« Si j’ai tort, qu’on me le prouve ; si j’ai raison, qu’on me l’accorde. »
D’innombrables essais et pamphlets ont été consacrés depuis un siècle et demi à l’antisémitisme chrétien et à son « enseignement du mépris », « terreau de la Shoah » selon Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis (1). En revanche, très peu d’auteurs modernes se sont intéressés à l’antichristianisme juif et à son « enseignement de la haine ». Pour son caractère provocateur mais aussi novateur, le dernier livre du journaliste et historien Martin Peltier mérite donc une lecture attentive… même si elle est critique.
Judaïsme biblique, judaïsme talmudique et travail de sape
Issu du « judaïsme biblique », le christianisme aurait été, dès ses premiers succès, la cible des attaques du «judaïsme talmudique» que l’on retrouverait, affirme Martin Peltier dans son chapitre Dominer par l’intérieur : la stratégie de l’hérésie, derrière toutes les entreprises destinées à affaiblir ce qui deviendra la Grande Église : dénonciations aux autorités impériales romaines, menant à une longue série de persécutions, encouragement aux résurgences néo-païennes tel le culte de Mithra auquel se convertit l’empereur byzantin Julien dit l’Apostat ou encore à la création de sectes dissidentes comme l’arianisme, le nestorianisme ou le monophysisme.
Ces initiatives n’ayant pas entravé les progrès de la nouvelle religion, un grand coup fut frappé avec la naissance de l’islam, « un arianisme qui a réussi », sous l’influence d’ébionites – judéo-chrétiens, au point que l’historien juif Léon Poliakov a noté « la convergence du Talmud et des Hadiths » musulmanes.
Se propageant avec une vitesse fulgurante, l’islam devait porter un coup fatal aux chrétientés d’Orient, les plus anciennes, surtout après l’installation du Califat à Bagdad où, depuis plus d’un millénaire, prospérait une importante et très influente communauté juive qui conserva les leviers de commande économiques : une situation pérennisée quand, les Turcs, nomades peu préparés à l’administration et au commerce, succédèrent aux envahisseurs arabes.
Europe : les marranes à la manœuvre ?
Les Églises d’Asie et de la côte africaine de la Méditerranée ayant été durablement ébranlées, voire anéanties, par la Djihad coranique malgré le coup d’arrêt des Croisades, l’islam tenait l’autre extrémité du mare nostrum avec l’occupation de la péninsule Ibérique. Occupation particulièrement humaine, et même idyllique si l’on en croit les laudateurs actuels d’Al Andalous qui n’hésitent pas à parler d’Age d’or, auquel devaient mettre fin la Reconquista, l’expulsion des musulmans et de leurs supplétifs (et souvent inspirateurs) juifs par les Rois très catholiques et celle des marranes, conversos judaïsant en secret.
Mais, toujours selon Martin Peltier (voir ses chapitres L’Espagne, berceau de l’antichristianisme moderne et De la Réforme aux lumières, le fil rouge portugais ou la pensée marrane), la réaction de ces derniers allait être aussi fulgurante que l’avait été la propagation de l’islam. Répartis dans toute l’Europe, de Londres à Salonique en passant par Amsterdam et Sarajevo (où ils imposent le ladino, le yiddish ibérique), ils auraient dès lors initié tous les progrès de « l’Irreligion », de la publication et surtout de l’instrumentalisation des Thèses de Luther (lui-même fort peu judéophile) aux Lumières, du mouvement des Libertins français à la révolution juridique anglo-saxonne qui a influencé tout le droit international, de la philosophie de Spinoza à la Maçonnerie et à la «révolution franco-russe».
S’agissant en effet de la France, notre auteur ne craint pas d’écrire, en s’appuyant sur des auteurs israélites (Blandine Kriegel et Daniel Linderberg entre autres) : « La France “moderne, républicaine et laïque”, c’est tout simplement la France juive. Une France juive qui s’est attaquée par tous les moyens, dans un combat à mort, à la France chrétienne. De sorte que ce qu’on a appelé le progrès fut la victoire de la révolution juive sur la société chrétienne. »
La religion universelle, « but final du judaïsme »
D’aucuns déploreront l’outrance du propos jusqu’à parler de monomanie, d’autres regretteront le nombre de coquilles, l’absence d’index et de bibliographie dans ce livre et la bizarrerie de son impression. Reste une accumulation de faits oubliés ou ignorés et de maints témoignages irrécusables, y compris de rabbins et d’auteurs comme Israël Ben Menassé prônant dès le XVIIe siècle « le judaïsme comme religion de la Raison, et comme future religion naturelle, commune, dans un monde à venir, à l’humanité tout entière ». Et, comme la monomanie n’est pas d’un seul côté, le Livournais Elie Benamozegh d’insister, deux siècles plus tard : « La constitution d’une religion universelle est le but final du judaïsme », cette religion ne consistant « pas dans une conversion pure et simple des gentils au mosaïsme […] mais dans la reconnaissance que l’humanité doit faire de la vérité de la doctrine d’Israël ». En matière religieuse mais aussi historique… et donc politique.
Nostra Ætate, une trahison des chrétiens d’Orient
D’autre part, à l’heure où se déchaînent à travers le monde, en Irak notamment, les persécutions antichrétiennes, il n’est sans doute pas inutile de rappeler, comme le fait l’auteur, la responsabilité de la déclaration Nostra Ætate inspirée par l’historien Jules Isaac (celui des manuels Malet et Isaac) et «imposée en force» par Jean XXIII en 1965, et malgré l’opposition du patriarche de l’Église catholique de rite oriental pour complaire au peuple qui n’est plus «perfide» (2).
Cette déclaration, estime-t-il, « signa l’arrêt de mort des chrétientés d’Orient, débutant un déclin rapide que devait accentuer en 1993 la reconnaissance de l’État d’Israël par le Vatican (…) Depuis Nostra Ætate puis les tractations avec les juifs menées par Jean Paul II dès son avènement en 1978 (…), l’Église a quitté sa prudence habituelle pour manifester une préférence pour les juifs forcément suspecte aux yeux des Arabes. Et la position des chrétiens (…) est devenue globalement intenable. Les massacres et les exodes des chrétiens d’Orient sont le résultat direct de Nostra Ætate et de la nouvelle politique du Vatican, elles-mêmes fruits de l’antichristianisme juif. »
Exagération ? Aux censeurs éventuels, Martin Peltier rétorque : « Si j’ai tort, qu’on me le prouve ; si j’ai raison, qu’on me l’accorde. » Position inattaquable sur le plan philosophique. Sur le plan judiciaire, c’est moins sûr.
Jacques Langlois
14/08/2014
Martin Peltier, L’Antichristianisme juif. L’Enseignement de la haine, Éditions Die, Paris 2014, 325 pages, 26 €.
En vente sur les sites de la Librairie française, d’Akribeia, de Europa Diffusion, de Livres en famille, de la Fnac, etc.
Notes
- Non pas cardinal comme le sacrait Le Figaro du 22 septembre 2006 en présentant l’un de ses livres écrit en collaboration avec le philosophe musulman Youssef Seddik et le grand rabbin Samuel Sirat.
- Instituant un «dialogue fraternel» avec nos «frères aînés», cette déclaration postule à propos de «la mort du Christ» que «ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps», qu’il ne faut donc plus considérer comme déïcides.