« Contrairement à ce que pensent les « républicains » de tendance révolutionnaire, l’unité dans la diversité est possible. »
La proposition de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale à l’issue du débat qui s’est déroulé les 22 et 28 janvier. Dans un article précédent, antérieur au débat parlementaire, Bruno Guillard avait déjà énoncé ses réserves face à cette Charte qui, selon lui, mettrait « en danger l’identité de la France et celle de ses régions », en raison notamment d’interprétations inévitables qui iraient au-delà des strictes langues régionales. Voici sa deuxième analyse.
Polémia
Dans le magazine Marianne du 31 janvier 2014, Madame Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université de Rennes-1, a pris position très clairement contre la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires par l’Assemblée nationale.
Dans un précédent article, j’ai souligné les conséquences possibles de la ratification de cette charte dont certaines interprétations pourraient permettre de promouvoir l’officialisation de certaines langues non autochtones telles que l’arabe et le romani. Au cours du débat qui a eu lieu à l’Assemblée le 22 janvier 2014, le député de gauche André Chassaigne a déjà planté quelques jalons en faveur de l’officialisation de l’arabe, du chinois et de toutes les langues parlées en France ! Ce n’est qu’un début ; nous ne doutons pas que dès que cette charte sera ratifiée, les forces favorables à l’immigration et à la pulvérisation des identités autochtones, aussi bien française que bretonne, provençale, alsacienne, chercheront à l’utiliser pour brouiller un peu plus l’identité de la France et celles de ses régions.
Madame Le Pourhiet, qui s’était distinguée en 2013 par ses prises de position contre la loi Taubira relative au mariage des homosexuels, aborde la question des langues régionales de manière très cohérente compte tenu de ses convictions « chevènementistes ». En digne héritière de l’idéologie révolutionnaire, elle revendique l’idée d’une uniformité linguistique de la France, au nom de l’égalité, bien sûr. Or l’argument d’égalité n’est pas convaincant parce qu’il existe des pays multilingues dans lesquels l’égalité des droits des citoyens est parfaitement respectée (au moins autant qu’en France), ainsi la Suisse ou la Grande-Bretagne. De plus, le refus d’accorder leur juste place aux langues régionales est à l’origine d’une inégalité de traitement entre la majorité des citoyens qui ne sont que francophones et les minorités qui, en plus d’être francophones, pratiquent des langues locales avec lesquelles elles ont des liens affectifs, historiques et familiaux et qui ne bénéficient pas des mêmes conditions d’enseignement que le français. Ces minorités autochtones peuvent, à juste titre, se considérer comme étant maltraitées, ce qui n’est pas acceptable dans un Etat qui a la prétention de maintenir une égalité entre ses citoyens.
Madame Le Pourhiet met en avant dans cet article l’argument de la « re-féodalisation » de la France, laquelle découlerait inéluctablement d’une renaissance des langues régionales. Cet argument n’est pas plus convaincant que le précédent parce qu’il n’y a pas davantage de féodaux en Suisse qu’il n’y en a en France. Il existe, certes, en France des baronnies mais ce sont des baronnies politiques qui parlent français (de moins en moins bien d’ailleurs). Contrairement à ce que pensent les « républicains » de tendance révolutionnaire, l’unité dans la diversité est possible ; il n’est besoin que de considérer le patriotisme des Suisses qui, bien que bidimensionnel, est sans aucun doute un des plus résilients qui soient. Comme je l’ai évoqué dans un précédent article publié par Breizh-Info, le général De Gaulle, qui s’y connaissait en matière d’indépendance et d’unité du pays, a souhaité, à la fin de sa vie, donner aux régions la possibilité de mener « une existence propre » et a exalté leurs caractéristiques ethniques dont il pensait qu’elles étaient autant d’éléments constitutifs de la grandeur et de la richesse du pays. Il a ouvert une voie qu’aucun de ses successeurs n’a voulu emprunter et qui pourrait être une voie d’avenir permettant d’associer le renouveau du sentiment national (75% des Français se disent fiers d’être Français en 2013), la montée du localisme (une majorité de ceux qui expriment un avis sur ce sujet souhaite une large dévolution de pouvoirs en faveur des régions, selon un sondage réalisé par ViaVoice pour l’Association des régions de France en 2011) et l’attachement des Français à leur terroir et à leur commune. Contrairement à ce que pensent les héritiers de la Révolution française et les indépendantistes, il est possible de concilier en toute harmonie les appartenances régionale et nationale (l’identité de chacun d’entre nous est d’ailleurs plurielle : identité familiale, sexuelle, locale, communale, régionale, professionnelle, nationale…) ; il est même possible de penser, comme le faisait Charles De Gaulle, que c’est en participant d’abord activement à la vie de sa communauté régionale qu’on participe à celle du pays.
L’idéologie qui anime les « républicains » d’obédience révolutionnaire (je mets le mot « républicains » entre guillemets parce que l’idéal républicain véritable, celui qui vise la recherche d’un Bien Commun, n’est pas la propriété exclusive des thuriféraires de la Révolution française, lesquels ont d’ailleurs perdu de vue le fait que cet idéal aristotélicien n’est pas ordonné à l’idée d’égalité mais à celle de communauté) est en fait sous-tendue par une obsession malsaine de l’uniformité et de l’indifférenciation qui est une des conséquences d’un universalisme dont l’origine se situe dans la philosophie des Lumières. Il est, bien sûr, tout à fait légitime de penser que le Bien Commun pourrait être compris, entre autres choses, comme la possibilité laissée à chacune des composantes régionales du pays de s’autogouverner pour tout ce qui relève de la vie régionale. Les « républicains » objectent à cela que ce n’est pas dans la tradition de la « République » ; mais sommes-nous condamnés à subir cette « tradition », qui n’est pas si ancienne, pour l’éternité ? Certes non. D’ailleurs, toutes les études d’opinion montrent que cette fameuse tradition n’est pas du goût de la majorité. Or, en démocratie, la légitimité est du côté de la majorité.
Bruno Guillard
05/02/2014
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