Ce jeudi 25 janvier, le Conseil constitutionnel a commis un véritable coup d’État judiciaire en retoquant toutes les mesures (très) vaguement offensives de la Loi Immigration sur la gestion des flux immigrés. Le Conseil constitutionnel est une institution ennemie du peuple français. Nous republions ce texte d’Eric Delcroix qui s’appuie notamment sur un ouvrage de Frédéric Rouvillois.
Polémia
La Constitution est ce que les juges disent qu’elle est.
Charles E. Hugues, futur président de la Cour suprême U.S., 1907
Depuis la promulgation de la Constitution de 1958, le rôle originellement modeste et mesuré du Conseil constitutionnel n’a cessé de s’amplifier. Initialement la Constitution de la Ve République ne prévoyait sa saisine, pour des objets techniques axiologiquement neutres, que par le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale.
Giscard fit étendre cette faculté de saisine à des ribambelles de parlementaires, puis il y eut ce qu’Éric Zemmour (alors malheureusement très isolé) a appelé un coup d’État juridictionnel, commis par le Conseil constitutionnel avec une décision, sur un sujet adventice (loi sur la liberté d’association), du 16 juillet 1971, dite du « bloc de constitutionnalité »…
Depuis, folie de Sarkozy autoproclamé « l’Américain », il est devenu possible à tout plaideur de soulever l’inconstitutionnalité de la loi (question prioritaire de constitutionnalité).
« Une Justice politique » – État de droit et coup d’État judiciaire
Coup d’État juridictionnel antirépublicain
Pour décrire cette décision antirépublicaine, puisqu’illustrant le ralliement subreptice de nos institutions depuis une quarantaine d’années à l’État de droit, dont j’ai explicité déjà qu’il était historiquement l’antonyme de l’État républicain[i], citons une publication récente, Le Gouvernement des juges[ii] de Frédéric Rouvillois :
À la surprise générale [le Conseil constitutionnel] accepte expressément [de] contrôler la conformité [de la loi] aux dispositions du Préambule de la constitution de 1946, auquel renvoie celui de la constitution de 1958 ; et plus précisément, aux règles contenues dans la catégorie la plus incertaine du Préambule de 1946, les mystérieux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République »[iii]…
Il n’aura pas échappé au lecteur attentif, cette absurdité dans le discours des « Sages » qui consiste à proclamer que, par essence les « lois de la République » définissent les « principes fondamentaux » de référence, avant d’annuler l’une d’entre elles privée ainsi arbitrairement de cette essence. Dérive à l’américaine, les conseillers constitutionnels s’arrogeant le droit d’annuler toute loi qui leur déplaît, un point c’est tout !
L’auteur constate au surplus :
Il est vrai que la décision du 16 juillet 1971 coïncide avec un mouvement beaucoup plus large : le basculement à gauche, sinon à l’extrême gauche, d’une partie significative de la magistrature[iv]…
Hors du monde des juristes, force est de constater que la question ne semble guère préoccuper le personnel politique et les publicistes français, à l’exception de M. Zemmour[v], ce qui n’a pas échappé à l’auteur du Gouvernement des juges, au demeurant sans jugement de valeur ni volonté polémique.
Une étude didactique, à la (pâle) lumière de l’exemple américain
En effet, Frédéric Rouvillois, professeur agrégé de droit public, fait un état des lieux à partir de l’exemple américain, reposant à l’origine sur une décision par laquelle la Cour suprême des États-Unis s’est arrogé le droit d’annuler les lois votées par la représentation démocratique fédérale (affaire Marbury contre Madison, 1803). L’ouvrage fait également un bref tour d’horizon sur la question en Europe, mais nous resterons ici en France.
Les lecteurs, juristes ou personnes éprises de culture juridique ou politique (ce qui n’est guère le cas de nos politiciens en voie d’illettrisme avancé), découvriront les polémiques suscitées en Amérique même par cette décision formellement antidémocratique. Les juges de la Cour suprême ne sont pas plus élus que nos conseillers constitutionnels, placés là largement par brigue, mais au moins sont-ils tous juristes.
Pusillanimité du personnel politique, là-bas comme ici, les partisans du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois seront tantôt à gauche, tantôt à droite (Mitterrand était pour en 1972, contre à partir de 1978, etc.) ; pusillanimité du personnel politique appliqué à abdiquer le pouvoir au profit d’organes et comités de contrôle castrateurs, d’inspiration puritaine.
Le livre du professeur Rouvillois est une étude didactique, mais qui pose tout de même la question de l’opportunité et de la légitimité de ce gouvernement des juges. Terme qui fut forgé en 1911 par le juriste américain Louis Boudianoff Boudin, qui parlait aussi de « despotisme judiciaire ». Mais comment en sortir ? Donnons là la parole au préfacier du livre de Frédéric Rouvillois, son collègue Christophe Boutin :
Qui nous gardera de ces gardiens ? […] La seule réponse est le souverain – par le lit de justice dans une monarchie, par le référendum dans une démocratie. Dans les deux cas le souverain paraît en majesté, et les pouvoirs qui ne sont jamais que délégués ou dérivés doivent alors s’effacer[vi].
Enfin, ça… ou le coup d’État !
Éric Delcroix
17/11/2023 – Première publication : 03/05/2023
[i] Voyez mon ouvrage, Droit, conscience et sentiments, éditions Akribeia, 2020.
[ii] Par le professeur Frédéric Rouvillois, Desclée de Brouwer, 2023.
[iii] Frédéric Rouvillois, Le Gouvernement des juges, p. 167.
[iv] Ibid., p. 169.
[v] Voyez Le Coup d’État des juges, Grasset, 1997, et Le Suicide français, éditions Albin Michel, 2014.
[vi] Frédéric Rouvillois, Le Gouvernement des juges, p. 15.
Crédit photo : Mbzt [CC 3.0]
- Pour ou contre l’apologie du terrorisme ? - 28 novembre 2024
- Marine Le Pen face à la justice : la séparation des pouvoirs en question - 19 novembre 2024
- L’individu ultime contemporain, soumis aux minorités - 13 novembre 2024