« Quant à l’information de RTL précisant que le militant antifa n’a pas été “lynché une fois par terre”, tout le monde le savait ».
D’abord instruments d’une récupération politique, les médias ont fini par opérer une prudente volte-face devant l’affaire Méric, à deux ou trois journaux près pour qui le réel, comme en ex-URSS, n’a de valeur que s’il démontre la doxa.
Quand le pouvoir médiatique est devenu globalement univoque, ses réactions trahissent presque toujours le même élan collectif et l’on assiste, pour le moins intrigué, à de grands emballements proches de l’hystérie de masse, puis à de subits revirements un peu honteux. C’est en tout cas très clairement l’impression que notre classe médiatique a donnée au sujet de l’affaire Méric.
Le phénomène ne laisse pas d’inquiéter, d’abord pour la dimension chaotique et frivole que cela traduit de son travail, et ensuite parce que cela témoigne d’une démocratie en très mauvais état de fonctionnement. En effet, dans une démocratie saine, ou dans n’importe quel régime « bien tempéré », les médias n’auraient pas été aussi grossièrement manipulés par un pouvoir aux abois comme nous le démontrions dans le précédent dossier, et, étant donné les éléments que tous avaient sous les yeux, si l’on tenait absolument à faire sortir l’affaire du champ des faits divers, on aurait dû avoir droit à des éclairages contradictoires. Une telle attitude ne réclamait même pas des qualités particulières, mais seulement la déontologie minimale de professionnels de l’information. L’évolution de l’histoire eût du moins paru moins calamiteuse… Or, après la furie initiale, la désignation tous azimuts des responsables de la mort d’un enfant, la martyrologie spontanée et le Chant des partisans entonné Place Saint-Michel, nous avons assisté, notamment après les révélations de RTL au sujet des films de vidéo-surveillance ayant enregistré la rixe entre Skins et Antifas, à un étrange et soudain retournement de situation…
Une « nouvelle version » ?
Les images de vidéo-surveillance et le procès-verbal des vigiles accablent les Antifas et confirment les allégations d’Esteban Morillo et de ses acolytes : les Antifas auraient bien rempli la fonction qui est la leur, c’est-à-dire « chasser du Skin » et Clément Méric, s’il était le plus faible du groupe, aurait également été le plus virulent. Attaquant dans le dos un adversaire déjà confronté à deux hommes, le futur martyr, initiateur de la confrontation, ne s’encombrait visiblement pas de principes chevaleresques. Après la révélation choc de RTL le 25 juin, les autres médias la reprennent, sans le moindre mea culpa, mais comme s’il s’agissait, au fond, d’un rebondissement inattendu. Le Figaro du lendemain raconte comment la vidéo-surveillance montre l’affaire « sous un jour nouveau ». Dans la presse locale, on trouve le même genre d’expression : « L’autre version », titrent Le Bien public, Les Dernières Nouvelles d’Alsace comme Le Dauphiné libéré. Pourquoi, l’autre version ? Avant cette vidéo, nous montrions ici comment les éléments connus et divulgués par ces mêmes journaux tendaient bien tous vers cette interprétation des faits. Les révélations de la radio RTL n’ont fait que confirmer ce qui était déjà connu à propos des éléments concrets et insister encore sur le fait que la victime était bien l’agresseur originel.
Chute de fièvre
S’il y a eu une autre version, une version seconde, superposée à la première, c’est celle fomentée par les Antifas, d’abord, qui jouent aux loups tigrés rouge et noir sur leurs blogs, et aux agneaux immaculés s’ils tombent dans la rue. C’est surtout, essentiellement, celle des politiques qui se sont galvanisés d’un lyrisme hallucinatoire en dépit des faits et ont inventé de toutes pièces la thèse de l’assassinat politique. La fièvre délirante est retombée avec cette piqûre de rappel, et on est simplement revenu à la première version, la seule véritablement établie et qu’avait d’ailleurs retenue le juge d’instruction, lequel, au contraire des politiques et des médias, avait gardé la tête froide et inculpé Morillo au vu des faits connus, c’est-à-dire de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».
Les éditorialistes, les militants associatifs, la plupart des politiques et les ados camarades de classe de Méric n’ayant pas assisté à la rixe ont pu scander leur récit en boucle, les fondements de ce récit ne tenant, pour les derniers, qu’à leur désir légitime d’auréoler leur ami perdu, pour les autres, qu’à leur désir de désigner leurs opposants à la vindicte publique par n’importe quel raccourci.
Retour critique
À la suite de ce dégrisement, de ce brusque démenti, quelques voix, dans la profession, ont tout de même commencé de pointer ce qui peut s’apparenter à une faute collective. « La récupération politique de ce fait divers n’a échappé à personne. Vous avez tous jugé ces jeunes, mais avez-vous jugé le gouvernement ? » s’interrogeait ainsi M. Vleirick dans Nord Littoral, le lendemain des révélations de RTL. « Avez-vous jugé les médias qui ont joué le jeu de cette récupération politique avec autant de zèle ? », aurions-nous envie d’ajouter. « A en juger par les réactions que ces révélations ont suscitées hier sur la Toile et les sites des journaux – de droite ou de gauche – on peut penser que la polémique sur cette affaire un peu trop vite qualifiée de “crime fasciste” ne fait que commencer », lisait-on dans 24 heures. Si elle ne fait que commencer, elle avait déjà été initiée en amont par l’OJIM… « Avec les “révélations“ de RTL hier matin, puis les “contre-révélations” de Libération, la mort de Clément Méric, pour tragique qu’elle soit, est retombée dans la chronique des faits divers. Son classement en rubrique politique était d’ailleurs un peu prématuré », remarquait le Courrier Picard. C’est le moins que l’on puisse dire. Et cette vérité va même être énoncée avec davantage de force par… Laurent Ruquier, le 29 juin dernier, sur France 2, dans son émission On n’est pas couchés.
L’animateur évoque en effet l’affaire dans la rubrique « Top flops » et, après l’avoir résumée à une rixe entre bandes rivales, il enjoint ses confrères à une extrême prudence, taclant leur emballement qui venait de se révéler si grotesque.
« Libé », « l’Huma », ou la vérité au goulag
Mais il y a également des journalistes qui, dans cette pathétique histoire, n’ont jamais pris la fièvre, ou alors chez qui la fièvre idéologique est la grille naturelle d’analyse du réel, seule possibilité, sans doute, pour ces militants, de maintenir une méthode d’approche du monde totalement périmée : périmer le monde lui-même. On trouve alors chez eux le déni le plus parfaitement décomplexé. Pour L’Humanité : « Clément Méric passe de victime à agresseur par la grâce de RTL ». La possibilité qu’un agresseur puisse finir victime du conflit qu’il a déclenché semble une proposition sans doute beaucoup trop complexe et alambiquée pour entrer dans les cases bien définies de la doctrine du journal communiste. Et l’on remarquera que ce ne sont pas les faits qui sont en cause, ni les vidéos qui les retranscrivent, mais la radio qui les rapporte, de la même manière, sans doute, que la violence des banlieues françaises est une création de TF1. « Grâce » est le terme juste à employer, dans ce cas de figure, quoiqu’il paraisse si dissonant sous la plume des tenants du matérialisme athée. En effet, il faut vraiment une rupture de l’ordre rationnel pour que le messager intervienne sur la réalité qu’il rapporte et en soit tenu pour responsable. Une superstition, du reste, archaïque. Mais on trouve aussi d’autres interprétations qui sont moins magiques que simplement d’une mauvaise foi débile : « Selon les écoutes de la police, Esteban Morillo aurait été appelé en renfort par sa copine et serait donc venu avec l’intention claire d’en découdre. » S’il a été appelé en renfort, c’est donc qu’il est venu défendre sa copine qui se sentait menacée… Le renversement de l’initiative d’agression se résout ici désespérément par un simple abus de langage.
Touche pas mon icône
Mais le summum de la gauche religieuse, qui emploie le langage de la mystique pour mieux éviter le réel, a été atteint dans cette affaire par Libération. C’est ce journal qui a sanctifié Méric sur sa couverture le jour suivant son décès et qui est allé le plus loin dans la mystification : « Clément Méric, antifa devenu icône », titre le journal le lendemain des révélations de RTL. Pour le coup, Méric n’est devenu icône que par la grâce de Libé, que par la profération autoréalisatrice de ses journalistes. Il semble en effet peu probable que le visage poupin de l’étudiant de Sciences-Po rivalise demain avec celui, barbu, du Che, sur les tee-shirts des fils de bobos. Néanmoins, cet argument, fût-il illusoire, est cardinal dans la vision des choses exposée par Libération. Il conditionne tout le reste. Si Méric est une icône, il n’a pas à être traité comme un citoyen ordinaire. Aussi Fabrice Rousselot, dans son édito, peut-il tranquillement affirmer : « On pourrait alimenter la polémique vaine de savoir “qui a commencé”. Qui a donné le premier coup, qui a insulté un peu plus ou un peu moins, qui voulait la bagarre. » Eh bien, oui ! Pourquoi faire un procès équitable ? Pourquoi s’intéresser aux faits ? Pourquoi vouloir savoir ce qui s’est réellement produit ? Pourquoi vouloir juger en connaissance de cause ? Puisqu’on vous dit que Méric est une icône. Or, une icône, on l’encense ou on ferme sa gueule. Toute autre attitude est déplacée. « Les fascistes sont une menace pour la démocratie, pas ceux qui les combattent. » Donc ? Doit-on en conclure que Libé donne son blanc-seing à l’extermination à vue des fascistes ? Ceux qui combattent leurs adversaires politiques par la traque, la dénonciation, l’appel au meurtre et la violence seraient donc des démocrates exemplaires ?
La dissolution du réel
Mais le point sur lequel Libération n’a pas tort, c’est quand il note que la vidéo, contrairement à ce qu’affirme la majorité des médias après le 25 juin, n’apporte en effet pas d’élément fondamentalement neuf au dossier, et, comme nous le remarquions plus haut, qu’il n’y a pas lieu de parler de « nouvelle version », formule qui trahit surtout un cafouillage du relais médiatique. L’attitude de Libé a le mérite, si ce n’est de la justice, du moins de la cohérence. On nous dit en somme que, bien sûr, les faits ne plaident pas en faveur de la thèse d’une victime innocente assassinée gratuitement, que, non, Méric n’a pas été lynché au sol et qu’il est certain qu’il était belliqueux, mais qu’au fond le problème n’est pas là, que les faits n’ont en eux-mêmes strictement aucune importance. Ce qui compte, c’est qu’en tant qu’antifa Méric était ontologiquement pur, quelle que soit la manière dont il ait pu se comporter, en conséquence de quoi, remettre en cause son statut de martyr et d’icône relève du blasphème. C’est en fonction de cette métaphysique de poster de chambre d’ado que nous sommes censés juger des choses, point. Le réel est un domaine réservé aux ergoteurs funestes et demeure toujours suspect de ne pas collaborer à ce que Philippe Muray appelait « L’Empire du Bien ». Votons sa dissolution !
Le lieu du scandale
« Quant à l’information de RTL précisant que le militant antifa n’a pas été “lynché une fois par terre”, tout le monde le savait, les témoins, la PJ et le procureur de Paris l’ayant bien expliqué », précise donc encore Rousselot. Cela est juste et cependant, si cette non-information a été rapportée de cette manière, c’est bien parce que l’affabulation d’un lynchage avait circulé, et, si elle avait circulé, c’est parce que des faits semblables auraient correspondu à la rhétorique précisément employée par des journaux comme Libération, sans quoi Libé se retrouve avec un martyr dépourvu de son auréole. Non, le pauvre étudiant n’a pas été lynché et sa mort, si elle est tragique, ne tient pas du scandale politique. En revanche, si la plupart des médias sont donc revenus piteusement de ce faux scandale, il est étonnant que n’ait été nulle part désigné le vrai scandale : comment ce fait divers a été manipulé par le gouvernement pour organiser un lynchage symbolique de ses opposants, ceux-ci tenus implicitement pour responsables de la mort d’un adolescent et de la résurrection du nazisme par une chaîne de syllogismes proprement aberrante. Que les médias, abusés avec autant de facilité, aient participé à l’organisation de ce lynchage, voilà qui aurait mérité toutes les épithètes accolées hâtivement à l’événement : « lâche » et « odieux », par exemple. Et voilà ce qui ressortit bien, en effet, au scandale politique.
M.D.
Source : Observatoire des journalistes et de l’information médiatique
15/07/2013