Le président Sarkozy est au plus bas dans les sondages. À plus d’un an des élections présidentielles, ce ne serait pas, en soi, catastrophique, si ce « désamour » de l’opinion ne s’accompagnait d’une série véritablement stupéfiante de bévues politiques difficilement compréhensibles chez un si vieux routier de la scène politique. Mais revenons en arrière.
Nicolas Sarkozy a-t-il perdu la main ?
1°) Le premier remaniement ministériel, celui de novembre dernier, longuement trompété à l’avance, a été un franc insuccès. La preuve par neuf est qu’il a fallu en faire un second, peu de temps après, sous couvert des évènements au Moyen-Orient, mais contrairement à tout ce qui avait été annoncé solennellement.
Ce premier remaniement, si longuement mûri et médité, a consisté, on le sait, pour l’essentiel à reprendre les mêmes quasiment aux mêmes postes, à part la mise au placard de deux innocents centristes, Jean-Louis Borloo et Hervé Morin, jugés encombrants – on se demande pourquoi – ; et bien sûr, le glissement subtil sur l’échiquier politique de l’inusable, l’indispensable Michelle Alliot-Marie qui aura décidément fait le tour de tous les ministères réputés importants.
Mais dire une chose et faire exactement le contraire peu de temps après n’est pas forcément le meilleur moyen d’assoir sa crédibilité.
Là dessus, vient le deuxième remaniement dont le résultat le plus clair a été la mise sur le siège éjectable de l’infortunée MAM, cette fois. Là, on ne comprend plus. Car comment tenir rigueur à une fille attentionnée et soucieuse avant tout d’assurer la sécurité des vieux jours de ses parents, – 92 et 94 ans – par l’acquisition de quelques arpents de garrigue au beau soleil de la Méditerranée. Il faut vraiment un esprit bien mal placé pour trouver à redire à cet acte de piété filiale, si rare de nos jours.
Ceci étant, il est quand même curieux que « Sarko » ait attendu 11 longues années pour s’apercevoir de l’incompétence notoire de cette séduisante politicienne qui aura réussi le tour de force, peu commun, d’occuper 4 ministères dits régaliens sans y laisser la moindre trace de son passage. Il est vrai, à sa décharge, que c’était probablement tout ce que l’on attendait d’elle.
On soulignera au passage la sécheresse du discours présidentiel renvoyant dans ses foyers son vieux compagnon d’armes Brice Hortefeux, dévoué comme un chien à son maître, sans même un seul mot de reconnaissance pour services rendus, un cas digne d’une anthologie de l’ingratitude politique. François Mitterrand avait bien des défauts, mais il avait du cœur. Jacques Chirac aussi savait dire merci. Or l’amitié en politique est gage de fidélité sur le long terme.
2°) Deuxième fait divers, le vrai/faux retour en grâce d’Alain Juppé, désormais blanchi de toute turpitude judiciaire. Arrondi et jovial, mais toujours « droit dans ses bottes », le nouveau ministre des Affaires étrangères s’est empressé incontinent d’aller assurer aux manifestants de la place Tahir au Caire que la France n’avait nullement l’intention de se mêler de leurs affaires. Cela valait quand même le déplacement d’un ministre. En fait, l’homme « fort » du gouvernement n’a pas changé. Il a simplement forci. Certains gourous se prennent à rêver dès maintenant à le donner comme alternative à Nicolas Sarkozy aux présidentielles. Mais qui aurait donc envie de voter pour Alain Juppé dont le caractère cassant est encore dans toutes les mémoires et le bon sens politique encore à démonter (si l’on en juge son récent article avec Michel Rocard sur l’urgence du désarmement nucléaire unilatéral de la France (1) ?
Cerise sur le gâteau, notre président , qui n’a décidément pas la main heureuse ces jours-ci, nomme à Tunis, en dehors de tous les usages diplomatiques, – pour consoler les Tunisiens des gaffes de MAM sans doute –, un de ses petits protégés, le brillantissime Boris Boillon (qui, oh merveille, parle l’arabe). Lequel, en guise de remerciements, provoque, dès son arrivée, un esclandre par son impertinence et sa désinvolture devant un public de journalistes spécialement convoqués pour l’occasion. Mission accomplie.
Bref, Nicolas Sarkozy aurait-il perdu la main dans le choix des hommes, pourtant l’essentiel de la mission d’un président ? Plus inquiétant encore, ne serait-il pas tout simplement à court d’hommes ou de femmes qualifiés pour occuper des postes délicats dans des circonstances difficiles ? A-t-il épuisé à ce point son vivier politique en si peu de temps?
Autres affaires, autres gaffes : l’affaire Cassez et ses rebondissements diplomatiques
On ne saura jamais si cette attachante jeune femme, maîtresse d’une petite crapule…mexicaine, était ou non complice des rapts à répétition montés par son amant du moment (2). Mais ce qu’il y a de certain est que, sans être grand clerc, il fallait vraiment une pulsion quasi débile pour provoquer délibérément la susceptibilité nationale, toujours à fleur de peau, d’un grand pays latino-américain lequel, après tout, a lui aussi son histoire et sa fierté. Ce qui pourrait , à la rigueur, marcher avec Monaco ou le Lichtenstein, et encore, n’est pas forcément adapté au Mexique. Avec, comme dégâts collatéraux, un sérieux refroidissement diplomatique avec ce pays, la perte probable de marchés à l’exportation, sans compter la fameuse année du Mexique remise aux Calendes grecques. Du beau travail en vérité. Bravo l’artiste.
Le malheur veut que notre président bien aimé est un récidiviste en la matière. Il semble même prendre décidément goût à la chose, à savoir ce rôle seyant de chevalier au blanc panache, protecteur attitré, sous l’œil des caméras, de la veuve et de l’orphelin.
Rappelons – car on oublie vite –, au début de son mandat, les obsédants appels au secours, quotidiens sinon plus, à la radio et à la télé, pour délivrer la malheureuse Ingrid Betancourt (à ne pas confondre avec Liliane Bettencourt de l’Oréal, un patronyme qui porte décidément malheur), prisonnière des abominables FARC. Avec, à la clef, l’envoi d‘un avion français spécialement affrété par l’Etat pour aller accueillir, toujours sous l’œil des caméras, la victime infortunée sur un aérodrome de fortune. Laquelle n’est jamais venue au rendez-vous, les FARC, peu complaisants, ayant apparemment perdu le sens de la manœuvre ou de l’horaire. Mais, par contre, on a vu, un peu plus tard, la frêle enfant, libérée à contre temps par l’armée colombienne, émerger fraîche et rose de l’enfer de la jungle pour s’envoler presto pour Paris où cet intéressant personnage s’est empressé de parader à la une de Paris Match et à la télé en robe du soir. Avant de réclamer, bien sûr, 60 millions de dollars de dommages et intérêts au gouvernement colombien. Un cas social poignant digne de l’attention d’un président français.
Et on passera pudiquement sur l’affligeant épisode des Français ravisseurs d’enfants au Tchad, qui nous a couvert de ridicule devant nos amis africains.
Le scénario est désormais bien au point. Quelques Françaises et Français en mal d’aventures exotiques s’imaginent que tous les pays au monde pratiquent la culture de l’excuse et de la victimisation tellement en vogue chez nous. Ils vont donc commettre quelques incartades stupides, trafics de drogue ou autre, en dehors de nos frontières,… ingénument convaincus qu’ils sont de bénéficier de l’impunité juridique due à tout « zozo » français en vacances à l’étranger. Erreur fatale, les voilà pris et condamnés par la justice locale, forcément injuste et sans pitié. Les familles, éplorées, font aussitôt appel au tout puissant président de la République, lequel tel Zorro, met dans l’instant son épée, – et le prestige de la France –, au service de la vertu opprimée.
Pression est incontinent exercée sur le gouvernement étranger pour obtenir, séance tenante, le transfert des victimes en France. Lequel gouvernement résiste, puis cède à l’affectueuse pression de nos diplomates. Le transfert s’opère donc vers notre bon pays où des magistrats miséricordieux s’empresseront d’ouvrir promptement les portes de la cage dorée aux fils ou filles prodigues. Le malheur veut que cela finit par se savoir en dehors de l’hexagone et que la justice étrangère préfère nettement conserver maintenant ses condamnés chez elle, bien au chaud.
Bref, Nicolas Sarkozy au grand cœur n’a pas encore compris qu’on ne pouvait mélanger impunément les affaires publiques, et notamment la politique étrangère de la France, à des opérations médiatico-électorales à grand spectacle , mais à finalité fort douteuse, à savoir la pincée de votes d’une poignée de rombières à la larme facile.
Le bilan en matière de politique étrangère n’est guère fameux
Qu’on en juge. Alassane Ouattara, en rupture de FMI, gagne haut la main les élections présidentielles en Côte d’Ivoire, grâce à une alliance électorale de fortune entre deux importantes ethnies rivales (les Baoulé et les Nordistes). Mais patatras, le président sortant, Laurent Gbagbo, porté par une troisième ethnie (les Kru lagunaires), mais surtout ayant avec lui l’armée et la police, refuse fermement de lui céder la place, malgré toutes les objurgations et les supplications de la « communauté internationale » soucieuse de faire respecter les règles démocratiques en usage dans nos pays. Et voilà, encore lui, le président français qui foudroie le malheureux récalcitrant depuis Bruxelles ou Paris, avec force oukases, menaces, ultimatums à l’appui. Lequel Gbagbo s’en soucie apparemment comme de Colin Tampon et demeure obstinément vissé à son fauteuil présidentiel, plus de trois mois après la proclamation des résultats (novembre 2010), situation hautement ridicule s’il en fut.
Il est dommage d’avoir perdu de vue l’adage en matière de politique étrangère du président américain Théodore Roosevelt, fin connaisseur en la matière, qui répétait dans les débuts de son mandat :« Speak softly but carry un big stick » [« parlez avec douceur mais avec un gros bâton à la main »]. Notre Tartarin national fait exactement le contraire. Il élève la voix gronde et tempête, mais avec peu de chose dans le poingt. Il n’est pas démontré que le prestige de la France en sorte renforcé. Autre épisode, tout récent. La contagion « révolutionnaire » gagne la Libye. Mais voilà qu’au lieu de prendre gentiment le chemin de l’exil, comme les autres, sous l’irrésistible poussée des Tweets, SMS, Facebooks et autres gadgets électroniques modernes, l’affreux Kadhafi, reçu hier en grande pompe à Paris, a la mauvaise idée de s’accrocher au pouvoir et même de reprendre l’initiative sur le terrain. Là encore, les condamnations et les objurgations péremptoires de notre président (pas plus que celles du président Obama pour l’instant) n’ont rigoureusement pas exercé un effet quelconque sur ce dictateur obstiné qui ne croit qu’à la force armée et non pas, comme nous autres, civilisés, aux droits de l’homme, à la vertu persuasive de la démocratie et des décisions de justice. Encore heureux que ce sympathique personnage ait, de lui-même, renoncé il y a quelques années à l’arme nucléaire. Imaginez une situation où Kadhafi disposerait aujourd’hui de la bombe atomique. Même Ségolène Royal, « la plus folle d’entre nous » (3), en resterait sans voix.
Trois avertissements sans frais
En fait, il est difficile de se dérober à l’impression que la conjoncture présente nous délivre gratuitement trois avertissements sans frais :
A. L’heure des rodomontades à la Tartarin de Tarascon est passée. Il faut savoir garder le silence et reconnaître honnêtement le peu de prise que la France, et d’ailleurs toute l’Europe, ont sur des évènements qui nous dépassent manifestement. C’est ce que nos amis anglais et allemands semblent avoir compris mieux que nous. D’ailleurs, avec des forces armées exsangues (1,6 % du PNB pour la défense là où il faudrait 3 à 4 % (4), la France, déjà lourdement engagée en Afghanistan et en d’autres théâtres extérieurs, serait bien incapable d’envoyer des forces d’intervention significatives au Proche-Orient ou au Moyen-Orient. D’où l’opportunité de garder en mémoire le sage conseil (voir plus haut) du président Roosevelt.
B. La France, à la sécurité incertaine et économiquement fragilisée, reste extraordinairement vulnérable à la conjoncture, à savoir le retour de l’inflation avec la flambée du pétrole et la menace d’une immigration de masse grande dévoreuse de crédits sociaux. L’heure n’est pas à la « gesticulation ». (5)
C. Enfin les évènements récents nous administrent une cinglante leçon de réalisme politique. Le droit qui ne s’appuie pas sur la force, ne représente rien. Nous avons, en Occident, trop longtemps vécu dans la fiction d’un monde quasi virtuel où notre sécurité extérieure était assurée pour l’éternité (et à peu de frais). Nous l’avons consciencieusement fabriqué au fil des ans, à base de grands principes, de valeurs intangibles, de droits universels, à grand renfort de Chartes, Conventions, Traités internationaux, que sais-je encore, énoncés par une prolifération de Cours internationales, de Tribunaux mondiaux, de Conseils constitutionnels ou non, empilés les uns sur les autres, sans voir que ces barrages de papier s’effondreraient à la moindre bourrasque. C’est ce qui risque de se produire en Libye aujourd’hui et ailleurs demain. La réalité et les dangers, qui n’ont rien de virtuel, du monde extérieur sont bel et bien en train de faire irruption dans notre château de cartes. Autant de bonnes raisons de rester tranquille et de cesser de faire des moulinets avec un sabre de bois. Lord Cromwell disait jadis : « pray God et keep your powder dry » [« priez Dieu, mais gardez votre poudre sèche ]».
Yves-Marie Laulan
08/03/2011
Notes
- Il n’y a évidemment rien de plus urgent à l’heure où le Pakistan double ses capacités nucléaires et l’Iran se rapproche encore davantage de la « bombe ».
- Des sources venant de femmes mexicaines prisonnières des ravisseurs semblent bien indiquer que c’était malheureusement le cas.
- Transposition non autorisée de l’immortelle formule de Chirac sur Juppé : « le meilleur d’entre nous »
- Au cours des 30 dernières années le « social » a dévoré la défense.
- Comme aiment à le dire nos militaires.
Note de la rédaction
Cet article était déjà rédigé, en passe de publication, quand la presse a annoncé le dernier « coup d’éclat de l’Elysée » provoquant l’embarras au Quai d’Orsay et la stupéfaction dans les chancelleries étrangères : la reconnaissance par la France du Conseil national de transition libyen. Cette annonce a été faite sans que personne n’ait été prévenu, ni le ministre des Affaires étrangères, ni son directeur de cabinet ni le secrétaire général du ministère. Nicolas Sarkozy, au moment de son entretien à l’Élysée avec deux émissaires libyens, a décidé seul cette mesure en autorisant les deux envoyés spéciaux des rebelles de Benghazi à faire l’annonce à la presse. « C’est la première fois, dans l’histoire de la Ve République qu’une décision majeure de politique étrangère est annoncée par des personnalités étrangères. » a déclaré un diplomate. (SOURCE : Le Monde des 13-14/03/2011.)
Correspondance Polémia
14/03/2011