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Le délitement du cérémonial

Le délitement du cérémonial

par | 15 août 2022 | Société

Le délitement du cérémonial

Polémia prend ses quartiers d’été, tout en gardant un œil attentif sur l’actualité. En attendant la rentrée, la publication de textes inédits se poursuit mais vous retrouverez également chaque jour l’un des articles les plus consultés depuis l’été dernier sur Polémia. Aujourd’hui, retour sur un article qui évoque le déclin de notre pays.

Par Thierry Decruzy, journaliste ♦ « Sans le cérémonial tout meurt » a dit Cocteau et le cérémonial est important puisque l’homme un animal social, selon Aristote. Depuis Napoléon, les liens collectifs s’expriment dans le cérémonial militaire, c’est donc l’armée qui a en charge cette véritable liturgie. On peut l’observer à l’Arc de triomphe ou encore le 14 Juillet. Les cérémonies rythment la vie officielle, sans elles plus de solennité ni de respect des institutions, le sacré disparaît. Le protocole des cours de justice en est une autre illustration. Leur dégradation est donc significative.

Aujourd’hui, la rigueur du protocole parait souvent pesante et n’est plus comprise, ainsi les marques de respect ont tendance à s’alléger, voire disparaître comme celles qui étaient dues aux instituteurs. Les sonneries ont bien disparu de la vie des casernes avec la professionnalisation. Une observation attentive des cérémonies militaires actuelles révèle certaines imprécisions dans les gestes collectifs, des défauts d’ensemble et décalages dans le pas cadencé[1]. Une exécution irréprochable nécessite de l’entraînement et prend du temps, elle impose un engagement individuel et collectif qui est difficile à maintenir dans un contexte de réduction de coûts et d’efficacité, amplifié par l’individualisme et les nouvelles règles de distanciation. Mais un cérémonial qui n’est plus exécuté correctement traduit un manque de respect, voire un rejet. Si les dégradations s’accentuent, on se dirige vers une simplification, voire une suppression de ces gestes collectifs coûteux et improductifs, ainsi les délégations sportives aux Jeux olympiques n’ont pas besoin du pas cadencé pour gagner des médailles et des enregistrements suffisent lors des podiums.

En prenant modèle sur les entreprises privées, on viendrait à considérer que le cérémonial n’a rien d’indispensable, il serait même dispendieux et chronophage. En l’allégeant, comme elle le fait actuellement, l’armée ne fait que refléter l’évolution des comportements de l’ensemble de la société où les marques de respect et de courtoisie ont tendance à s’effacer, les mesures sanitaires n’ayant rien arrangé. Déjà dans les cérémonies officielles civiles, l’usage de l’enregistrement est devenu un palliatif pour les repères sonores. La clochette des prétoires n’a pas besoin d’un instrumentiste, mais pour une inauguration, une commémoration, un anniversaire ou autre, il faut bien marquer le début et les grands moments de la cérémonie. Un signal sonore est indispensable, sauf qu’il n’existe plus de musiciens civils capables de fournir ces prestations et les militaires ne sont plus formés par les régiments. Les sociétés sont composées d’êtres humains, faits de chair et d’os. Les cérémonies censées exprimer les liens sociaux, montrer qu’ils sont vivants, doivent aussi les incarner. Ainsi, l’incapacité à fournir un musicien capable d’émettre un son naturel et son remplacement par un son artificiel est une attitude qui traduit une incapacité à incarner les liens collectifs. Consciemment ou non, elle est perçue par tous.

Les dirigeants actuels se croient capables de remettre en cause les plus anciennes règles de fonctionnement de nos sociétés. Pourtant on retrouve ces gestes collectifs depuis la plus haute antiquité et dans toutes les civilisations. Il suffit de se reporter aux bas-reliefs mésopotamiens, aux fresques égyptiennes, aux colonnes romaines pour observer des soldats hiératiques affirmant leur cohésion dans une gestuelle commune. Elle peut être accentuée par le sculpteur, mais traduit clairement un objectif unitaire.

Passée totalement inaperçue, la récente démission du chef de la musique de la Garde républicaine s’inscrit dans ce contexte général. En effet, son orchestre composé de musiciens professionnels est en charge du cérémonial au plus haut niveau de l’État, celui du Président de la République. La seule autre démission remontait à Gabriel Parès en 1910. A l’époque, elle témoignait des limites d’un système qui avait couvert l’empire français de kiosques à musique. Écrasé sous les sollicitations, le chef de musique de la Garde avait posé sa baguette ; la Grande Guerre et la TSF apportaient ensuite leur réponse. La situation est plus grave aujourd’hui puisque le cérémonial est en jeu. Il n’est pas question des goûts musicaux du Président, comme il les donne à entendre à l’Élysée lors des fêtes de la musique, mais de la qualité d’exécution de la liturgie collective. D’après la constitution, le chef de l’État est le garant des institutions, ainsi l’indifférence dans laquelle est tombé le cérémonial officiel traduit une indifférence à l’égard des institutions. Elle est confirmée par le taux d’abstention aux dernières élections. Signal faible ou signal fort, la musique ne fait que rendre compte de l’état des sociétés. Si Cocteau dit vrai, il est temps d’intervenir.

Thierry Decruzy
Article initialement publié le 08/09/2021

[1] Une exploration des vidéos sur internet en donne un aperçu.

Crédit photo : Ian Taylor [Domaine public]

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