatique… et l’attention du lecteur, mais ils ont surtout pour but de mettre en évidence les convictions de l’auteur et les propositions stratégiques et tactiques qu’il met en regard de ces événements.
Certes, on pourra estimer que l’accumulation de ces stimuli est parfois un peu excessive (attentats, émeutes, crises diplomatiques ouvertes avec la Turquie ou les Etats-Unis, « affaires », etc.), ou que certaines fins heureuses sont un peu téléphonées. Il n’en reste pas moins que le propos est divertissant, et surtout incomparablement plus riche de substance que les élucubrations besogneuses et les énumérations programmatiques autosatisfaites des Sarkozy, Fillon, Juppé, ou autres Le Maire.
Car, et je terminerai par là les considérations générales sur la formule retenue par l’auteur, celle-ci a pour mérite de permettre au lecteur de comprendre qu’en politique tout ne peut pas se faire au même rythme et en même temps : il faut hiérarchiser les priorités et inscrire son action dans la durée. Elle rappelle aussi que l’Histoire n’est jamais écrite et que l’imprévu est toujours possible, avec pour corollaire la
possibilité de l’échec et la nécessité du compromis. Comme le dit le président à un moment où son action connaît un regain de succès après plusieurs mois de graves difficultés : « Tel est le propre du politique. Rien n’est jamais définitif » ou encore, après un attentat qui a failli le tuer : « Un enchaînement imprévisible d’événements tragiques et tout est bouleversé. En politique c’est souvent le destin qui décide, plus que la volonté des hommes. »
Mais l’essentiel est ailleurs. Bruno Mégret apporte ici la preuve qu’en dépit de son retrait de la vie politique active, il continue de travailler à l’élaboration d’un corpus idéologique cohérent que pourrait mettre en œuvre une vraie droite de conviction. Et son ouvrage fait mouche.
Au départ, le président nouvellement élu va faire un certain nombre de déclarations de principe ou de gestes, parfois symboliques, et lancer plusieurs chantiers pour fixer le cadre conceptuel dans lequel il entend situer le déroulement de son quinquennat. Il se place d’emblée très résolument dans l’optique de la lutte contre le « politiquement correct », le gouvernement des juges, la mainmise de la classe médiatique, les entraves à la liberté d’expression et la mondialisation sauvage.
Le lecteur retrouvera ainsi, parmi les thèmes qui nous sont familiers et auxquels nous sommes attachés, le refus de la fausse alternance politique, la critique des oligarchies déracinées qui dominent au plan national comme au plan mondial, et la confiscation de la démocratie qui en résulte.
En résumé, le président se propose de « remettre les idées à l’endroit », de « donner la priorité à ceux qui travaillent », « d’en finir avec l’obsession maladive de l’égalité », de rechercher l’excellence en toutes circonstances et de redonner aux Français la fierté de ce qu’ils sont.
Au-delà de ces effets d’annonce, le chef de l’Etat va agir. Le plus souvent, son action sera entreprise de façon volontariste, selon un plan déterminé. Le succès se fera parfois attendre ou sera retardé par les événements. Parfois aussi, il lui faudra s’adapter aux circonstances, ou réagir à des situations de crise auxquelles il se trouve confronté à son corps défendant.
Mais – et c’est là que la méthode littéraire retenue par Bruno Mégret démontre son efficacité – les péripéties qu’il imagine vont lui permettre d’aborder tous les volets de la politique intérieure et internationale qu’il appelle de ses vœux, tout en épargnant au lecteur de fastidieuses énumérations.
Il n’est pas possible, dans le cadre de cet article, de passer en revue toutes les thématiques évoquées, de manière plus ou moins développée selon les cas. Il est toutefois utile de s’arrêter un instant sur quelques-unes d’entre elles qui revêtent une importance particulière.
• Le projet de loi « Démocratie et Libertés » lancé dès le début du quinquennat est un heureux appel d’air dans le combat contre l’idéologie dominante et la pensée unique. On pourra trouver que l’érection d’une des chaînes de France Télévision au statut de chaîne destinée à expliquer et à faire connaître l’action gouvernementale ne serait probablement pas suffisante pour endiguer les excès du contre-pouvoir médiatique. En revanche, l’abrogation des lois antiracistes ou mémorielles et de tous les dispositifs de promotion de la discrimination positive ne pourra que réjouir les partisans que nous sommes de la liberté d’expression et de la diversité bien conçue.
• En matière économique, les chantiers lancés sont globalement imprégnés du souci de concilier la liberté d’entreprise et d’échange, gages de la prospérité, et la nécessité de se protéger contre les excès de la mondialisation. Cela suppose une remise en cause des pratiques actuelles de la politique commerciale internationale : l’auteur assigne à son personnage un rôle moteur dans une restructuration et une réduction du rôle de l’OMC sans doute bien optimiste. Mais il décortique avec bonheur tous les errements de la politique du « tout-marché » qui règne en ce domaine, avec notamment les velléités hégémoniques américaines illustrées par les négociations sur le projet de traité TAFTA.
• Le lien avec la politique à mener en matière d’immigration est évident. Il fait dire à son président : « J’en veux énormément à mes prédécesseurs qui, depuis des décennies, ont laissé s’installer sur notre sol des populations étrangères dont la présence met en cause non seulement notre identité mais aussi notre sécurité». A cet égard, les axes esquissés dans l’ouvrage sont clairs et nets, et les mesures préconisées pour mettre un coup d’arrêt à toute immigration nouvelle sont réalistes. Encore Bruno Mégret prend-il le soin de préciser qu’il s’agit d’une première étape, en attendant une future et nécessaire « ré-émigration ».
• Sont également mis en scène, au fil du récit, tous les aspects d’une véritable politique intérieure de droite nationale et libérale : rôle à redonner à la famille, mesures pour rendre à la magistrature sa neutralité, politique sécuritaire, réduction des effectifs et recentrage de la fonction publique, réforme territoriale, politique éducative, aucun sujet ou presque n’est oublié. Et les orientations concilient constamment fermeté sur l’objectif, et mesure et réalisme sur la mise en application.
• Et quel plaisir, au passage, de savourer les leçons données par le président au chef d’état-major des armées sur la fierté à redonner aux militaires, et au cardinal archevêque de Paris pour que l’Eglise ne mette pas sur le même plan toutes les religions et se souvienne un peu plus que la France est une nation chrétienne !
Des lecteurs jugeront probablement que certaines mesures jouent un peu « petit bras », ou bien que l’auteur ne s’engage pas suffisamment sur certains points qui leur tiennent à cœur : il est vrai, par exemple, que la peine de mort ou l’avortement sont à peine effleurés. D’autres encore ne seront pas d’accord avec l’économie même des propositions : je suis pour ma part assez réservé sur l’échelonnement territorial imaginé, de même que l’idée du « Consistoire musulman » pour « soumettre l’islam à la réalité française » me paraît une solution en trompe-l’œil.
Pour autant, de telles critiques sont comme les arbres qui cachent la forêt : elles font perdre de vue que si le Politique, comme l’écrivaient Carl Schmitt et Julien Freund, est la désignation de l’ennemi (ce qui en l’occurrence est bien le cas dans le propos de Bruno Mégret), tout n’est pas possible tout de suite ni tout le temps, et la perspective d’un apaisement consensuel général autour d’une idéologie unique est non seulement une vue de l’esprit, mais une conception pernicieuse, contre laquelle nous combattons, puisque c’est elle qui nous a apporté, entre autres plaies, la Terreur et le goulag. Il est donc naturel et sain de ne pas être d’accord avec toutes les vues de Bruno Mégret, exprimées par le truchement de son président, à partir du moment où le cheminement global va dans la bonne direction.
A cet égard, les chapitres consacrés aux relations internationales sont ceux qui m’ont laissé l’impression la plus mitigée. Ne sont pas en cause les sujets tels que la question de l’entrée de la Turquie au sein de l’UE sur laquelle une position négative est affirmée sans ambages, ou celle des rapports avec les Etats-Unis : la volonté hégémonique dans la ligne définie par le Zbigniew Brzezinski du « Grand échiquier » est finement analysée, et l’abandon de l’OTAN, comme le rapprochement avec le Russie ne peuvent que recueillir l’adhésion, de même que la reconnaissance d’un monde multipolaire qui doit induire de nouveaux schémas de pensée géopolitique et diplomatique.
Je serais un peu plus circonspect sur la question de l’attitude à adopter vis-à-vis du monde musulman, Turquie mise à part : le propos de l’ouvrage repose sur l’hypothèse que l’Arabie Saoudite, l’Irak et la Syrie sont tombés aux mains de l’EI rebaptisé Union islamique, et qu’un califat s’est mis en place par regroupement de ces trois pays. Surtout, l’auteur imagine que ce califat se montre « raisonnable » dans ses velléités d’exportation de sa pratique politique à d’autres pays sunnites, et que l’Europe se borne à observer une grande vigilance, notamment sur les risques d’extension aux émirats arabes unis et au Qatar. Aucune de ces deux hypothèses n’étant plausible à ce stade de l’actualité, il eût peut-être été préférable de faire l’impasse sur ce point précis.
Mais ce qui suscitera le plus de controverses est sans aucun doute le parti pris foncièrement « européiste » de l’ouvrage. Pour ma part, je ne me considère pas comme un souverainiste pur et dur, car, qu’on le veuille ou non, la mondialisation économique est un fait, dont les excès ne pourront être combattus que par l’union de forces dépassant généralement le cadre des Etats-nations.
Pour autant, peut-on adhérer à l’affirmation que « la petite France c’est la sortie de l’Histoire », que « vouloir une France seule revient à choisir le déclin » ou encore que « la France toute seule ne pourra rien pour empêcher la mondialisation sauvage, alors que l’Europe redevenue une grande puissance pourra œuvrer à l’instauration d’un nouvel ordre économique à l’échelle de la planète » ? On pourrait à la limite répondre positivement si la feuille de route s’en tenait au respect des objectifs auxquels nous ne sommes pas a priori défavorables : il est en effet bien question d’Europe des nations, du rôle moteur de la France dans la modification du paysage institutionnel, de limitation de la bureaucratie bruxelloise, de suppression de la Commission, de noyau dur bien circonscrit complété par des coopérations facultatives à la carte.
Mais le projet suppose aussi la création d’une confédération dirigée par un Sénat composé des ministres ou des chefs d’Etat et de gouvernement, et piloté par un Secrétariat général composé de 14 secrétaires généraux assistés d’autant de secrétaires généraux adjoints soit 28 membres (tiens, comme c’est bizarre), censément placés sous l’autorité du Sénat. Rien n’est dit spécifiquement du parlement, mais tout laisse à supposer qu’il demeure en l’état. Et l’on ne voit pas comment cette structure pourrait fonctionner plus efficacement que le système actuel, et être de nature à instiller un « patriotisme européen » permettant de déboucher sur une « Europe puissance » dont le moins que l’on puisse dire est qu’on en perçoit mal les contours. Si l’on ajoute que le président appelle de ses vœux la naissance d’une véritable armée européenne, et un euro « aménagé », on peut pronostiquer que Bruno Mégret ne fera pas l’unanimité sur le sujet.
Que nous soyons conscients que l’Europe est une communauté de civilisation, à travers son passé indo-européen, hellénique, romain et bien sûr chrétien, est une chose. Penser qu’une confédération de 28 Etats-membres, ayant des histoires, des intérêts et des objectifs contradictoires serait le moyen de rendre à cette Europe le rayonnement économique et culturel qu’elle a pu avoir dans le passé en est une autre. Même les défenseurs de la « longue mémoire européenne » que sont nos amis de l’ILIADE ne prétendent pas qu’à l’aune de l’histoire des deux premiers millénaires, ce rayonnement pourrait être attribué à une entité Europe globalisante. Il procède bien plutôt de la spécificité et de la diversité des grands Etats, nations, ou cultures qui la composent.
Bruno Mégret est trop fin politique pour ne pas se rendre compte des limites de son hypothèse. On peut penser que sa formation d’ingénieur et de haut fonctionnaire l’a conduit à privilégier une approche institutionnelle et économique sur l’approche historique et culturelle. Mais on lui pardonnera cette dérive technocratique pour au moins deux raisons : en premier lieu parce que, même si elle est sujette à disputatio, son analyse est toujours revigorante ; en second lieu parce que la narration des faits qui vient en soutien de sa thèse suppose une « conjonction astrale » pour le moins improbable.
Mais ces quelques restrictions ne sont rien au regard de l’intérêt que prendra le lecteur avec Le Temps du phénix, œuvre remarquable d’un « grand politique » au sens le plus noble du terme.
On ne saura finalement pas si le président mis en scène par l’auteur sera réélu en 2022. Mais on imagine mal une autre fin possible de l’ouvrage. Avant de le refermer, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir sur une réflexion du personnage principal, alors que son ministre de l’Intérieur lui affirme qu’en politique, il ne faut jamais désespérer : « Encore que les Romains du Bas-Empire avaient raison de désespérer puisque leur civilisation a disparu. Et je me demande parfois si notre propre civilisation, malgré tous les efforts que nous déployons, n’est pas sous le coup de la même menace. Ne le répétez pas, mais tel est mon doute secret ». Ce doute, il n’habite pas que Bruno Mégret, et nous le partageons tous lorsque surgit le découragement devant les obstacles et l’ampleur des tâches à accomplir. Mais ce n’est pas une incitation à la passivité : nous travaillons pour la longue période, habités par la certitude que nos descendants recueilleront le fruit de nos efforts.
Bernard Mazin
23/02/2016
Bruno Mégret, Le Temps du phénix, Editions Cité Liberté 2016, 328 p.
(*) Le « Temps du phénix » : ou la leçon de grande politique de Bruno Mégret (1)
Comme on pouvait s’y attendre, Le temps du phénix fait l’objet d’un boycottage du monde de l’édition. Il est donc difficile de le trouver en librairies.
Pour se le procurer :
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et télécharger le bon de commande.
Correspondance Polémia – 23/02/2015
Image : le prochain président dont on ne connaît pas encore le visage.