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Le déficit démocratique de l’Europe

Le déficit démocratique de l’Europe

par | 14 octobre 2014 | Géopolitique

Le déficit démocratique de l’Europe

Les eurosceptiques, souverainistes et autres réfractaires au projet européen ont fait un score remarqué aux dernières élections parlementaires européennes. Leurs griefs majeurs et récurrents contre l’organisation politique de l’Union européenne tiennent en deux mots : déficit démocratique. Par Arnaud Dotézac, directeur des rédactions, Market magazine, Genève.

« À nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre. »

En quoi la construction européenne, imaginée par Jean Monnet et quelques autres, se serait-elle détournée des grands principes démocratiques tels que formulé par Abraham Lincoln, dans sa célèbre adresse de Gettysburg (1863) : « à nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre. » C’est ce que nous allons tenter d’explorer.

Le déficit démocratique parlementaire

La notion de déficit démocratique de l’Europe n’est pas nouvelle. Elle a été formulée pour la première fois par l’universitaire travailliste anglais David Marquand en 1979. Il soulignait déjà la faiblesse de la représentation populaire de la Communauté économique européenne, du fait que son « Assemblée commune », créée en 1957, avait dû attendre plus de 20 ans (1979) avant de pouvoir être simplement élue au suffrage universel. Et encore, elle n’avait toujours qu’une simple fonction consultative. C’est finalement le Traité de Maastricht (1992), près de 40 ans après les Traités fondateurs, qui donna aux députés européens un pouvoir de « codécision », avec le Conseil de l’Union européenne (l’ancien Conseil des ministres de la CEE).

Sans entrer immédiatement dans les arcanes de la répartition des compétences législatives de l’Union européenne, on relèvera d’emblée que le Parlement ne dispose toujours pas de ce qui fait l’essence d’une représentation démocratique : le droit d’initiative législative, le droit de faire des propositions de lois. C’est en effet la Commission européenne qui en a le monopole. La seule chose que le Parlement puisse faire, pour espérer discuter d’un objet de son choix, c’est de demander à la Commission de bien vouloir lui concocter une proposition, ce qu’elle peut toujours refuser. Un parlement dont les membres ne peuvent pas proposer de lois, nous semble neutraliser totalement l’idée que les députés européens exercent un mandat classique de représentation de leurs électeurs, puisqu’ils ne sont, en toute hypothèse, pas maîtres du programme politique de leur législature. D’ailleurs, ce Parlement européen ne représente pas davantage un « peuple européen », le démos de démocratie. Ce n’était pourtant pas faute d’y avoir pensé du temps du Traité de Rome, lequel se fondait sur une représentation « des peuples des États réunis dans la Communauté » (art.137). Or, depuis le Traité de Lisbonne (2009) on parle de « citoyens de l’Union européenne ». Pourquoi a-t-on furtivement remplacé « peuples des États » par « citoyens de l’Union » ? Une anecdote sémantique ? Pas vraiment. En effet, la notion de peuple est déterminée par de nombreux facteurs, parfois très spécifiques et donc variables d’un pays à l’autre, incluant notamment son pacte social, son origine commune à plus ou moins long terme, sa langue, sa culture, sa religion, ou encore son autodétermination. Représenter un peuple, c’est représenter toutes ses variables mais aussi les protéger. Du même coup, l’ancienne rédaction des Traités privilégiait un modèle politique plutôt confédéral, c’est-à-dire de coopération inter-étatique, préservant la souveraineté nationale des États y adhérant et l’identité de leurs peuples respectifs, soit précisément ce qu’a toujours tenté de dépasser le projet européen depuis sa création.

En revanche, désigner une représentation parlementaire de « citoyens européens » renvoie à un statut d’État fédéral, c’est-à-dire la réunion de plusieurs États en un seul, moyennant une renonciation au moins partielle de souveraineté en faveur d’un pouvoir central, auquel une souveraineté subsidiaire mais supérieure est reconnue, tout cela sur un territoire unifié, bordé de ses propres frontières. Un tel modèle repose nécessairement sur une double loyauté nationale et fédérale de ses citoyens, provenant elle-même d’une conscience collective assumée. Il correspond bien aux souhaits des Pères fondateurs.

Pour autant, l’Europe ne possédant ni territoire propre, ni de frontières fédérales qui constitueraient son espace de souveraineté exclusif, elle n’est pas un

État. N’étant pas un État, elle ne peut conférer de citoyenneté européenne première. Il en résulte que la notion de « citoyen de l’Union européenne » est une qualification juridique très ambiguë puisqu’elle renvoie à un type d’organisation politique qui n’existe pas. La très discrète suppression d’une référence « aux peuples des États » européens, est dès lors éminemment politique en ce qu’elle vise à affaiblir les sentiments d’appartenance à des territoires nationaux et à anéantir le concept d’État-nation, qui en est le corollaire, sans pour autant constituer un État fédéral. Ce faisant, elle témoigne symboliquement de plusieurs choses très significatives. Elle confirme que la décision furtive, secrète et non débattue est une méthode européenne de gouvernement caractéristique ; elle rappelle qu’après 63 ans de construction européenne, on n’a pas encore réussi à demander ouvertement aux citoyens-premiers des États membres s’ils voulaient, oui ou non, constituer un État fédéral ou une authentique confédération ; elle signale que la « méthode Jean Monnet » consistant depuis l’origine à contourner la souveraineté populaire pour édifier l’Europe, est toujours à l’œuvre. Son idée-force fut en effet de toujours faire tendre les États membres vers un système fédéral, mais sans jamais recourir à un acte constitutionnel fondateur, qui aurait impliqué l’intervention et le choix assumé du peuple souverain. (cf. encadré « Méthode Jean Monnet »*). Comment espérait-il dès lors réussir à imposer un pouvoir supranational ?

L’un des coups de maître de Jean Monnet fut de créer à cet effet, une juridiction supranationale, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), qui disposait du droit, et peut-être même du devoir compte tenu du mode de recrutement occulte de ses juges à l’époque, de reprendre la légitimité de cette méthode à son compte. Il suffisait pour cela que la Cour puisse disposer de la compétence de sa compétence, c’est-à-dire qu’elle puisse décider elle-même ce qui devait entrer dans la sphère du droit européen qu’elle contrôle. En l’absence d’une constitution fondatrice et hiérarchiquement supérieure, qui seule aurait pu poser de telles limites, la CJCE s’est retrouvée à devoir en décider par elle-même. On a ainsi constitutionnalisé l’Europe par les juges, pas par le peuple.

La CJCE fut l’instrument de sape des souverainetés nationales. Dès 1963, elle posait le principe de « l’effet direct » de la norme européenne, c’est-à-dire la capacité pour les institutions européennes élues et non élues, de produire un droit qui s’impose directement aux États membres.

Cela fut fait sans que les représentations démocratiques nationales aient eu leur mot à dire, sans que les peuples en aient eu la moindre conscience. Un an plus tard, et toujours sans débat offert aux peuples européens, elle consacrait le principe de « primauté absolue du droit communautaire » sur le droit national, antérieur et même postérieur, y compris face à une norme constitutionnelle contraire. D’autres initiatives prétoriennes suivirent, qu’il serait trop long de détailler ici.

Un coup d’état permanent judiciaire

Quelle fut la portée de ce véritable coup d’État judiciaire ? Pour la comprendre, il suffit de rappeler que la construction européenne s’est toujours réalisée juridiquement par la signature de traités internationaux successifs (une cinquantaine au total). Or, pour produire ses effets à l’égard des États membres, chaque traité doit, sauf exceptions, être ratifié par ses instances parlementaires nationales. Il doit alors affronter une double sécurité démocratique :

  1. cette ratification doit être votée et donc faire l’objet d’un débat public,
  2. la teneur de ce traité doit être conforme aux constitutions de ces États, qui demeurent des normes hiérarchiquement supérieures à toutes lois et tous traités.

Partant de là, les fondateurs de l’Europe et leurs dignes héritiers ont pu légitimer l’apparence démocratique de leur construction. Ils ont expliqué qu’elle procédait des diverses délégations très classiques, contenues dans des traités internationaux parfaitement réguliers, eux-mêmes respectueux des procédures politiques nationales. Seulement voilà. Les principes d’effet direct et de primauté du droit européen, sont, comme on vient de le voir, de pures créations jurisprudentielles et n’ont jamais été inclus dans aucun traité. Ils vident pourtant intégralement de son contenu cette double sécurité démocratique évoquée plus haut. Avec eux, plus besoin de loi de ratification, plus besoin de conformité constitutionnelle. Quant aux textes nationaux antagonistes, ils seront nuls, fussent-ils l’expression de l’initiative populaire souveraine, comme elle existe en Suisse. Même les ordres judiciaires nationaux deviennent mécaniquement les agents de la CJCE, puisqu’ils doivent appliquer directement le droit européen, sans égard au droit national le plus sacré. Les 28 juges européens supranationaux ont donc tout simplement annihilé le système de souveraineté populaire. Qu’un tel tour de force soit passé aussi rapidement et aisément, démontre l’intelligence de l’équipe de Jean Monnet. D’autant que ces juges, qui sont nés de son imagination, et qui sont encore nommés directement par les politiques, n’ont eux-mêmes aucune responsabilité envers les États membres. Le fait qu’ils continuent d’être nommés par consensus du Conseil, sur proposition directe des gouvernements nationaux, n’en est que plus déconcertant. Quant aux négociations actuelles visant à donner une compétence supranationale à la Cour de Justice de l’Union Européenne en Suisse, elles méritent véritablement qu’on en prenne toute la mesure systémique, en se souvenant de la réflexion prophétique de Montesquieu : « Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice».

Monnet et son équipe, mais également ses commanditaires américains de l’époque, ont donc ainsi créé un mécanisme d’évidement progressif et irréversible des compétences souveraines nationales, au profit d’institutions supranationales et de leurs myriades de délégations et agences diverses, dont les peuples sont loin de mesurer l’ampleur des pouvoirs aujourd’hui. Il ne restera bientôt plus qu’à célébrer la naissance de facto d’une Europe fédérale par défaut, qui aura fait l’économie d’une fondation constitutionnelle, émanant du peuple souverain.

Cette stratégie pouvait à la rigueur se comprendre au lendemain de la seconde guerre mondiale, afin de neutraliser les nationalismes qui, dit-on encore, constitueraient le facteur déclenchant des conflits armés. Mais, outre le fait qu’un tel diagnostic est aujourd’hui périmé au regard des guerres civiles, ethniques, religieuses ou simplement commerciales qui ont cours en ce moment sans justifications nationales, l’héritage de Jean Monnet et de son équipe, a tout de même puissamment marginalisé la tradition démocratique de l’Europe, ce qui est en soi contestable. Il semble donc que la situation déficitaire de la démocratie constatée par David Marquand soit toujours d’actualité. Pour le vérifier plus avant, tentons à présent de mieux cerner quelques éléments-clés du circuit législatif européen.

Alors que certains observateurs décrivent benoîtement l’image d’un partage des pouvoirs européens, presque banal, entre un exécutif (la Commission), une représentation des États membres (le Conseil) et une représentation populaire (le Parlement), la réalité est tout autre. Dans le chantier de « construction européenne » qui est encore béant depuis 63 ans : point de séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Et surtout, point de responsabilité politique à l’égard du peuple. Commençons par la Commission européenne.

L’irresponsabilité politique de la Commission européenne

Conformément au modèle imaginé par l’équipe de Jean Monnet, les commissaires européens sont totalement indépendants des gouvernements de leur pays d’origine, profitent de l’immunité diplomatique et sont en outre quasiment irrévocables pendant la durée de leur mandat. Outre le fait qu’ils soient généreusement rémunérés, ce qui joue en faveur d’une forte solidarité collective, il n’est pas étonnant qu’ils aient pu développer un certain sentiment de toute-puissance. C’est sans doute ce qui a pu faire dire à Mario Monti, l’ancien commissaire européen (1995-2004) puis chef du gouvernement italien, qu’il appréciait la démocratie, certes, mais à la condition qu’elle ne soit pas « en prise avec les aléas de l’humeur de l’électorat » ou encore, que sa passion pour l’Europe tenait notamment au fait qu’elle était suffisamment « éloignée des contraintes électorales »… En d’autres termes : qu’il était doux de travailler entre soi, sans avoir à mériter sa légitimité d’un peuple qui ne sera de toute façon jamais souverain. Car en effet, en s’exprimant ainsi Mario Monti n’a en rien trahi l’idéologie des fondateurs de l’Europe, comme Walter Hallstein, Pierre Uri ou Paul Reuter (cf. encadré page 30 « Origines idéologiques de l’Europe »*).

Pourtant, vaste est le spectre de ses décisions contraignantes, tandis que leur nombre se compte en dizaines de milliers. La Commission peut en outre déléguer ses trois compétences à des « agences européennes » qui travaillent sous son seul contrôle. Aujourd’hui au nombre d’une cinquantaine, elles gèrent un budget qui dépasse les 2 milliards d’euros et emploient plus de 6000 personnes ! Elles n’ont évidemment aucun compte à rendre au public.

Voici donc une institution supranationale largement irresponsable et non élue, qui concocte la norme applicable à 28 États, qui décide souverainement des sujets qui doivent être traités par le Conseil et le Parlement européen et qui, en outre, travaille à huis clos. Quelle est donc sa légitimité ? Les spécialistes sont unanimes : la Commission tire sa légitimité de son respect des règles de droit. Walter Hallstein, premier président historique de la Commission européenne (1958-1967) ne saurait mieux l’exprimer : « La Communauté économique européenne est un phénomène juridique remarquable. C’est une création du droit ; c’est une source de droit ; et c’est un système juridique ». Il ne faisait que promouvoir le modèle de la limitation de la souveraineté politique par le droit, tel qu’idéalisé et professé par ses mentors américains (cf. encadré page 28 « Walter Hallstein »*). C’est le modèle qui leur convenait le mieux pour substituer une gestion purement rationnelle des rapports sociaux au jeu trop humain, changeant et incertain des politiques démocratiques. Ce qui est fondamental dans le système européen passé et présent, ce n’est plus l’investiture par le peuple, c’est le respect des règles que les institutions se donnent à elles-mêmes. Sauf qu’une telle organisation a un nom : autocratie. Et c’est un fait qu’elle transpire de la lecture de chaque ligne normative produite par l’Union européenne, dans un cycle autoréférentiel et inaudible au peuple. Le philosophe allemand Jurgen Habermas, pourtant très europhile, n’hésite plus à décrire le système européen comme une « autocratie post démocratique». La suite de l’examen du processus législatif n’est guère plus rassurante.

En matière législative, on l’a dit, la Commission dispose du monopole de l’initiative, alors qu’elle n’a, en réalité, aucun mandat politique populaire, malgré l’investiture symbolique de ses membres par le Parlement. Selon la Procédure législative européenne ordinaire, la Commission transmet ses projets de textes (directives, règlements, décisions, etc.) au Parlement qui peut communiquer au Conseil les amendements souhaités. Dans ce circuit, on assimile souvent le Conseil à une sorte d’assemblée sénatoriale, un chambre haute, chargée de défendre les intérêts des États membres, du fait qu’il est composé de représentants de chacun d’eux. C’est loin d’être le cas.

Le Conseil de l’Union européenne

En réalité, le Conseil n’est pas composé d’élus mais de 28 ministres en poste dans leur pays d’origine (1 par État) et se réunissant par spécialités, en fonction des sujets à l’ordre du jour. Peu d’Européens ont ainsi conscience qu’à chaque fois qu’un de leurs concitoyens est nommé ministre de leur gouvernement national, il devient automatiquement membre du Conseil et donc du même coup ministre-législateur, pour les matières touchant à son dicastère. Autrement dit, un membre de l’exécutif national est investi automatiquement et sans vote, d’un rôle supranational de première importance, puisque les pouvoirs législatifs du Conseil sont supérieurs à ceux du Parlement européen. C’est en effet le Conseil et non le Parlement qui « adopte » les textes votés en procédure ordinaire, sans parler des « procédures spéciales » qui limitent le rôle du Parlement au seul droit d’enregistrer en bloc et sans amendement (dérogations monétaires), de poser un veto (modification des Traités, nouvelles adhésions), ou encore d’être simplement consulté (droit de la concurrence, accords internationaux).

Même en procédure ordinaire, le Conseil dispose en outre, avec la Commission, d’un droit d’ingérence direct dans les travaux du Parlement dès l’étape d’examen préliminaire des textes en commission parlementaire. En effet, des experts du Conseil, notamment des diplomates spécialement délégués, accompagnés de représentants de la Commission, vont personnellement contribuer à l’élaboration du texte aux côtés des élus. Dans cette procédure, au départ totalement informelle, dite des « trilogues », le Conseil et la Commission coproduisent un texte convenant à tous, avant même un premier vote du Parlement en session plénière. Les projets ainsi conçus, qui forment la majorité du travail des députés européens, seront adoptés en l’état, sans débat public et à la chaîne. On constate ainsi que non seulement l’étanchéité des organes législatifs et exécutifs n’est pas respectée, que le rôle de forum du parlement est parodié, pour ne pas dire vidé de sa substance, mais également que le texte voté sera issu d’un accord pris en commission particulière, et sans compétence à cet effet, au lieu de l’être par le Parlement dans son ensemble, seul compétent pour un vote final après débat. Nous avons évoqué ici l’intervention de diplomates travaillant pour le Conseil. Que viennent faire des diplomates dans l’élaboration des lois ?

Leur apparition dans le travail du Conseil remonte aux origines de la CECA en 1953, laquelle dota les ministres-législateurs d’un comité de coordination pour faciliter leurs travaux. En général inconnu du public, celui-ci fut officialisé par le Traité de Rome en 1957, sous le titre de Comité des représentants permanents (Coreper), tandis que ses membres furent élevés au rang d’ambassadeurs et établis de façon permanente à Bruxelles. Ce sont eux qui, en pratique, négocient les textes (cf. encadré « Coreper »*).

Cela étant, le Conseil n’est pas que le législateur de l’UE, il coordonne les grandes orientations des politiques économiques des États membres, approuve le budget annuel (alors que le Parlement peut seulement le désapprouver) et peut même décider seul de l’allocation des aides européennes aux États dans certains cas. Dans les relations extérieures, c’est lui qui signe les accords internationaux entre l’UE et les pays tiers et qui définit la politique étrangère et de défense de l’UE, qui sera mise en oeuvre notamment par le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), dirigé par le Haut représentant aux affaires étrangères (Catherine Ashton, jusqu’à fin octobre 2014). C’est aussi à lui qu’il incombe de coordonner la coopération entre les tribunaux et les forces de police des États membres. Enfin, le Conseil exerce une fonction exécutive qu’il délègue dans la plupart des cas à la Commission pour la mise en oeuvre des règles européennes.

La comitologie

Grâce aux délégations de pouvoir du Conseil, la Commission légifère directement. Toutefois, pour pallier au risque de la voir prendre trop d’influence, les fonctionnaires ont inventé, dès 1966, les procédures de « comitologie ». Ce n’est ni une science relative au travail en comité, ni une erreur de syntaxe, ni même de l’humour d’autodérision des fonctionnaires européens. Même si sa dénomination a changé avec le Traité de Lisbonne, la comitologie reste un système permettant aux États membres de s’assurer de la meilleure compatibilité possible des textes avec leurs réalités nationales. Ce qui est aujourd’hui une forme de contrôle, s’exerce au sein de centaines de comités ad hoc, composés de fonctionnaires nationaux et de représentants de la Commission.

Que nous révèle ce très bref survol de quelques éléments seulement du très complexe circuit législatif européen ? Nous avons constaté que la souveraineté des États membres est aspirée au bénéfice des institutions européennes par l’effet de suprématie absolue du droit européen. Le principe de suprématie des constitutions nationales, qui traduit normalement l’expression la plus haute des souverainetés populaires, s’est depuis longtemps laissé dissoudre dans un droit conçu et contrôlé par des experts, eux-mêmes irresponsables politiquement et protégés diplomatiquement. Au peuple souverain se sont substitués des fonctionnaires qui produisent ce droit n’émanant que d’eux-mêmes, générant un modèle autocratique au sens propre du terme. Les valeurs qui sous-tendent le projet européen sont issues d’une idéologie qui méprisait le modèle démocratique et d’une puissance étrangère qui défendait ses propres intérêts stratégiques, ce qu’elle continue de faire aujourd’hui sans grand changement de méthodes, tant elles se sont avérées efficaces. À y regarder de près, on comprend mieux en quoi le débat actuel sur un transfert de compétence à la Cour de Justice de l’Union Européenne touche à la constitution même de la Suisse dans la place qu’elle garantit au peuple comme souverain.

On se dit alors, que la pérennité de l’îlot démocratique suisse est plus précieuse et fragile qu’on ne le pense.

 Arnaud Dotézac
Source : Market magazine n°117
25/07/2014

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