Nicolas Battini, militant corse passé par la prison, a récemment sorti un ouvrage aussi percutant que nécessaire évoquant son parcours idéologique et cette maturité politique qui est aujourd’hui la sienne : Le Sursaut corse, l’identité plutôt que l’indépendance. Nicolas Battini a décidé il y a quelques temps de créer une association politique – puis un parti – réunissant les Corses désireux de rompre avec les travers idéologiques d’une partie des indépendantistes tentés – aussi paradoxal que cela puisse paraître – par les lubies de gauche. Et parce que Nicolas Battini a osé rompre avec ces lubies, il est aujourd’hui à la tête d’un grand mouvement populaire corse qui risque de faire beaucoup parler de lui dans les années à venir. Notre flamboyant chroniqueur Frédéric Eparvier a lu cet ouvrage. Voici son avis.
Polémia
La Corse intemporelle
J’aime bien la Corse[1]. Sans rire, j’aime vraiment la Corse dont je connais surtout la côte ouest pour y avoir longtemps navigué sur le voilier paternel dans mes jeunes années[2]. J’y ai passé des vacances magnifiques, et je garde mille souvenirs des mouillages forains dans les golfes de Sagone ou de Porto. Se réveiller sur une mer d’huile, au pieds de roches rouges qui vous surplombent de 100 mètres à quelque chose d’intemporel et de magique. Sans parler des langoustes au pastis de la paillote sise au fond de la crique de la Girolata… Mais tout ceci, Sahib, est une autre histoire…
Politiquement, je ne me suis jamais vraiment intéressé à la question corse, même si ayant toujours été sceptique envers le jacobinisme administratif et culturel de notre bonne République, une certaine forme d’autonomie politique et financière, à l’instar des îles anglaises (Man) espagnoles (Baléares et Canaries), ne m’a jamais semblé une idée aberrante.
Et puis il y a eu quelques chefs d’œuvres sur la Corse, comme Astérix en Corse ou L’enquête corse (la BD pas le film), et c’est toujours avec plaisir que je lis un livre sur cette île (pardon, la plus belle des îles) comme récemment le Dictionnaire amoureux de la Corse[3], ou encore I Cursini[4], qui met bien en scène ce que je crois comprendre du combat autonomiste local : des pieds nickelés indépendantistes, qui utilisent les dynamitages saisonniers pour s’enrichir avec « l’impôt révolutionnaire », et quelques vrais nationalistes, qui ont une haute idée de leur île et de leur peuple, mais qui ont été éliminés ou marginalisés.
Nous en parlions récemment avec Jean-Yves Le Gallou dans un petit restaurant perse (le patron y tient) du XVème arrondissement[5] quand il me donna le livre de Nicolas Battini[6] en me demandant de lui dire – en toute franchise – ce que j’en pensait.
Et bien mes gaillards… je n’ai pas été déçu du voyage, et si Nicolas Battini réussi son pari, la Corse réussira peut-être à arrêter son lent déclin.
Violence et illégalité
D’une écriture soignée, Nicolas Battini nous invite à suivre son Odyssée politique.
Celle qui le mène du militantisme autonomiste de ses jeunes années, à la création du mouvement culturel Palatinu qui vise à donner un sens régénéré au nationalisme corse, « tourné vers l’enracinement, l’Europe historique et l’héritage gréco-latin, qui tendra à produire une génération de bâtisseurs plutôt qu’une génération de prisonniers. Une génération de femmes et d’hommes qui vivront leur « corsité » sans armes ni cagoules ni gauchisme, entouré d’une famille heureuse sous le regard bienveillant des ancêtres du foyer. [7]»
Très tôt, Battini a « l’intime conviction que la communauté humaine à laquelle (il) appartient est en passe de disparaître. » […] « Au nom du refus de la mort et du remplacement démographique, j’ai cru au recours violent et à l’activisme illégal.[8]»
À cette époque, c’est-à-dire à partir des années 1970, la lutte autonomiste ne se conçoit que contre la métropole jacobine, dite coloniale, jugée responsable de l’effondrement corse. C’est tellement plus simple d’accuser les autres. Battini montre assez finement comment le rejet de Paris a en fait dégénéré en un lent glissement vers le tiers-mondisme militant, puis le gauchisme socialiste voire trotskyste, et maintenant le « wokisme » et l’acceptation idéologique de l’immigration.
L’action violente le conduit immanquablement en prison, d’autant que son attitude fière (il assume ses actes et leur signification politique) lors de son procès n’incite pas le parquet et le siège à la clémence. Pour avoir défoncé le portail de la sous-préfecture de Corte (avec quand même trois kilos d’explosif dans le coffre), ce sera huit ans de prison. Huit ans de prison, dont six effectifs.
Mais six ans d’école du réel, de formation et de réflexion. École du réel avec la réalisation du phénomène de submersion migratoire : « Une impression envahit tout nouveau détenu. L’Afrique. Les prisons parisiennes sont des prisons africaines. Nord-africaines ou sub-sahariennes, cela dépend du quartier ou du moment. […] La grande majorité des détenus sont Noirs ou Arabes, la plupart issus de cultures musulmanes.[9] »
Maturation idéologique et politique
Six années de formation aussi, puisque Battini profitera de son temps derrière les barreaux pour passer son baccalauréat, sa licence d’histoire, et commencer son doctorat en études corses, qu’il termine aujourd’hui à l’Université de Corte. Et enfin six années de réflexion sur le sens de la lutte autonomiste et de la forme qu’elle doit prendre.
À sa sortie, en 2021, il écrit un manifeste sur la nation corse : « Nazione 2050 » (reproduit en pages 112 à 122). Ce document mérite d’être lu avec attention, car il détaille le pourquoi et le comment du nouveau discours autonomiste que Battini appelle de ses vœux, à savoir :
- La survie du peuple corse doit être le but de la lutte autonomiste,
- La lutte autonomiste doit s’inscrire dans son contexte civilisationnel, donc européen et français,
- La plus grande menace du moment contre le peuple corse est la submersion migratoire,
- Le mouvement autonomiste doit donc développer un discours économique, social et sociétal prenant en compte la Corse telle qu’elle est devenue.
Nicolas Battini inscrit son combat, et c’est bien le principal intérêt et la grande nouveauté de son livre, dans le combat civilisationnel plus général : « Les grandes questions posées à notre temps se règleront dans les décennies qui viennent entre, d’une part, les partisans du socle civilisationnel historique de l’Europe ainsi que toutes les cultures autochtones qui en découlent et, d’autres part, les disciples de la nouvelle religion du Progrès sociétal qui souhaite faire table rase de ce qu’ils appellent eux même les « déterminismes », c’est à dire la somme d’héritages (ethnie, langue, culture, patronyme, sexe…) que chacun d’entre nous reçoit à sa naissance[10]. »
Car ce que Battini a parfaitement compris, et ce qu’il défend, c’est que l’autonomisme ne doit pas être une fin en soi ce qu’il est devenu aujourd’hui, surtout quand il permet de redistribuer les prébendes et les emplois plus ou moins fictifs au sein des administrations gérées localement comme l’assemblée régionale ou les chemins de fer corse – mais un moyen au service de l’identité.
Et cette identité enracinée doit être retrouvée au commencement de toute chose, par les valeurs familiales : « En vérité, la Corse a besoin de bons pères de famille qui parlent corse à leurs enfants. […] De gens dynamiques et conquérants qui engagent pleinement la bataille de la vie moderne tout en s’enracinant résolument dans les vieilles forces du Passé. Tout ceci implique de tourner définitivement le dos au ribellu (figure de la clandestinité nationaliste) et à l’idéologie du tiers monde.[11]»
Nicolas Battini est bien décidé à mener ce combat. À ce titre, il a créé le mouvement culturel « Palatinu », qui a connu un vif succès, atteignant en deux ans près de mille membres, soit autant que les autres mouvements autonomistes actuellement au pouvoir en Corse, et qui anime des actions terrains de lutte contre l’islamisation de la Corse, ou encore des conférences historiques, et des colloques politiques, le prochain ayant lieu le samedi 15 juin prochain à Ajaccio.
Et pour que son combat culturel soit aussi porteur de changements concrets pour les Corses, Nicolas Battini a lancé le samedi 9 mars dernier, le mouvement politique : Mossa Palatina, visant à se présenter et s’imposer dans les joutes électorales à venir[12].
Nous lui souhaitons les plus grands succès dans ces nouveaux combats car l’Europe et la France ne sauraient être fortes si elles ne s’appuient sur des provinces fortes et fières.
Lisez ce livre, il est porteur d’espoir, et ce n’est pas sa moindre qualité.
Frédéric Éparvier
29/05/2024
Notes
[1] Ça, c’est pour être sûr qu’un crétin vindicatif et qui connait tous les chemins de sa montagne ne vienne pas nuitamment plastiquer ma voiture…
[2] À ce sujet, je vous recommande le petit carnet de navigation de Sabine, dont les aquarelles sont des merveilles. Sabine, Carnet de mouillages, CORSE. Turtle prod. 2022.
[3] Franceschi, Patrice. Dictionnaire amoureux de la Corse. Plon, 2022.
[4] Deniger, Alix. I Cursini. Série noire Gallimard, 2012.
[5] Persépolis, 17 rue Falguière. Entre nous, les brochettes d’agneau sont un délice.
[6] Battini, Nicolas. Le Sursaut corse. Éditions de l’artilleur, 2024.
[7] Battini, op.cit., p. 29
[8] Battini, ibid., p. 19
[9] Battini, Ibid., pp. 64-65
[10] Battini, Ibid., p. 141
[11] Battini, Ibid., p. 28
[12] Le discours de lancement est entièrement disponible sur Youtube via l’édition de Corse Net Info du 10/03/ 2024.
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