Par Didier Beauregard, journaliste et essayiste ♦ La disparition du PS et la déroute de LR font de la présidentielle 2022 un cru exceptionnel, n’en déplaise aux grincheux qui se sont abondamment désolés de la médiocrité de la campagne. Le scrutin, sans réels débats sur les programmes, a permis d’aller à l’essentiel ; chacun, en définitive, a choisi son camp en votant pour un personnage qui incarne sa famille idéologique et non plus pour des illusions de programmes, sans lendemain. Le vote utile a couronné cette démarche d’appartenance. Les familles idéologiques se sont comptées et le gâteau électoral a été découpé en trois. Ce constat d’une recomposition politique par les centres que nous avons posé déjà depuis longtemps, est une bonne nouvelle.
Cette phase de décantation est un passage obligatoire pour ouvrir les voies de l’avenir. Elle doit, en toute logique, être une phase transitoire vers une clarification plus décisive de la sociologie politico-idéologique du pays. La situation actuelle offre, en effet, au-delà de ses mouvements de fond, un paysage surréaliste, où, dans la perspective du deuxième tour, un parti dit « d’extrême droite » se voit contraint de draguer les électeurs d’un parti d’extrême gauche, tout en faisant la guerre à un parti idéologiquement frère ; et où, une force politique qui incarne le centre bourgeois libéral, courre également derrière le même mouvement populiste de gauche radicale ! Chaque famille politique devrait retrouver une cohérence idéologique de fond pour parachever la recomposition en cours.
L’illusion LFI
La gauche politique est moribonde même si son idéologie domine toujours l’espace public. Son destin logique est de suivre celui du PCF des années 90 : La décennie qui vient pourrait voir une sorte de fin des parties de gauche, avec une représentativité résiduelle en termes de voix et un réseau d’élus locaux qui leur permettrait de survivre au sein du système politique. La surprenante percée de LFI ne doit pas faire illusion. Mélenchon en siphonnant les voix de l’ensemble des partis de gauche, a mis un terme à la dynamique qui porte la gauche depuis le début des années 70 : une large palette de sensibilités idéologiques, rivales ou ennemies, qui permet de ratisser large et de se retrouver contre un ennemi commun lors des échéances électorales. Il n’y a plus désormais de réserves de voix à gauche, et LFI, au-delà de sa performance présidentielle, se retrouve avec un électorat éclaté sans cohésion idéologique possible pour construire une force politique de gouvernement. Toutefois, dans un sursaut d’élan vital, les débris épars des partis de gauche- PC, écolos et PS- peuvent encore conclure une alliance avec LFI pour sauver leur mise lors des législatives. La gauche, au contraire de la droite, garde un fond de culture unitaire qui peut la sauver d’une disparition fatale.
Droite patrimoniale vs droite de rupture
La droit LR, dite « droite républicaine », a, sans surprise, poursuivi avec acharnement son travail d’autodestruction. Son grand écart idéologique acrobatique a fini par un accident lourd qui la laisse gravement handicapée. Le scénario était écrit depuis longtemps, et la faiblesse de la candidate Pécresse n’est qu’un élément secondaire dans l’effondrement de LR. Ce dernier, nous l’avions déjà écrit, a vocation à être le parti croupion d’un vaste centre macroniste, où une part importante de l’électorat bourgeois et âgé se reconnait très largement. Le reste de l’électorat traditionnel de la droite, soit au moins un tiers des électeurs de 2012 et 2017, peut se retrouver chez Zemmour ou au RN. Le score décevant du candidat de Reconquête aura aussi servi à débloquer un électorat de réserve au RN, puisque plus de 80% des électeurs de Zemmour iront voter pour Marine Le Pen. La « droite » a été percutée par une réalité qu’elle ne pouvait plus ignorer ; celle, pour faire simple, de l’opposition sociologique entre une droite bourgeoise et une droite populaire, bien plus parlante que celle idéologique entre une droite républicaine et raisonnable et une droite extrême et populiste. La fin de LR, au niveau national, a entériné la rupture de la droite « classique », et clarifiée du même coup l’enjeu politique : on peut désormais logiquement parler de l’opposition de fond entre une droite patrimoniale, soucieuse d’abord de préserver l’ordre établi, et une droite de rupture, en attente d’un changement radical de l’ordre politique actuel.
Emmanuel Macron, acteur clé de la recomposition de la droite ?
La droite face à son destin
La droite de rupture est aujourd’hui face à son destin, et qu’importe que le RN ne se réclame ni de droite, ni de gauche, le déterminisme historique et sociologique le place inéluctablement à la droite de l’échiquier politique, là où ses adversaires le positionnent. Les termes de l’affrontement droite/gauche des dernières décennies ne structurent probablement plus le débat politique de manière décisive, mais restent un marqueur déterminant de la géographie politique, toujours structurée autour de trois pôles. La gauche et le centre ont largement parachevé leur processus de recomposition autour de deux forces dominantes, LFI et la Macronie ; le flanc droit reste incertain.
Jean-Yves Le Gallou sur Marine Le Pen au 2nd tour : « Merci qui ? Merci Zemmour ! »
La droite de rupture représente sur le papier autour de 40% de l’électorat, soit la première force politique du pays, le reste se répartissant à part à peu près égale, soit 30%, entre le centre macroniste et la gauche. L’enjeu de l’alliance des droites va déterminer la structuration de l’espace politique national. Unie, la droite devient le barycentre de la vie politique. Divisée, elle laisse le centre élargi sous l’autorité de Macron occuper la place de force dominante, en tant que centre de gravité du nouvel édifice politique qui repousse sur les marges les « extrêmes ». Passer le deuxième tour des présidentielles, l’épreuve des législatives s‘annonce redoutable pour la droite de rupture si elle va au combat divisée contre elle-même, minée par un affrontement dévastateur des egos et des détestations ! Le constat d’un socle de valeurs communes et le même sentiment d’urgence face aux dangers qui menacent notre pays, doivent former l’armature structurante d’une nouvelle alliance des droites qui mette définitivement fin au piège tendu par Mitterrand. Piège qui, durant quatre décennies, a empêché l’union du peuple des droites et assurer la domination idéologique de la gauche. Une recomposition aboutie redonnerait à chaque famille politique sa juste place.
Didier Beauregard
18/04/2022