Théorisée par Montesquieu afin de garantir la liberté – Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir -, la séparation des pouvoirs a été intégrée dans l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen sous la formule « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». Sont alors envisagés les pouvoirs Exécutif, Législatif et Judiciaire. Toutefois l’acception faite de cette notion a varié selon les pays et les époques, consacrant alors une séparation rigide des pouvoirs, conduisant au régime présidentiel (cf. les États-Unis) et une séparation souple, constitutive du régime parlementaire. Au terme de cette seconde acception, il existe des moyens d’actions réciproques, censure et dissolution, entre le pouvoir législatif et exécutif.
L’application ambiguë de la séparation des pouvoirs en France
Cependant, dans le droit constitutionnel français, la séparation des pouvoirs est doublement ambiguë. Premièrement parce que le souvenir laissé par les parlements de l’ancien régime a conduit à exclure, depuis la révolution française, l’existence d’un pouvoir judiciaire : la constitution de 1958 confirme ces acquis historiques, ne mentionnant qu’une autorité judiciaire (art. 64 et s.).
Deuxièmement, ce n’est pas tant la séparation des pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, qui soulève des difficultés que l’indépendance et l’équilibre de ces pouvoirs. Sous la Vème République, le principe de séparation des pouvoirs a été invoqué pour protéger l’exécutif de la domination du pouvoir législatif, ou le judiciaire d’une dépendance à l’égard de la loi, et, par-delà, de l’exécutif.
Mais ce principe protecteur souffre désormais de galvaudage : l’exécutif en venant à dominer le parlement et le judiciaire ; le judiciaire à se libérer de la suprématie de la loi
Aussi, il est acquis de longue date que l’autorité judiciaire dispose effectivement d’un pouvoir normatif via la jurisprudence – dans l’ordre judiciaire, mais encore plus dans l’ordre administratif dont le droit est essentiellement prétorien.
Il est également acquis de longue date que le gouvernement peut court-circuiter un débat parlementaire en mettant sa responsabilité en jeu (article 49-3). Ainsi, une fois la responsabilité engagée sur un texte, le débat à son sujet est définitivement clos. Un délai de vingt-quatre heures est ouvert pour le dépôt d’une motion de censure.
Cette dernière doit être signée par au moins 10 % des députés de l’Assemblée qui a alors 48 heures pour se prononcer. Si cette mention est votée alors le gouvernement démissionne ; si elle est rejetée alors le texte est adopté en première lecture. Le gouvernement peut également dissoudre l’Assemblée Nationale (article 12) et déclencher de nouvelles élections législatives.
Cependant, pour donner une illusion d’équilibre, au terme de l’article 50 de la Constitution, lorsque l’Assemblée Nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier Ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement.
Toutefois, et dans un silence médiatique assourdissant, nous avons assisté la semaine dernière à un événement rebattant le jeu de l’équilibre institutionnel français.
Vers la fin de l’indépendance de l’ordre judiciaire
L’émulsion médiatique couvrant le départ de Manuel Valls le lundi 5 décembre 2016 a occulté la signature – par l’ancien Premier ministre et le garde des sceaux – du Décret n° 2016-1675 du 5 décembre 2016 portant création de l’inspection générale de la justice. Ce décret semble sérieusement remettre en cause la séparation des pouvoirs, fondement de la République française, et notamment l’article 64 de la Constitution de 1958 prévoyant l’indépendance de l’autorité judiciaire, la plaçant notamment sous le contrôle direct du gouvernement par l’intermédiaire du Ministre de la Justice.
En effet, au terme dudit décret l’on apprend que l’inspection générale exerce une mission permanente d’inspection, de contrôle, d’étude, de conseil et d’évaluation sur l’ensemble des organismes, des directions, établissements et services du ministère de la justice et des juridictions de l’ordre judiciaire ainsi que sur les personnes morales de droit public soumises à la tutelle du ministère de la justice et sur les personnes morales de droit privé dont l’activité relève des missions du ministère de la justice ou bénéficiant de financements publics auxquels contribuent les programmes du ministère de la justice. Elle apprécie l’activité, le fonctionnement et la performance des juridictions, établissements, services et organismes soumis à son contrôle ainsi que, dans le cadre d’une mission d’enquête, la manière de servir des personnels.
Par ailleurs le garde des sceaux peut autoriser l’inspection générale à effectuer ces missions à la demande d’autres ministres, de juridictions administratives et financières, de juridictions internationales, de personnes morales de droit public, d’autorités administratives indépendantes, d’organismes publics, de fondations ou d’associations, d’États étrangers, d’organisations internationales ou de l’Union européenne.
Le décret doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017.(*)
Vers une réassignation institutionnelle au profit de l’Exécutif
Le plus inquiétant, au-delà de la signature de ce décret dont l’émission même est inconstitutionnelle – le Président de la République ayant été court-circuité et étant, au terme de l’article 64 de la Constitution de 58, le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire – est que l’organisation de ces audits et contrôles discrétionnaires poussés, pesant sur l’autorité judiciaire, faisant l’objet de rapports circonstanciés, il est impensable, en cas d’irrégularité manifeste, de contravention à des instructions, que des sanctions ne soient pas, par la suite, envisagées.
Par ailleurs, bien que le gouvernement et le parlement disposent de moyens d’actions réciproques, l’on remarquera, à titre d’exemple, que l’article 49-3 a été utilisé 88 fois par le gouvernement sous la Vème République (dont 28 fois rien que par Michel Rocard), quand la motion de censure, n’a abouti qu’une seule fois, le 5 octobre 1962 pour renverser le gouvernement Pompidou. Cela s’explique par le fait que les élections législative dotent presque toujours le gouvernement d’une majorité de sa couleur politique – il n’y a eu que trois cohabitions sous la Vème République -, de sorte que le rapport de force est quasi systématiquement en faveur du gouvernement.
Après la réunion sollicitée par le Président de la cour de cassation pour discuter de l’émission de ce décret, le garde des sceaux s’est fendu d’un communiqué de presse le 10 décembre 2016 dans lequel il rappelle l’indépendance de l’ordre judiciaire et que la création de cette inspection générale de la justice émanait d’une proposition de la Cour des comptes qui avait fait l’unanimité lors de son adoption au Parlement cet été ; qu’il résulte de plus de la Constitution que l’inspection n’a pas de compétence pour se prononcer sur l’acte de juger.
Nous voilà donc rassurés !
In fine, et quoi que puisse dire monsieur Urvoas, la convergence des textes normatifs fait aujourd’hui, plus que la semaine passée, poindre le risque d’une nouvelle distribution des cartes, d’une réassignation institutionnelle pyramidale au sommet de laquelle le pouvoir Exécutif légifère, juge et dispose.
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution »
Alexandre Marraud des Grottes
Source : Linkedin.com
13/12/2016
Stagiaire avocat chez Cabinet Bismuth – Droit de la propriété intellectuelle et TIC