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Le bac vu de l’intérieur : les secrets des notes gonflées

Le bac vu de l’intérieur : les secrets des notes gonflées

par | 6 juillet 2014 | Société

Le bac vu de l’intérieur : les secrets des notes gonflées

Chaque année, la polémique sur des notes « harmonisées » ou « gonflées » lors de la correction des épreuves du baccalauréat reprend. Le cru 2014 a été plutôt gâté sur ce point.

C’est une étrange chose que de préparer des élèves au baccalauréat. On se réjouit en effet de leur réussite, parce qu’au fil du temps on s’est mis à les aimer, tout en étant sincèrement consterné par ce que cet examen est devenu. Sentiments antagonistes… Mon objectif, ici, n’est pas d’analyser de façon méthodique les raisons de la dévaluation du bac ; d’autres l’ont fait mieux que je ne saurais y parvenir. Je me propose simplement de raconter mon expérience de professeur d’histoire-géographie en lycée.

J’ai eu cette année une quarantaine d’élèves de terminale de la série « ES », économique et sociale.

Dans cette filière, l’histoire-géographie est une matière qui, avec son coefficient 5, pèse très lourd. Aussi mes élèves se sont-ils présentés le jour de l’examen avec une certaine appréhension, d’autant que la plupart ont un niveau assez médiocre : ils rédigent mal, ne savent pas ordonner leurs idées de façon logique, manquent cruellement d’esprit critique (et je ne suis pas parvenu à les faire beaucoup progresser sur tous ces points, ce qui est mon échec). Mais, dès les copies rendues, j’ai commencé à recevoir des SMS et des courriels euphoriques de leur part : « Monsieur, c’était trop facile ! C’était exactement ce qu’on a fait en classe ! Je vais avoir une bonne note ! »

Sans vouloir me vanter, j’avais bien anticipé les sujets. Les programmes ont changé il y a trois ans.

L’ambition intellectuelle de la haute hiérarchie académique était alors immense. Il ne s’agissait pas seulement d’amener les élèves à ingurgiter un volume de connaissances énorme, du patrimoine historique de la vieille ville de Jérusalem au syndicalisme allemand et des conflits sahariens à la rivalité sino-japonaise. Non, il fallait aussi élever le niveau d’exigence vis-à-vis des futurs bacheliers des séries générales, en leur demandant de réfléchir davantage. Ainsi l’épreuve de la composition, au baccalauréat, pourrait-elle désormais se présenter sous une multitude de formes, question, affirmation, commentaire de citation, prise de position historiographique à discuter, ensemble de consignes articulées, etc. On bannirait comme chose dégoûtante et archaïque le contrôle de connaissances de type certificat d’études. En géographie, les candidats devraient se montrer capable de réaliser un croquis ou un schéma clair et lisible sur pratiquement n’importe quel sujet du programme.

A l’inspecteur qui nous exposait ces grandes ambitions, j’avais indiqué que j’aurais certainement beaucoup de mal à m’y adapter, compte tenu du fait que mes élèves ont bien souvent, même en terminale générale, des difficultés à repérer le Nord sur un planisphère ou à situer historiquement des personnages comme Churchill ou Gandhi. L’inspecteur m’avait gentiment grondé, allons allons, si vous dites que vous n’y arriverez pas, vous qui êtes enseignant, comment pourrez-vous amener vos élèves à surmonter leurs difficultés ? Mais il n’en pensait pas moins. Il m’avait indiqué in fine que des aménagements auraient peut-être lieu.

Et de fait, ils ont bien eu lieu, et très rapidement. Dès 2013, le programme d’histoire-géographie était allégé d’un bon quart de ses contenus et les exigences cartographiques étaient ramenées à une liste de sept croquis précisément listés. Quant aux intitulés de l’épreuve de composition, ils correspondent désormais exactement au titre des chapitres étudiés durant l’année scolaire. En d’autres termes l’épreuve d’histoire-géographie du baccalauréat n’évalue plus que des compétences presque purement mnémotechniques. On peut s’en réjouir, considérer que c’est une façon de primer les candidats limités mais sérieux au détriment des dilettantes plus doués ; on peut aussi y voir un sinistre mouvement de balancier entre, d’une part, un enthousiasme pédagogique totalement déconnecté de la réalité des salles de classe, et d’autre part, le consentement à une réelle médiocrité de beaucoup de candidats, y compris dans les séries où sont censées se retrouver les meilleurs. –Toujours est-il que j’avais prévu le coup, et que j’avais dit à mes élèves : « apprenez par cœur, récitez par cœur, ça devrait passer. »

Puis, alors que j’ignorais encore le résultat de mes élèves, j’ai été invité à participer aux délibérations d’un jury statuant sur le sort de candidats de la prestigieuse série S.

La présidente, une universitaire de Paris VI, nous a expliqué de façon liminaire que nos candidats avaient obtenu 25 points de moins que la moyenne académique, et qu’il faudrait par conséquent les leur rajouter, à tous sans exception(je n’ai pas eu la présence d’esprit de demander si des consignes inverses avaient été données aux jurys trop généreux). Vu les coefficients, cela signifiait un point de plus en maths, et en physique-chimie, en SVT et en LV1. Je me suis penché vers mon voisin matheux : «Mais vous n’avez pas déjà donné un bon coup de pouce aux candidats ? -Si, on a noté sur 24», m’a-t-il répondu placidement.Pour les candidats à qui il manquerait un peu plus de 25 points, on ne devait pas s’interdire de faire preuve d’indulgence, il fallait regarder le dossier scolaire, valoriser les compétences. Bref et, pour dire les choses honnêtement, tout faire pour que le plus grand nombre passe.

La salle s’est d’abord montrée rétive à cette opération d’hélitreuillage des résultats ; je me suis demandé moi-même si je n’allais pas rentrer chez moi sur le champ pour refuser de cautionner le procédé. Mais juillet aidant, on a fini par se laisser aller, les protestations mezzo voce ont laissé la place aux bougonnements, et les bougonnements à la résignation. Quand la présidente a annoncé au sujet d’un candidat arrivé à 9,37 de moyenne :«En automatique c’est bon, il est admis», on a d’abord ricané, on a dit «C’est les soldes d’été !» ou «Offert par le rectorat !», mais au centième candidat on ne disait plus rien, on se contentait de tamponner au rouge les copies amendées.Je suis sorti de ma torpeur en voyant passer au vidéoprojecteur un candidat qui avait obtenu 3 en maths, 8 en physique et 9 en SVT, mais qui a tout de même décroché son baccalauréat scientifique (sans même avoir besoin de passer par l’oral !) grâce à ses heureuses dispositions dans les autres matières.

Quelques points glanés lors de l’épreuve de copier-coller connue sous le nom de TPE, une ou deux options où seuls les points supérieurs à la moyenne peuvent être comptabilisés, de bons résultats en langues grâce à des barèmes contraints, et voilà le travail. Nanti du diplôme délivré par notre indulgence, «premier grade de l’enseignement supérieur» comme nous l’a rappelé la présidente, ce jeune homme entame fort joliment ses études. Sic itur ad astra !

J’ai finalement profité de la pause méridienne pour m’éclipser sans rien dire. Assez lâchement, je dois le reconnaître. Parmi les copies examinées dans la matinée, les admis et les admissibles (c’est-à-dire les élèves invités à passer l’oral de rattrapage, avec de bonnes chances de succès) représentaient largement plus de 90 % du total.Les recalés, très rares, étaient pour l’essentiel des candidats qui ne s’étaient pas présentés à une partie des épreuves. Incontestablement, nous avions bien fait notre travail.

Et voilà, depuis hier soir les résultats sont tombés et mes élèves m’envoient des messages touchants pour m’annoncer leur réussite et me dire qu’ils ont obtenu de très bonnes notes en histoire-géographie. Satou, Camille, Assia ont toutes les trois eu 17/20 ; dociles et énergiques, elles ont «appris par cœur, récité par cœur», et c’est passé. Je suis content pour elles mais j’ai l’impression d’avoir participé à une escroquerie dont elles sont les victimes, et de les avoir bien mal préparées à ce qui suivra. Tout à l’heure, une voiture remplie de cinq jeunes bachelières folles de joie s’est arrêtée à ma hauteur. Je leur ai serré la main et je leur ai dit, parce c’est ce qu’il fallait dire à ce moment-là, que j’étais fier d’elles. Mais je ne suis pas fier de moi.

Avant les oraux de rattrapage qui auront lieu de lundi à mercredi, le taux de réussite au bac général est cette année de plus de 80 %.

 Ali Devine
Professeur d’Histoire dans un lycée de banlieue parisienne
Source : atlantico.fr
06/07/2014

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