Polémia a réuni trois témoignages, de sources différentes mais en parfaite concordance, émanant de Français ayant vécu ou vivant encore au Japon et connaissant bien les mentalités nipponnes. L’un de ces témoignages a été reçu directement de son auteur, contributeur de Polémia.
Comme d’habitude en pareille circonstance, l’emballement médiatique bat son plein, les ministres s’agitent, Sarkozy envoie des avions – les Japonais, troisième puissance économique mondiale en ont-ils réellement besoin ? – l’Europe, totalement impuissante et anesthésiée face aux situations qui la concernent directement, « proche de subir la fureur des tectoniques migratoires », fait de l’esbroufe à peu de frais, parle d’une Apocalypse… De l’émotion, des images bouleversantes, toujours de l’émotion et peu de concret !
Polémia propose à ses lecteurs ces témoignages qui, sans minimiser le drame, transpirent la sincérité.
Japon: le regard tordu des Occidentaux
Par Philippe Pelletier
La façon dont certains médias ont traité le jour même de ce que les Japonais appellent désormais le «gigantesque séisme du Tôhoku» révèle comment l’Occident regarde ce pays. Dès que la nouvelle de l’énorme secousse fut connue, tout le monde s’est inquiété du sort de Tokyo. Certes, le choc a été rude dans la plus grande mégapole du monde, les gratte-ciels ont tangué, le parking de Tokyo Disneyland a été inondé, des vitres ont été brisées, des maisons fissurées, mais, le lendemain, les autorités japonaises ne recensaient officiellement que cinq morts pour le département de Tokyo, autrement dit pas plus qu’un malheureusement banal accident de la route.
Mais cela n’a pas empêché les témoignages sensationnalistes et inutiles d’étrangers présents à Tokyo d’affluer sur les ondes. La palme du ridicule est revenue à un journaliste du service public de la télévision française qui, manifestement, avait eu très peur, mais qui se demandait avec morgue et condescendance comment les Tokyotes, le soir même, pouvaient-ils continuer à manger, boire dans les bars et même, pour certains, à draguer les jolies filles! Diable, les Japonais seraient-ils des extra-terrestres pour vivre dans un pays manifestement diabolique, pour oser penser à la vie, à se sustenter, et plus si affinité, au lieu de prier silencieusement pour la Terre-Mère qui s’est montrée ingrate?
En revanche, les informations sur ce qui s’est réellement passé sur le littoral du Tôhoku touché par le tsunami étaient délivrées au compte-goutte alors qu’un simple clic sur la Toile permettait d’en apprendre beaucoup. En effet, dès le 10 mars, jour d’un autre séisme dans la même zone, les services de surveillance étaient en alerte et sensibilisaient les populations. La JMA (Japan Meteorological Agency) annonçait «une semaine de vigilance». Le lendemain, le jour du grand séisme, l’alerte au tsunami est immédiatement déclenchée sur les zones côtières, par sirènes et haut-parleurs. Les habitants, qui disposaient d’une demi-heure pour réagir, se sont réfugiés en masse sur les hauteurs.
Autrement dit, les Japonais, bien organisés, ont fait face autant que possible au tsunami. Mais de ce fonctionnement collectif, prévoyant et bien organisé, limitant autant que faire ce peut les dégâts (les infrastructures routières ont tenu), nous n’en saurons quasiment rien. Tout pour Tokyo, rien ou presque pour la province. Bientôt, tout cela sera occulté avec l’incident dans la centrale nucléaire de Fukushima qui pose un grave problème, et d’un autre ordre.
Le président français s’est mis au diapason de la commisération et du sensationnalisme en annonçant avec gravité que la France allait « voir comment faire parvenir des équipes, des avions et des moyens » aux Japonais, comme si ceux-ci vivaient encore dans une brousse reculée et à l’âge de pierre! Les Japonais n’ont, heureusement, nul besoin des «avions français» (ou d’autres pays, d’ailleurs, sinon pour des motivations diplomatiques).
Décidément, le Japon n’a pas de chance. Il ne fait parler de lui que pour des catastrophes, rarement pour autre chose. De ce fait, il entre dans la rhétorique dominante sur les chocs et la fin du monde. En outre, les Japonais seraient décidément des êtres à part, passifs, mal organisés et assez fous pour vivre sur une telle terre. Dans ce miroir, l’Occident ne projette en fait que ses propres angoisses de mort, parfois à la limite du racisme.
Philippe Pelletier
Géographe, professeur à l’Université Lyon 2, l’auteur a écrit plusieurs ouvrages sur le Japon, où il a vécu pendant sept ans
Cyberpresse ca
13/03/2011
Tour d’horizon
Par Dominique Berthier
Transmis par Karl Strepkoff, président de l’association VAR
Chers Compatriotes,
Ayant décidé comme quelques autres Français de rester coûte que coûte dans la capitale nippone afin de faire preuve de solidarité avec nos amis japonais qui traversent un moment très difficile, il me semble nécessaire de vous apporter quelques informations apaisantes.
Tout d’abord, je souhaite souligner l’attitude absolument remarquable des Japonais qui vivent les catastrophes actuelles dans la sérénité, la discipline et la résignation. Quand on se promène dans les rues de Tokyo, on ne remarque rien: par de désordre, pas de pillages, pas de panique. Les linéaires des magasins qui ne proposaient plus dès vendredi dernier de lait ni de pain, reviennent même peu à peu à une situation normale (le lait notamment a refait son apparition et est parfois simplement limité à un litre par personne).
Si un tel drame était connu dans n’importe quel autre pays, il y aurait incontestablement chaos et instauration de la loi martiale.
Les Japonais sont donc actuellement en train de donner à tous les peuples du monde une formidable leçon de courage, de dignité et donc de vie.
D.B
16/03/2011
Afin de compléter ce petit tour d’horizon, je vous propose de lire le message ci-dessous de mon ami Dominique Berthier (architecte et entrepreneur) envoyé à la journaliste Sophie Verney-Caillat de Rue 89:
K.S.
« Je ne sais pas si ces quelques mots vous serviront de témoignage, mais c’est en tout cas ce qu’en tant que résident de longue date, je peux dire de la situation sur place.
Les nombreux problèmes de la centrale nucléaire de Fukushima, sont graves et quelque peu angoissants mais à mon avis pas aussi dramatiques que le laisse supposer l’ensemble des nouvelles qui parcourent la planète via x modes médiatiques. J’ai même l’impression que nous avons vécu au moins aussi grave quand je regarde en arrière. D’abord aucune comparaison avec le drame de Tchernobyl. Et depuis les années 50, combien de tests d’explosions atomiques aux États Unis, en Sibérie, en Océanie, sans oublier le Sahara près duquel j’ai vécu dans ma jeunesse ? Une grande partie à l’air libre. En comparaison, les émanations de la centrale nucléaire de Fukushima seront certainement d’une échelle moindre. Et même si ça ne dure pas, les vents semblent jusqu’à présent avoir évité soigneusement la direction de la métropole.
En ce qui concerne le tsunami qui a ravagé les côtes nippones, si les pertes sont bien entendu trop nombreuses, à nouveau, comparées au tsunami de 2004 qui avait assombri nos cœurs et endeuillé plus d’un quart de la planète, les pertes humaines ne devraient être en comparaison que de l’ordre de 5%.
Pour l’immense majorité d’entre nous, nous avons été épargnés, mais aussi nos familles, nos amis, nos partenaires et associés, leurs familles, leurs amis, etc. En bref, pour nous à Tokyo, les dégâts ont été mineurs en regard de la violence de la secousse qui s’est produite. Se faire plus de soucis qu’il n’en faut n’est pas, à mon avis, productif. Le choc passé, nous avons dorénavant le devoir de faire en sorte que l’économie n’en subisse pas les conséquences. C’est même un devoir vis à vis de ceux qui ont tout perdu et qui souffrent dans la région du Tohoku.
Pendant ce temps, près des 2/3 de nos compatriotes – sans doute les champions parmi les « gaijins » (NDVAR: étrangers) – ont soit quitté le Japon, soit se sont éloignés de la zone « sensible ». Les capitaines qui ont quitté le navire ne sont même pas rares… Comme la cause de cette panique ne provient pas de sources japonaises, il faut la rechercher dans les informations propagées par nos médias et nos responsables. Il est malheureusement à craindre que pour ces derniers, le principe de précaution, n’ait été l’occasion de dissimuler leur incompétence.
Bien cordialement.
Dominique Berthier »
Le Japon en direct par courriels
Augustin Vidovic
15 mars :
J’ai trouvé une page avec une très bonne présentation grand public de ce qui se passe dans ces deux centrales, en anglais (ne cherchez pas en français, cela fait longtemps que les media français et même les organismes gouvernementaux francais ne brillent que par leur ignorance et leur alarmisme) :
http://bravenewclimate.com/2011/03/13/fukushima-simple-explanation/
16 mars :
Vous pourrez trouver le dernier bulletin en date de TEPCO ici :
http://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/11031608-e.html
Les travaux sur le système de refroidissement ont bien avancé et le refroidissement des réacteurs arrêtés est en bonne voie.
Comme il faut plusieurs jours pour refroidir suffisamment un réacteur nucléaire que l’on vient d’éteindre (analogie : vous avez coupé le feu sous votre cocotte-minute, vous ne pouvez l’ouvrir immédiatement, elle doit se refroidir suffisamment d’abord, pour éviter de l’endommager), on va probablement encore attendre quelques jours de plus.
On fait allusion dans les nouvelles à sensation à un « incendie » : vous constaterez dans le rapport qu’il s’agit d’un feu decouvert à l’étage endommagé par un employé, qui était déjà éteint spontanément lorsque les pompiers sont arrivés quelques minutes plus tard.
Vous avez aussi probablement entendu parler d’un « saut de radioactivite » suivi d’une évacuation du personnel. Encore une exagération. Vous pourrez voir ce qu’il en est dans le bulletin qui suit.
Cet autre bulletin est uniquement en japonais, il montre les mesures de taux de radioactivité par le détecteur placé a l’entrée de la centrale, depuis le jour du séisme. Vous pourrez voir quelques pics, mais de courte durée, et cohérents avec d’autres rapports montrant que des efforts sont faits pour remplir la piscine endommagée dans laquelle on dépose les barres de combustible usagées pour les laisser refroidir (généralement quelques années) avant leur retraitement « à froid ». Comme cette piscine est située à l’étage détériorée par les explosions d’hydrogène, l’eau s’en est échappée et les barres usagées encore chaudes ont probablement laissé s’échapper un peu de poussière radioactive (analagie : des barreaux rouillés, la rouille pouvant se détacher en faible quantité et se répandre). Les chiffres sont la quatrième colonne.
http://www.tepco.co.jp/cc/press/betu11_j/images/110316e.pdf
Vous pourrez voir que, conformément a la réglementation, le personnel a été évacué pendant une heure lorsque le taux mesuré a brievement dépassé la dose réglementaire. Mais ils sont de retour sur place pour continuer les travaux.
Les médias tentent de faire passer cette situation pour un deuxième Chernobyl, alors que cela n’a strictement rien a voir. Cordialement.
18 mars :
Depuis hier, la situation s’est améliorée comme prevu et les pompiers ont pu verser de l’eau dans la piscine de stockage des barres usagées.
Les rapports de TEPCO publiés pendant la nuit montrent que les mesures de radioactivité mesurées a l’entrée de la centrale continuent de baisser regulièrement, comme on peut s’y attendre.
C’est vendredi aujourd’hui [date locale], je ne vois pas de raison pour entretenir la panique médiatique et l’indice boursier devrait remonter (mon travail dépend de la bonne santé de la bourse en ce moment, et les faiseurs de rumeur m’agacent profondement).
Témoignages réunis par Polémia pour ce dossier « Le Japon, vu autrement »
18/03/2011