André Posokhow, consultant
♦ Face à la prédation des sols de nos campagnes et de notre patrimoine paysager par l’éolien industriel, on sent un souffle d’opposition se lever. Certes, ce n’est pas encore une tempête, loin de là ; la propagande médiatique y veille. Mais des manifestations ont eu lieu dans différents endroits et plusieurs ouvrages ont paru récemment : Eolien, une catastrophe silencieuse, de Jean-Louis Butré, président de la Fédération de l’environnement durable, Eoliennes, un scandale d’Etat, d’Alban d’Arguin, et Au diable les énergies renouvelables, de Michel Gay.
Des articles, ravageurs, paraissent comme celui de F. de Monicault dans le Figaro du 2 mai : « L’éolien a-t-il encore un avenir ? ». Le 19 avril dernier, l’Académie des Sciences a publié un libre point de vue important et non conformiste, « La question de la transition énergétique est-elle bien posée dans les débats actuels ? », dont Polémia rend compte ci-après.
La question de la transition énergétique a conduit beaucoup de nos concitoyens à penser qu’il serait possible de développer les énergies renouvelables (ENR) comme moyen majeur de décarbonation de la production énergétique tout en la débarrassant des énergies fossiles et du nucléaire. L’Académie des Sciences considère que les débats actuels ne prennent pas la pleine mesure du problème et souhaite rappeler un certain nombre de vérités pas très énergétiquement correctes.
Il n’existe pas de solution universellement optimale aux choix de politique énergétique
La solution énergétique adaptée à chaque pays dépend de ses contraintes géographiques et climatiques. Certains pays ont des besoins importants de chauffage pour faire face à des climats froids. Certains sont fortement urbanisés. D’autres ont une population plus rurale. Ces différences en termes de géographie et d’activité économique influent fortement sur les choix de « mix énergétiques » et des politiques de l’énergie.
Il ne faut pas oublier les réalités des ENR
1°-L’électricité ne représente que 25% de notre consommation d’énergie et il faut distinguer le mix énergétique qui concerne l’ensemble de nos activités du mix électrique. Par conséquent, arriver à 30% ou 40% d’ENR dans la production énergétique ne sera ni aisé ni rapide pour autant que ce soit réaliste.
2°-Variabilité, intermittence et activité aléatoire, tels sont les caractères de la production électrique des ENR.
Pour les éoliennes, le facteur de charge moyen en France (rapport entre l’énergie produite et celle qui correspond à la puissance maximale affichée) est de 23%. Il est de 13% pour le solaire photovoltaïque. La puissance disponible issue de l’ensemble des éoliennes réparties sur le territoire tombe souvent à 5% de la puissance affichée. Ainsi, un ensemble qui peut en principe fournir 10 GW ne délivre qu’un demi-GW pendant une partie du temps.
Les solutions à cette variabilité des ENR existent mais posent des problèmes redoutables
1°-On pourrait penser que des échanges d’énergie entre pays européens pourraient résoudre ce problème. Or les nuits sont partout longues à la même période en Europe, et les anticyclones souvent simultanés chez nous et nos voisins.
2°-Afin d’anticiper les problèmes de stabilité de réseau qui pourraient résulter de variations soudaines des niveaux de vent ou d’ensoleillement et de minimiser le risque de black-out à l’échelle de notre pays, voire de l’Europe, il est indispensable de procéder à une extension significative et, si on peut ajouter, particulièrement onéreuse (NDLR) du réseau de transport de l’électricité pour raccorder les lieux de production, collecter les énergies électriques produites de façon diffuse et les faire remonter vers les lieux de consommation.
3°-Une solution à cette intermittence pourrait être le stockage massif de l’électricité. Mais les capacités de stockage hydroélectrique les plus efficaces sont, en France, presque saturées. Des progrès sont réalisés sur les batteries et sur d’autres modes de stockage, mais à l’heure actuelle on est loin de pouvoir stocker ne serait-ce qu’une petite fraction des 10TWh (1TWh = 1 milliard de kWh) que la France consomme en une semaine.
Pour stocker deux jours de cette consommation, avec une technologie performante lithium-ion comme celle employée sur les automobiles Tesla, il ne faudrait pas moins de 12 millions de tonnes de batteries utilisant 360.000 tonnes de lithium, sachant que 40.000 tonnes de ce métal sont extraites chaque année !
D’autres solutions sont envisagées, comme le stockage chimique à travers l’électrolyse de l’eau qui produit de l’hydrogène, un vecteur d’énergie, mais ces solutions sont pour le moment bien trop chères, leur rendement est faible et leur maturité technologique réduite. On est encore loin de pouvoir déployer des solutions industriellement viables à l’échelle de notre pays.
Ainsi le stockage de l’énergie sera probablement réalisé dans un avenir lointain mais n’est pas une solution opérationnelle à court et moyen termes.
4°-Une production d’électricité qui garantit la consommation du pays nécessite la disponibilité des énergies « à la demande », auxquelles on peut faire appel en permanence. Il n’existe aucun pays qui ne recoure significativement aux ENR sans faire appel à des productions mobilisables et pilotables (centrales thermiques, nucléaire). Le cas de l’Allemagne est exemplaire. En 2011 notre voisin a décidé de sortir du nucléaire, dont la contribution à la production électrique n’était que de 22% en 2010, sortie qui ne représente pas les mêmes défis qu’une sortie du nucléaire en France. Six ans plus tard, la part du nucléaire est de 13%, celle des renouvelables de 30%, ce qui est remarquable, mais la part des combustibles fossiles reste de 55%. C’est la croissance de l’offre intermittente d’électricité produite par les renouvelables qui a nécessité l’ouverture de nouvelles capacités de production thermiques à charbon (13 GW) et un développement de l’exploitation du lignite particulièrement polluant. Ainsi l’Allemagne continue à être l’un des pays européens les plus gros émetteurs de CO2 et les plus pollueurs pour un prix de l’électricité le plus élevé.
L’Académie des Sciences conclut en soulignant qu’on ne peut parler d’un succès de la transition énergétique et du développement des ENR en Allemagne.
C’est l’énergie nucléaire qui fait de la France un bon élève de la classe énergétique
La France est, parmi les pays développés, l’un des plus faibles émetteurs de gaz à effet de serre par habitant (environ deux fois moins qu’en Allemagne, trois fois moins qu’aux Etats-Unis). C’est l’un des plus avancés dans la production d’électricité décarbonée. Cette sobriété en CO2 est le résultat de l’énergie nucléaire, qui fournit 75% de notre électricité et est le moyen le plus efficace pour réduire la part des énergies fossiles dans la production d’énergie électrique.
Cette énergie repose sur des compétences scientifiques reconnues, sur une industrie nationale dotée d’une expérience opérationnelle unique et sur une autorité de sûreté compétente et indépendante. L’énergie nucléaire nécessite une gestion rigoureuse de ses déchets, qui a fait l’objet de plusieurs lois successives et d’un effort de recherche soutenu et cohérent.
D’autre part, l’industrie nucléaire est aujourd’hui confrontée à des exigences justifiées de sûreté qui se traduisent par des questions techniques à résoudre. L’Académie des Sciences pense que nos ingénieurs et nos entreprises ont les compétences pour traiter ces problèmes et apporter les solutions requises.
On ne peut concilier la diminution des gaz à effet de serre et une réduction drastique de la part du nucléaire
Il y a une contradiction à vouloir diminuer les émissions de gaz à effet de serre tout en réduisant drastiquement la part du nucléaire. De nombreuses études montrent que la part totale des énergies renouvelables dans le mix électrique ne pourra pas aller très au-delà de 30-40% sans conduire à un coût exorbitant de l’électricité, à des émissions croissantes de gaz à effet de serre et à la mise en question de la sécurité de la fourniture générale de l’électricité.
Par ailleurs, le problème des 75% d’énergie non électrique consommés par les transports, l’habitat, l’industrie est autrement redoutable. Même avec les efforts d’économies d’énergie, ces secteurs resteront pour plusieurs décennies encore quasiment hors d’atteinte des ENR. En revanche, notre électricité décarbonée permettrait d’ores et déjà à la France de transférer vers l’électricité certaines des activités utilisant des combustibles fossiles, pour le plus grand bien de sa balance commerciale et de la baisse de ses émissions, bien plus qu’elle ne le fait actuellement.
Les recommandations de l’Académie des Sciences
Les citoyens doivent aussi être plus exigeants et demander à leurs élus de travailler à des scénarios réalistes qui évitent les idées reçues, et parmi lesquels ils devront faire leurs choix. C’est loin d’être le cas et ces élus sont généralement les premiers à se ruer, tête baissée, dans le mur de l’énergétiquement correct et à vouloir l’imposer à leurs administrés (NDLR).
Le tout renouvelable n’est pas possible et il faut aller vers une solution énergétique où l’énergie nucléaire aura sa place dans les prochaines décennies si l’on veut maintenir une électricité décarbonée et (NDLR) à meilleur marché que nos voisins.
L’amélioration constante de notre système énergétique passera par des investissements massifs en recherche fondamentale, technologique et industrielle car de nombreuses questions doivent être étudiées (déchets et sécurité nucléaires, stockage de l’énergie, capture et séquestration du CO2, réseaux intelligents…).
Enfin, au-delà de l’équilibre du mix énergétique, il faut porter l’effort sur les questions des économies d’énergie qui peuvent être réalisées pour réduire la consommation dans le bâtiment, le transport.
En définitive, l’Académie des Sciences, auteur de ce document de réinformation scientifique, a fait preuve de courage et de rectitude intellectuelle. Elle a convié les citoyens à refuser le culte aveugle et non raisonné du tout renouvelable. Elle préconise la recherche d’une solution énergétique réaliste et équilibrée qui laisse sa place au nucléaire et permette de concentrer les efforts sur les économies d’énergie.
André Posokhow
Consultant
6/05/2017
Correspondance Polémia – 10/05/2017
Image : Campagne de France à l’ère nouvelle