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Le déclin de l’Empire Américain

Le déclin de l’Empire Américain
Le déclin de l’Empire Américain

Si les États-Unis de Georges W. Bush sont si agressifs dans leurs relations internationales, ce n’est pas par conscience de leur hyperpuissance. C’est au contraire qu’ils se sentent en déclin. Telle est la thèse iconoclaste que défend le démographe et sociologue Emmanuel Todd dans Après l’Empire, son dernier livre décoiffant.

Pas de parti-pris

Alors que Georges W. Bush semble guetter le moindre prétexte pour attaquer l’Irak de Saddam Hussein, le monde ne cesse de s’inquiéter de « l’hyperpuissance » américaine et de sa politique extérieure unilatérale et belliqueuse. Emmanuel Todd entend montrer que le comportement actuel des États-Unis n’est pas celui d’une hyperpuissance qui, seule, dominerait le monde, mais bien au contraire celui d’un empire sur le déclin. Évitant aussi bien l’anti-américanisme que l’américanophilie, l’auteur cherche à dégager « un modèle explicatif satisfaisant » du comportement des USA. Pour cela, il fait appel à la démographie, mais aussi à l’économie, à l’anthropologie, à la géostratégie. Il parvient ainsi, au-delà de la seule vision de la perte de puissance des USA, à élaborer une grille d’analyse destinée à comprendre le monde contemporain dans sa globalité.

Empire théâtral et narcissique

Comme point de départ de sa réflexion, Emmanuel Todd dresse un certain nombre de constats, tous inquiétants pour la position et les intérêts des États-Unis.

  1. Le monde tend vers la stabilisation et l’apaisement, grâce à une progression générale de l’alphabétisation et du contrôle des naissances. Phénomènes qui déboucheront à long terme sur la démocratisation des pays en voie de développement. Les crises régionales actuelles ne sont que des crises de transition vouées à s’éteindre. Le monde devient de plus en plus libre et civilisé, mais les USA ne peuvent plus se poser en défenseur de la liberté et de la civilisation face à un ennemi soviétique disparu.
  2. Le monde commerce et produit. Mais les USA, avec leur déficit commercial chronique, la perte de leur avance technologique et leur obsession de la question pétrolière ne sont plus que les consommateurs des produits et de l’argent des autres.

Les États-Unis présentent donc toutes les caractéristiques d’un empire incomplet et décadent, incapable de maintenir son leadership sur un monde qu’il ne comprend plus. Ses échanges sont déficitaires avec tous les grands pays industriels. Son système économique est devenu inefficace (pannes d’électricité en Californie), et corrompu (affaires type Enron). Son armée est trop petite et timorée pour soutenir de réelles ambitions stratégiques. L’universalisme du temps de la Guerre froide, cet « impérialisme positif », laisse place à l’intolérance envers les autres cultures, et en premier lieu envers le monde musulman. Il apparaît qu’économiquement, les américains sont de plus en plus dépendants d’un monde qui, politiquement et militairement, a de moins en moins besoin d’eux. Leur expansion devient dès lors « narcissique ».

Les USA sont donc agressifs non pas par volonté de puissance, mais par conscience de leur décadence. Incapables d’adopter une stratégie claire et pragmatique, ils choisissent la facilité et le court-terme : ils entretiennent, par leur « empire théâtral », l’illusion d’un monde dangereux. Ils harcèlent les faibles (Irak, Corée, Cuba), et provoquent les forts (Chine, Russie).

Que l’Amérique redevienne elle-même

Emmanuel Todd termine en expliquant comment les autres puissances, Russie, Japon et Europe, peuvent profiter du déclin de l’empire américain. Ces pays doivent se rapprocher pour contenir l’agressivité américaine et créer un équilibre international au sein duquel les USA ne seront qu’une puissance parmi d’autres.

Les USA ont conscience de leur déclassement dans un monde en gestation. Mais leurs réponses égoïstes et maladroites aggravent l’envie du monde de marcher sans eux.

Au final, Emmanuel Todd estime que la planète a besoin d’une Amérique « redevenue elle-même : démocratique, libérale et productive ».

Et si Emmanuel Todd avait raison

Dans « Après l’Empire », Todd soutient que les vieilles démocraties européennes et américaines sont en passe de devenir des oligarchies, un très petit nombre de « décideurs » concentrant l’essentiel du pouvoir économique, médiatique et politique entre leurs mains… Or Le dernier numéro de Courrier International (n°636 du 9 au 15 janvier) se fait l’écho d’un article de l’économiste Paul Krugman : « Main basse sur l’Amérique, comment les très riches ont floué les classes moyennes », paru dans le New York Times Magazine. Krugman montre que l’accroissement des inégalités aux USA a profité à une petite élite économique, industrielle, juridique et fiancière, DÉFENDUE PAR UNE PARTIE DES MÉDIAS INFLUENTS, et comment ce creusement de la « fracture » a laminé les classes moyennes, terreau fertile des régimes démocratiques.

Autre point positif pour la thèse de Todd : un passage non-négligeable du livre est consacré au scénario de politique-fiction d’un rapprochement de l’Europe avec la Russie dans le but de contrer l’influence des USA. Or, en ce début 2003, qui soutient la France dans sa rébellion onusienne contre les faucons de Washington ? La Russie, du bout des lèvres…

D’ici à ce qu’une nouvelle « guerre froide » nous voit entrer dans le camp russe contre les États-Unis !

Peter Covel
10/02/2003

Après l’empire. Essai sur la décomposition du système américain, d’Emmanuel Todd, Gallimard 2002, 18,50 euros.

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