Par Michel Leblay et Laurent Artur du Plessis ♦ La revue de presse du Libre journal de Dominique Paoli sur Radio Courtoisie du 17 février dernier portait sur le rôle de la mondialisation dans le recul du commerce mondial.
Depuis maintenant plusieurs décennies et surtout, à la suite de la crise financière de 2007-2008, les économies occidentales, particulièrement en Europe, sont confrontées à une altération de leur situation avec leurs conséquences sociales, le chômage et la précarité, et politiques. Certes, les conjonctures diffèrent, parfois sensiblement selon les Etats. L’Allemagne et les Pays-Bas enregistrent des excédents commerciaux, 6,77% du PIB pour la première en 2018 (après avoir atteint 8,01% en 2015), 10,63% pour les seconds. En revanche, le taux de croissance du PIB de l’Allemagne ne dépassera pas 0,6% en 2019 contre 1,2% pour la France dont la dette publique dépasse, par ailleurs, 100% du PIB. Pour les Etats-Unis, la croissance sera de l’ordre de 2,1% pour l’année 2019 mais avec des déficits publics et commerciaux colossaux. Si pour ce pays, la croissance de la productivité s’améliore quelque peu, 1,4% en 2018, tout en restant faible au regard des performances de l’économie américaine du milieu du XXe siècle, l’évolution en France a été quasiment nulle en 2019, l’Allemagne n’étant pas mieux lotie. Tout cela dans un environnement monétaire qui est au-delà du laxisme, les banques centrales, Réserve fédérale, BCE, Banque du Japon injectant massivement des liquidités dans leurs économies respectives, au moyen de taux bas et d’achats de titres, pour offrir à celle-ci les ressorts d’une reprise ou tout au moins pour éviter des récessions prolongées.
La concurrence internationale, facteur qui pèse sur les économies les plus anciennement développées
Plusieurs facteurs affectent, à la base, les économies les plus anciennement développées : la baisse de la croissance de la productivité, précédemment analysée (revue de presse du 20 janvier 2019), pour celles qui relèvent de la zone euro, les dissymétries qui lui sont liées et la concurrence des nouveaux pays industrialisés. Cette concurrence, dans sa forme présente s’est développée à partir de la fin des années soixante-dix, début des années quatre-vingt. Ce fut le Japon dont l’ascension industrielle date de la fin du XIXè siècle qui, relevé du désastre de la seconde guerre mondiale, déploya une offre sur des marchés occupés jusque-là par l’Europe et les Etats-Unis, automobiles, photographie, produits électroniques… puis les quatre dragons (Corée du sud, Hong Kong, Singapour, Taïwan), opérant en certains domaines comme sous-traitants des entreprises japonaises. C’est avec la Chine que le phénomène a pris toute son ampleur. Devenue pour certains l’atelier du monde, sa percée économique l’a conduite en trois décennies au second rang dans l’ordre des puissances, affichant des ambitions géo économiques et géopolitiques. L’Allemagne mise à part (pour combien de temps !), le transfert d’une partie de la valeur ajoutée industrielle vers ces nouvelles économies, au regard desquelles l’Inde est aussi un acteur en croissance, a entraîné des pertes substantielles d’emplois et des déficits commerciaux au sein des économies occidentales. Malgré d’incontestables distorsions de concurrence, le dogme du libre-échange, dans sa conception actuelle, face économique de la perspective d’une société universelle, est plaidée par la plus large part de la classe dirigeante qui y trouve son bénéfice.
Alors, cette mondialisation est-elle un inéluctable mouvement de l’histoire ? Où, comme le montre un retour vers celle-ci n’en représente-t-elle qu’une séquence puisqu’il y eut un premier phénomène de mondialisation, avec ses caractéristiques propres dans les années qui précédèrent la première guerre mondiale ?
Jacques Sapir : Vers une transformation majeure de l’économie mondialisée ?
Dans un article publié le 1er février 2020 sur le site Les Crises.fr, Jacques Sapir nous offre une réponse : Vers une transformation majeure de l’économie mondialisée ?
L’auteur introduit son propos par une remarque essentielle quant à la façon d’appréhender les faits économiques : L’économie mondiale connaît, de manière régulière, des fluctuations et des crises plus ou moins importantes. Elle connaît aussi des changements plus profonds, qui affectent tant les rapports de forces entre les principales économies, que les logiques même de la globalisation. Ainsi, s’il existe des risques de turbulences financières au vu de l’environnement monétaire, la réflexion économique ne saurait s’y réduire. Des mouvements structurels majeurs parcourent l’économie qui en expliquent les mutations avec leurs effets sur les conditions de vie de tous. Pour Jacques Sapir, La conjonction de ces mouvements peut annoncer des changements importants. Ce qui le conduit à formuler son diagnostic sur l’avenir de l’économie mondialisée : Aujourd’hui, ces mouvements tendent à une dé-globalisation ou « démondialisation » de l’économie, tendance annoncée dans un livre de 2010 (Jacques La Démondialisation Editions du Seuil).
Les vagues successives de l’industrialisation
Après avoir précisé que, L’économie « mondiale » ne l’est réellement devenue qu’à partir des années 1980-1990. En effet, ce que l’on appelait le « monde » économique se réduisait, depuis le début du XIXème siècle et jusqu’aux années 1980 à l’économie « occidentale » et à ses périphéries, Jacques Sapir recense et analyse les différents facteurs qui ont conduit à la mondialisation présente. Celle-ci englobe des pays des différents continents. Historiquement, il distingue les vagues successives qui ont mené à leur industrialisation, soit quatre vagues : Les pays de la première vague (Grande-Bretagne, France, Belgique, Suisse) sont des pays ou l’industrialisation apparaît comme forme motrice de la production dans les années 1780-1840. La seconde vague est constituée par les pays qui basculent dans l’industrialisation de 1850 à 1910, souvent sous la pression ou en réaction aux pays de « première vague » (Allemagne, Russie, Japon, Italie, Tchécoslovaquie, Etats-Unis). La troisième vague date des années 1950-1980, ce sont souvent des anciennes colonies (Corée, Taïwan, Malaisie, Singapour). Il y ajoute la Thaïlande. Les pays de la « quatrième vague » sont en partie des pays communistes (Chine, Vietnam) qui ont réussi leur transition en partie des pays « imitateurs » des pays de « troisième vague » ou sont tirés par le développement de la Chine. Y figurent aussi l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil.
L’organisation du commerce mondial et les facteurs de développement
La chronologie dans l’accès à l’industrialisation ainsi établie, qui permet d’identifier les principaux acteurs concernés par la croissance et l’élargissement des échanges commerciaux, il importe de préciser quelles furent les étapes du processus qui a conduit à l’économie mondialisée telle qu’elle est observée aujourd’hui. Tout commence à l’issue de la seconde guerre mondiale avec la Conférence des Nations Unies pour le commerce et l’emploi de 1946 qui débouchera sur l’adoption, le 24 mars 1948, de la Charte de La Havane (elle ne sera pas ratifiée par le Sénat américain). Entre-temps fut signé, le 30 octobre 1947, l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Pour l’essentiel, l’accord ne concernait que les pays occidentaux. Dans le quart de siècle qui suivit, deux facteurs devaient participer à la marche à la globalisation du monde : le premier de nature politique, le plus fondamental dans le mouvement de l’histoire, la décolonisation ; le second, monétaire, la rupture du lien entre le Dollar et l’Or, par la décision du président Nixon du 15 août 1971. Elle a ouvert une période de trente ans d’hégémonie économique des Etats-Unis. Comme le précise Jacques Sapir, durant cette période, le commerce international fut institutionnalisé par la création de l’Organisation du commerce mondial, l’OMC, le 1er janvier 1995. Economiquement hégémonique, les Etats-Unis pouvaient paraître à travers l’OMC, avoir la mainmise sur les règles gouvernant le commerce mondial. Mais d’autres mutations étaient à l’œuvre qui allaient changer les rapports de force : la réinsertion de la Chine dans l’économie mondiale (fin des années 1980) et sa rapide croissance économique ; l’éclatement de l’URSS et du « bloc soviétique » ; le processus « d’émergence » de la part d’économies qui étaient considérées jusque-là comme « en développement » voire « sous-développées ».
La transformation des rapports de puissance économique
Il est né de ces mutations une économie réellement « mondiale » qui a eu aussi pour effet de produire une « désoccidentalisation » du monde. Par un ensemble de graphiques, Jacques Sapir montre comment ont évolué les rapports de puissance économique entre les principaux acteurs de la mondialisation.
- Calculé en parité de pouvoir d’achat, la part des Etats-Unis dans le PIB mondial qui était de 20% dans les années quatre-vingt-dix est passée à 15% dans les années 2018-2019 ; la Chine dont la part était inférieure à 5% en 1992 dépasse aujourd’hui 19% ; l’Inde dont la part était de l’ordre de 3,5% en 1992 atteint 8% ; la part de l’Allemagne a baissé de 6% en 1992 à moins de 4% ; la Russie a chuté d’un peu plus de 5% à 3% environ.
- En nombre de brevets, depuis l’année deux mille, la Chine présente une ascension vertigineuse passant d’un chiffre voisin de zéro à près de 150 000 en 2018 ; les Etats-Unis ont progressé de 30 000 à 50 000 environ.
- Du point de vue des deux ensembles, structurés chacun d’entre eux dans une organisation, le G7 et les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), l’évolution, de 1990 à 2019 de leur part respective dans le PIB mondial calculé en parité de pouvoir d’achat, montre que les seconds qui représentaient aux environs de 17,5% de ce PIB au début de la période considérée atteignent plus de 33% en 2019 tandis que les pays membres du G7 qui dépassaient 50% au début des années quatre-vingt-dix ne représentent plus que 30% en 2019, un niveau inférieur à celui des BRICS.
Jacques Sapir observe ainsi : On assiste bien, depuis ces dix ou quinze dernières années, a une évolution de fond, qui se traduit par l’affaiblissement des puissances occidentales. Celles-ci étaient, dans une large mesure, les pays de la première vague de la Révolution Industrielle. Les Etats-Unis et l’Allemagne peuvent, néanmoins, être considérés comme à cheval sur la première et la deuxième vague, et le Japon, seul membre « non-occidental » du G-7 est clairement un pays de la deuxième vague. Néanmoins, il précise : Le point important qu’il convient de remarquer est que la montée en puissance des BRICS est largement dû à celle de la Chine et de l’Inde, deux pays dits de « quatrième vague ». La Russie n’a fait que maintenir sa position. Le Brésil voit, quant à lui, sa part se réduire.
Le recul du commerce mondial
Après avoir tracé ce tableau qui situe les positions des différents acteurs dans l’économie mondiale et qui présente les bouleversements intervenus dans les rapports de puissance économique dont découlent les enjeux de la mondialisation, Jacques Sapir montre au travers de l’étude de la variation des échanges commerciaux et de plusieurs constats que celle-ci est en recul. Parallèlement à la stagnation des échanges commerciaux, il se développe un processus de fragmentation de l’espace économique mondial dont les Etats-Unis sont les principaux responsables.
A partir d’un indicateur en volume des exportations mondiales, égales par construction aux importations, il apparaît que sur la base d’un indice 100 en 2005, l’indice après treize trimestres atteint 180 en 2008 soit une hausse de +20% par an approximativement. Du second trimestre 2008 au 3ème trimestre 2019, la hausse a été bien plus faible, puisque l’on est à l’indice 192. Bien sûr, il y a eu les conséquences de la crise financière de 2008-2009.
Pour la période la plus récente, courant de mars 1919 à janvier 2020, Jacques Sapir, se référant à l’indice Baltic Dry (coût du fret maritime pour le transport de matières premières – minerais, charbon, céréales), montre que la baisse est très nette depuis l’été 2019.
D’une manière générale, pour les deux dernières décennies, Jacques Sapir constate : La part du commerce international dans le PIB était de l’ordre de 18,5% en 2001 ; elle a atteint plus de 25% en 2008. Depuis, elle est retombée autour de 21,8% pour 2019. Cela indique clairement que le poids du commerce international dans la richesse mondiale est lui-même en train de baisser. En contrepartie, cela nous dit aussi qu’une part croissante de la richesse est produite pour alimenter les marchés intérieurs des divers pays… Les grands pays exportateurs, comme la Chine, se recentrent sur leur propre population. Par cette dernière remarque Jacques Sapir montre le caractère structurel du mouvement en cours. Au vu de ces observations, la mondialisation a maintenant dépassé l’apogée atteint au début du millénaire et elle est entrée dans une phase de recul. La Chine avait adhéré officiellement à l’OMC le 11 décembre 2001 (elle s’était retirée du GATT le 5 mai 1950) avec le soutien des Etats-Unis. Le processus de développement d’un vaste marché mondial paraissait en cours avec tous les attentes politiques qu’il supposait, extension de la démocratie… Assez rapidement, le mécanisme s’est grippé. Le « cycle de Doha », engagé en novembre 2001 sous l’égide de l’OMC, dont l’objectif était d’élargir la libéralisation du commerce international s’est terminé par un échec, les négociations étant suspendues le 24 juillet 2006.
La mondialisation aujourd’hui
Qu’en est-il aujourd’hui de la position des deux principaux protagonistes de l’économie mondiale, les Etats-Unis et la Chine et quelles en sont les conséquences ?
Projet gigantesque, les Nouvelles routes de la soie, lancées par Xi Jinping en septembre 2013 n’auguraient-elles pas du développement d’un marché à l’ampleur jusque-là inédite dans l’immense espace eurasiatique ? Ces routes aboutissent en Europe aussi bien par la voie terrestre que maritime. Le constat de Jacques Sapir n’est pas dans ce sens : Pourtant, quand on regarde précisément le contenu de cette initiative, on voit qu’elle combine d’ambitieux projets d’investissements dans les transports, et des cadres de coopérations qui sont tous des cadres bilatéraux. Ces cadres ont à la fois une portée économique, et commerciale, et une portée géopolitique. En fait, la Chine semble plus désireuse à travers ce projet de sécuriser ses approvisionnements mais aussi ses marchés que de développer un cadre d’emblée global de production de normes communes.
S’agissant des Etats-Unis, le libre-échange est devenu un point de friction international, comme on a pu le voir depuis l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. En fait, ce dernier s’est contenté de radicaliser une politique déjà entamée sous Barak Obama. Tournant le dos aux accords multilatéraux, ils ont engagé une négociation bilatérale globale avec la Chine. De plus, l’auteur souligne que par la politique des sanctions économiques, là aussi déjà conduite sous la présidence de Barack Obama, les Etats-Unis accélèrent la fragmentation de l’espace économique mondial. Par leurs décisions unilatérales, des pays tels l’Iran se trouvent exclus de l’échange international.
Quant à l’Union européenne, Jacques Sapir ne se prononce pas. Il faut constater que les discours et les affirmations de ses dirigeants reflètent à quelques exceptions notables un autisme par rapport à la réalité du monde.
Les monnaies de réserve
Dans les dernières pages de son article, Jacques Sapir, toujours dans l’optique de la mondialisation, aborde la question monétaire : Va-t-on vers une fragmentation monétaire ? Ce qui lui permet de s’interroger une nouvelle fois sur une question dont il est un grand spécialiste, l’euro.
Au moyen de données statistiques, il montre d’une part que, malgré les ambitions initiales, l’euro n’a pas concurrencé le dollar comme monnaie de réserve internationale et que d’autre part, dans la composition des réserves des banques centrales, il convient d’observer la place croissante de nouvelles monnaies, surtout le Renminbi/Yuan.
Si la part du dollar a baissé dans les réserves des banques centrales depuis le début des années deux-mille où elle atteignait 73%-74% des différentes devises constituant ces réserves pour n’en représenter en 2019 que 62%-63%, l’euro n’en pas pour autant bénéficié. Le constat est amer puisque Jacques Sapir souligne : La part de l’Euro s’est stabilisée aujourd’hui autour de 20% des réserves mondiales de change alors que les différentes monnaies européennes représentaient environ 27% de ces mêmes réserves (avant l’introduction de la monnaie unique). Quant au Yuan, il a contribué à hauteur de 7,8% à l’augmentation des réserves de change des banques centrales du 2ème trimestre 2016 au 2ème trimestre 2019 (53,1% pour le dollar, 23% pour l’euro, 4,7% pour la Livre sterling et le Yen).
En conclusion, Jacques Sapir plaide pour un meilleur contrôle des flux commerciaux et financiers en réformant les textes présents, pour beaucoup obsolètes.
Un recul de la mondialisation des échanges par ailleurs confirmé mais déploré
Jacques Sapir n’est pas le seul à mettre en exergue un mouvement de démondialisation. Dans un article publié par le journal Le Monde, le 6 février 2020, « L’âge d’or de la mondialisation est derrière nous, place à la “slowbalisation” », Marie Charrel écrivait : L’âge d’or de la mondialisation est derrière nous. Celle reposant sur l’intensification croissante des échanges, la baisse continue des coûts de transport et l’intégration toujours plus grande des chaînes de production. Après avoir grimpé de 39 % à 61 % du produit intérieur brut (PIB) mondial entre 1990 et 2008, le commerce international est retombé à 58 % en 2018. Les investissements transfrontaliers des entreprises ont chuté de 3,5 % à 1,3 % du PIB entre 2007 et 2018. Et la part des profits de multinationales dans l’ensemble des entreprises du globe a chuté de 33 % à 31 % depuis 2008. Mais l’auteur n’appréhende pas cette tendance de manière positive puisqu’elle se réfère à un article paru, le 26 janvier 2020 dans The Economist pour lequel le commerce mondial est devenu trop mou et trop lent, d’où la “slowbalisation”.
Mondialisation et Nouvelles routes de la soie
Pour d’autres, la mondialisation pourrait changer de nature. A la suite de l’accord conclu, le 23 mars 2019 entre la Chine et l’Italie, intégrant cette dernière dans le projet de Nouvelles routes de la soie, Atlantico publiait, le 9 avril 2019, un article intitulé : La mondialisation précédente portait sur la finance, la nouvelle portera sur les infrastructures. Au-delà du titre, les deux auteurs, Emmanuel Lincot et Barthélémy Courmont ont présenté une analyse nuancée. Outre l’exposé de la vision chinoise et ses origines (notamment la référence à la tradition réinventée du Tian Xia), l’un des auteurs Barthélémy Courmont précise : La Belt and Road Initiative (BRI) est aujourd’hui à échelle internationale, mais elle s’articule avant tout comme un outil au service du désenclavement des provinces les moins développées de Chine. Après avoir souligné les risques qui pèsent sur certains des pays qui adhèrent au projet, qui tiennent à leur solvabilité future au regard des prêts que leur a consentis la Chine, il ajoute Concernant le système intégré d’infrastructures tel que proposé par la Chine, s’il est une offre alléchante pour des pays avec de réels besoins dans ce domaine, il ne l’est pas nécessairement pour tous, aussi ce n’est pas un modèle plus inspirant qu’un autre, d’autant qu’il s’accompagne d’un gaspillage et d’un éparpillement dans les investissements.
Mondialisation, Coronavirus et commerce avec la Chine
La mondialisation de ces dernières décennies est caractérisée non seulement par le commerce de produits finis mais aussi par celui de composants qui entrent dans les processus de production ce qui aboutit à une internationalisation des chaînes de valeur, marche vers des économies intégrées, dépendantes les unes des autres. Or l’économie est soumise autant à des évolutions et à des mutations qui lui sont propres, facteurs endogènes, qu’à des chocs externes, politiques ou autres, facteurs exogènes. L’épidémie de coronavirus qui frappe la Chine compte parmi ce type de facteurs. Nul ne connait l’ampleur que pourrait prendre l’épidémie encore en cours et les incidences économiques de celles-ci. Celles immédiates qui permettront d’évaluer dans sa réalité, la dépendance des pays anciennement développés vis-à-vis de la Chine et celles à plus long terme qui tiennent aux conséquences qui en seront tirées par les entreprises, peut-être poussées vers une production localement plus proche de leurs marchés.
La France et son histoire protectionniste
S’interroger sur la mondialisation ouvre aussi la possibilité d’évoquer son revers le protectionnisme. A cet égard, Figarovox a publié un article, le 4 février 2020 (Yves Perez : « La France a été protectionniste pendant un siècle et elle ne s’en est pas mal portée »), à propos du livre d’Yves Perez paru le 22 janvier : Les vertus du protectionnisme Crises et mondialisation, les surprenantes leçons du passé. Ce livre rénove l’approche sur la position de la France par rapport aux échanges internationaux depuis le XIXè siècle et les contraintes qui s’exerçaient sur elle. L’auteur souligne qu’à l’origine de la Révolution industrielle, la France était un pays pauvre en charbon alors que celui-ci était le combustible des puissances industrielles. La mondialisation et ses conséquences ne constituent pas un phénomène nouveau puisqu’une première mondialisation s’est développée à la fin du XIXè siècle : la France fut confrontée à la « mondialisation des blés » engendrée par la révolution des chemins de fer et de la navigation à vapeur. Les blés du « nouveau monde » (États-Unis, Canada, Argentine) concurrencèrent le blé français. Or à cette époque, l’agriculture employait la majorité de la population active. C’est cette situation de double handicap concurrentiel qui entraîna le vote de la loi Méline en 1892.
Dans son livre fondé sur une relation passé-présent, Yves Perez explique par rapport aux contraintes qui s’exerçaient sur le pays, les raisons qui justifièrent les choix des gouvernements. Il développe notamment le concept d’économie complexe qui fonde ces choix, destinés à maintenir l’équilibre sociologique et économique du pays. Le passé est analysé non à travers l’œil du présent mais au vu du contexte dans lequel il se situait. La France n’avait pas les mêmes atouts que le Royaume-Uni ou l’Allemagne et elle réagissait en conséquence. Il rappelle que jusque dans les années trente, les principaux économistes français se référaient à Friedrich List, le théoricien du protectionnisme allemand plutôt qu’à David Ricardo.
Yves Perez se penche sur la crise actuelle en observant qu’autrefois, la France se repliait à l’abri de ses frontières et recourait à l’arsenal des techniques du protectionnisme de crise. Avec la crise actuelle, on assiste au contraire à une plus large ouverture de l’économie française sur le monde.
Michel Leblay et Laurent Artur du Plessis
02/03/2020
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Domaine public