Par Johan Hardoy ♦ Ancien haut fonctionnaire issu de l’ENA, Éric Verhaeghe a quitté l’administration pour exercer diverses fonctions patronales. Il anime « Le Courrier des Stratèges » tout en défendant des convictions libertariennes. Son livre Le Great Reset – Mythes et réalités propose une critique claire et argumentée de l’ouvrage « Covid-19, La Grande Réinitialisation » (« Great Reset », en anglais), publié en 2020 par l’Allemand Klaus Schwab, fondateur du Forum de Davos, et le Français Thierry Malleret, ancien conseiller de Michel Rocard.
Un programme pour des lendemains qui déchantent
Bien que le « Great Reset » soit au cœur des travaux du Forum de Davos, la presse de grand chemin reste silencieuse au sujet de ce programme véritablement révolutionnaire (au sens néo-libéral). Ceux qui osent l’évoquer se voient immanquablement taxés de « complotisme », une accusation d’autant plus grotesque que le livre de Schwab et Malleret est largement accessible au grand public.
Selon ces auteurs, l’épidémie de coronavirus constitue une occasion historique idéale pour accélérer la « quatrième révolution industrielle », celle de la digitalisation, en éliminant les obstacles réglementaires, politiques et sociétaux qui en retardent encore l’émergence.
Le développement de l’intégration des technologies numériques dans les processus économiques et sociaux verrait enfin éclore l’ère radieuse du télétravail et de la surveillance en temps réel de la circulation des personnes et de leurs échanges, justifiés publiquement par des préoccupations sanitaires et écologiques.
Les auteurs recommandent donc vivement aux dirigeants politiques de faire durer autant que possible l’urgence sanitaire afin de modifier les comportements en profondeur et de mettre en œuvre les réformes réglementaires nécessaires à la numérisation des rapports sociaux.
À ce stade, Éric Verhaeghe s’interroge sur l’influence réelle de ces recommandations sur la conduite des politiques publiques. Schwab est-il réellement ce que certains voient en lui, à savoir le porteur d’un projet de Nouvel Ordre Mondial fondé sur une dictature internationale autoritaire ?
Quoiqu’il en soit, son discours correspond indéniablement au credo d’une certaine élite qui travaille à la constitution d’entités « régionales » telles que l’Union européenne (citée en exemple), tout en cherchant à contrer l’influence des États-nations, et surtout des nations, jugés rétrogrades, protectionnistes et frileux.
« La Grande Réinitialisation » – Le plaidoyer cynique de Davos pour un monde post-covid
Une pandémie qui tombe à pic pour un projet techno-autoritaire
Les élites mondialisées se sont ralliées à une conception autoritaire, de plus en plus rétive à la démocratie, qui constitue la pierre angulaire du projet porté par la « Grande Réinitialisation ». De fait, leur mode de gouvernance se révèle de moins en moins respectueux des droits de l’homme, notamment de la vie privée.
En opposant, dans une logique binaire, la perspective idyllique d’un progrès naturel de l’humanité et le caractère « rétrograde » du monde ancien, Schwab et Malleret indiquent prônent une feuille de route que la pandémie de Covid a opportunément accélérée.
Jamais, en un laps de temps aussi court, autant de pays dans le monde n’avaient décidé d’interrompre leur fonctionnement collectif pour enrayer la propagation d’une maladie à la létalité relativement faible si on la compare à la peste ou même à la grippe espagnole. Les dégâts économiques engendrés par le ralentissement des économies sont énormes, supérieurs à 10 % du PIB dans des pays comme l’Espagne ou l’Italie.
Au-delà des bénéfices fantastiques engrangés par l’industrie pharmaceutique et ses obligés, beaucoup sont désormais convaincus que cet événement exceptionnel et la suspension des libertés qui a suivi ont été intégralement orchestrés dans un but de soumission des peuples.
Éric Verhaeghe penche davantage pour l’hypothèse, initialement qualifiée de complotiste, d’une contamination accidentelle provenant d’un laboratoire de l’Institut de virologie de Wuhan, mais ce scénario n’exclut pas, bien au contraire, que des gouvernements aient profité de la pandémie pour instaurer un état d’urgence très commode dans un dessein politique plus large.
L’urgence sanitaire justifie donc la perspective schwabienne, très répandue chez les élites transnationales, d’un monde complexe où des décisions rapides doivent être prises par une caste supérieure s’appuyant sur un aréopage d’experts médiatisés, par-delà la masse des citoyens jugés imbéciles, des populistes et autres Gaulois réfractaires.
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L’étrange conversion de Davos à l’écologie
Le livre de Schwab et Malleret consacre le ralliement des éminences grises du capitalisme mondialisé aux grandes thématiques écologiques, en rupture avec la logique productiviste antérieure. Les auteurs promeuvent ainsi un modèle économique respectueux de la nature (allant même jusqu’à évoquer « Mère Nature » !), tout en dénonçant la « tyrannie du PIB » [mais pas les déplacements en jet privé ou en voiture polluante, quand même !].
Leur intention ne consiste évidemment pas à préconiser une décroissance économique, considérée comme déraisonnable, mais tout bonnement à sauvegarder le modèle de production dominant en le parant d’habits écologiques, sociaux et sociétaux. La transition énergétique et l’économie verte sont également censées permettre aux grandes entreprises de retrouver des rendements croissants dans les années à venir.
Se dessinent ainsi les contours d’une société future reposant sur deux piliers et actant de fait la disparition programmée des classes moyennes : d’un côté, les vainqueurs de la mondialisation ; de l’autre, le reste de la population qui bénéficiera d’aides en tous genres pour continuer à consommer [un peu, écologie oblige !] afin de dégager du profit pour la minorité dirigeante.
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Le radieux modèle chinois
Le monde souhaité par Schwab et Malleret est celui où le modèle chinois se généralise. Les auteurs ne dissimulent d’ailleurs guère leur fascination pour une société de surveillance et de contrôle des individus où les libertés publiques et individuelles seraient renvoyées à un passé révolu.
De façon à première vue étonnante, les élites néo-libérales se sont donc converties subitement à l’administration étatiste des activités économiques et sociales. Dans cette perspective, le rôle dévolu aux États sera, outre le contrôle de populations toujours potentiellement revendicatives, d’intervenir financièrement pour sauver les marchés en difficulté, quitte à endetter massivement les contribuables et les générations à venir [selon une logique de privatisation des bénéfices et de socialisation des dettes superbement illustrée lors de la crise financière de 2008].
Une misérable « langue de coton »
Éric Verhaeghe souligne avec pertinence que « la qualité et le manque de profondeur des analyses présentées par le Great Reset laissent un peu perplexe. Très souvent, les auteurs se contentent de quelques banalités pour dessiner l’avenir ». Le fait que ces dernières soient entendues dans les dîners en ville « confirment que nos élites ne sont guère intellectuellement impressionnantes ».
Parmi nos dirigeants infatués, « des esprits brillants comme celui de Bruno Le Maire, qui se pense comme un grand intellectuel, ou d’Emmanuel Macron, que la presse subventionnée a pensé grand intellectuel, sont d’une vacuité effective suffisamment prononcée pour se nourrir avec gourmandise du sabir de Schwab et Malleret ».
L’idéologie des élites mondialisées s’exprime ainsi sous la forme d’une « pensée labyrinthique qui suggère les choses sans jamais les dire ».
[Ces réflexions ne sont pas sans rappeler les analyses pertinentes du regretté François-Bernard Huygue sur le règne actuel de la « soft-idéologie », mélange de gestion conservatrice et de rêves soixante-huitards, et sur l’emploi par les dominants d’une « langue de coton » composée de mots creux destinés à masquer l’essentiel et à être interprétés par chacun dans le sens qui lui conviendra.]
C’est donc, comme le dit encore Éric Verhaeghe, « sur cette influence et sur ses dangers qu’il faut batailler ».
Johan Hardoy
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