Par Johan Hardoy ♦ Dans son livre, Les Vertus du nationalisme (Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 256 pages, 24 euros), préfacé par l’avocat et essayiste Gilles-William Goldnadel, le philosophe conservateur israélien Yoram Hazony défend l’idée que le nationalisme demeure la seule garantie de liberté dans le monde actuel. L’auteur, dont la famille s’est établie en Palestine juive il y a près d’un siècle, revendique des positions sionistes sans pour autant restreindre ses réflexions à son peuple. Nous proposons ici un bref aperçu du contenu d’un ouvrage qui mérite d’être lu et dont les thèses valent d’être commentées.
Les nationalismes contre les empires
« L’idée que l’ordre politique devrait être fondé sur des nations indépendantes remonte à la vieille pensée israélite de la Bible des Hébreux », dans les temps où ce peuple était confronté aux pouvoirs impériaux égyptien, babylonien, assyrien et perse.
Au Moyen Âge, « la présence de la Bible hébraïque dans le canon chrétien a forgé l’histoire particulière du catholicisme français », qui s’inspirait du royaume de David pour résister aux papes et aux empereurs.
Au XVIIe siècle, la paix de Westphalie consécutive à la guerre de Trente ans a vu l’apparition d’un système de relations internationales fondé sur un équilibre entre des États souverains. Celui-ci « a permis l’émergence d’une organisation des nations occidentales particulièrement bénéfique sur les plans religieux et politiques ».
De fait, « jusqu’à une date assez récente, le soutien à l’indépendance ou l’autodétermination des nations était la marque d’un esprit généreux et d’une vision politique progressiste ».
Au XXe siècle, les guerres mondiales ont cependant favorisé un rejet de cette conception de l’ordre européen en raison des crimes imputés au « nationalisme » allemand, nonobstant le fait que Guillaume II et Hitler se réclamaient non d’une nation mais d’un Reich impérial (de natures évidemment différentes). Durant la lutte contre le nazisme, c’est d’ailleurs aux nationalismes britannique, américain, russe, etc., qu’en ont appelés les Alliés pour remporter la victoire face au rêve allemand de constitution d’un empire universel.
Yoram Hazony souligne également qu’« il est impossible d’interpréter la tentative allemande pour détruire les Juifs comme le résultat du principe westphalien d’autodétermination ».
Le paradigme libéral
Une pensée alternative, le libéralisme, était apparue dans le monde anglo-saxon, sous l’influence de philosophes tels que John Locke (1632-1704), qui préconisaient la liberté individuelle comme seul et unique principe fondateur de l’ordre social. Des penseurs comme le Prussien Emmanuel Kant (1724-1804) ont ultérieurement joué un rôle majeur, en posant la nécessité, en vue de garantir une paix durable, d’un droit unique régissant l’ensemble des relations humaines et interétatiques.
Au cours des dernières décennies, les libéraux « dogmatiques » [synonyme de « néolibéraux » ou de « globalistes »] ont supplanté leurs pairs plus nuancés [tel Alexis de Tocqueville, par exemple] qui équilibraient leur doctrine en se référant à des notions préexistantes à la pensée libérale, issues de la Bible, de l’observation de la diversité des sociétés humaines, d’un certain empirisme historique ou d’un scepticisme modéré.
Cette frange désormais dominante prétend avec emphase que la suppression des frontières et l’unification de l’ensemble de l’humanité amèneront la paix et la prospérité économique, des assertions comparables aux vieilles théories médiévales posant que l’Empereur ou le Pape devait gouverner la chrétienté pour son plus grand bonheur [Margaret Thatcher allait même jusqu’à affirmer : « There is no alternative » (TINA) » !]
C’est donc tout à fait logiquement que les électeurs britanniques et américains ont été voués aux gémonies après le vote du Brexit et l’élection de Donald Trump, de même que les dirigeants des pays européens qui refusent encore l’arrivée sur leur sol de migrants en provenance du Moyen-Orient.
L’Europe sous le joug de l’impérialisme libéral
Dans les « cercles éduqués », l’intégration à la mondialisation est donc perçue comme une évidence morale supérieure à une étape antérieure de l’Histoire caractérisée par des indépendances nationales marquées par des conceptions racistes et bellicistes.
Depuis la chute du Mur de Berlin, « les esprits des dirigeants occidentaux ont été colonisés par deux grands projets impérialistes » :
1/ Un « nouvel ordre mondial » dirigé par les États-Unis, qui prétendent offrir la paix et la sécurité au monde entier, notamment à leur protectorat européen ;
2/ L’Union européenne, véritable autocratie bureaucratique établie sous l’égide de l’Allemagne en vue de déposséder les pays membres de leur souveraineté.
Dans cette « version remise au goût du jour du vieil impérialisme », « le président américain joue de facto le rôle de l’empereur de l’Europe contemporaine », d’autant que « ni les Américains ni les Européens ne sont particulièrement favorables à l’alternative représentée par le réarmement allemand et la mise en place d’un empereur allemand ».
Le nationalisme, c’est la guerre ?
L’auteur récuse l’accusation la plus commune contre le nationalisme [reprise par François Mitterrand dans un discours sur l’Europe], à savoir que celui-ci serait un « vecteur de haine » alors que les théoriciens de l’impérialisme se soucieraient du bonheur de l’humanité.
Il existe effectivement des nationalistes qui haïssent leurs rivaux, mais les partisans des idéologies universalistes expriment souvent une « haine de l’universel pour le particulier » et une hostilité virulente dès qu’ils rencontrent une opposition réelle contre leur idéologie. « Une étincelle de destructeur, sur le plan intellectuel comme physique, se trouve en toute personne qui fait siennes les doctrines du Salut qui poussent les empires à naître. »
Les « campagnes de diffamation à l’encontre d’Israël » en constituent, selon lui, un exemple flagrant. En effet, du point de vue des libéraux universalistes, « si l’Allemagne et la France n’ont pas le droit d’exister en tant qu’États nationaux [indépendants], pourquoi Israël [considéré comme devant répondre aux critères moraux occidentaux] devrait-il avoir un sort différent » ?
La nécessaire cohésion interne des États
L’auteur réfute également le « mythe de l’État neutre » : « En réalité, c’est uniquement la cohésion tribale ou nationale qui permet à un État indépendant d’être fondé et de perdurer. »
Les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France ne constituent pas des exemples d’« États neutres ». Ainsi, cette dernière « a conservé au cours des siècles sa cohésion en ayant recours à des campagnes résolues et parfois violentes pour déraciner l’Occitan et d’autres langues perçus comme des menaces pour son unité ».
A contrario, « dans les régimes despotiques, le gouvernement est presque toujours contrôlé par un clan, une famille ou une tribu. Si certaines alliances viennent consolider leur domination, la grande majorité s’y tient coite sous l’emprise de la peur ou de la corruption ».
Il n’en ressort pas que l’ensemble de la population doit être originaire d’une seule nationalité, d’autant qu’« aucun pays ne fonctionne comme ceci sur terre », mais qu’« un État stable et libre a besoin d’une nation majoritaire dont la domination culturelle est entière et non discutable », ce qui lui permet d’accorder des droits et des libertés aux minorités sans nuire à son intégrité interne.
Les pensées alternatives à l’impérialisme libéral
Yoram Hazony observe trois catégories distinctes d’opposants au libéralisme dans la vie politique des nations occidentales :
1/ Les « néo-catholiques », qui ne regroupent pas tous les catholiques et attirent des partisans au-delà de cette religion. Ses partisans ambitionnent de remettre au goût du jour une théorie politique née à l’époque du catholicisme médiéval, en conciliant le respect des libertés individuelles avec la défense des valeurs traditionnelles, notamment la famille.
De façon paradoxale, ils sont souvent favorables à un régime de loi internationale outrepassant les prérogatives des gouvernements nationaux. « Leur soutien actif ou passif à l’impérialisme libéral sape la capacité des nations à maintenir leur indépendance sur les questions religieuses ou constitutionnelles. » En conséquence, « ils continueront à déplorer les conséquences dont ils chérissent les causes ».
2/ Les « néo-nationalistes » ou « étatistes », inspirés par les idées de Jean-Jacques Rousseau, qui ont souvent pris leurs distances avec les traditions religieuses tout en prônant la loyauté et les obligations de l’individu vis-à-vis de la collectivité. Les intéressés refusent le démantèlement de l’État au profit de l’Union européenne, de même que les transferts de pouvoirs à des organismes supranationaux.
L’auteur considère que « le néo-nationalisme fera peut-être sortir certains pays du giron libéral », mais que « sa fascination pour l’État et son peu d’intérêt pour la religion et les traditions morales nationales le videra de sa substance ».
3/ Les « conservateurs », qui « visent à établir et à défendre un ordre international d’États nationaux fondé sur les deux principes de la construction protestante : l’indépendance nationale et le minimum moral biblique », avec le souci constant de préserver les libertés individuelles.
Yoram Hazony se réclame explicitement de cette tradition d’origine anglo-américaine, issue de penseurs tels que John Fortescue (1394-1479), John Selden (1584-1654) ou Edmund Burke (1729-1797), seule à même, selon lui, de satisfaire les besoins de notre époque tout en constituant une alternative salutaire à l’empire libéral.
Il défend ainsi une « vision du monde fondée sur des principes qui estiment que le gouvernement optimal du monde advient lorsque les nations sont capables de concevoir leur propre trajectoire indépendante, de cultiver leurs propres traditions et de défendre leurs propres intérêts sans souffrir la moindre ingérence ».
Johan Hardoy
08/08/2023
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