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« La Quatrième Guerre mondiale » de Costanzo Preve

« La Quatrième Guerre mondiale » de Costanzo Preve

par | 23 mars 2014 | Médiathèque

« La Quatrième Guerre mondiale » de Costanzo Preve

« L’Europe n’a donc devant elle que deux voies, comme Hercule à la bifurcation du chemin : ou bien accepter l’hégémonie absolue (le leadership) des États-Unis et en devenir un appendice touristique et “humanitaire”, ou bien chercher la voie d’une autonomie stratégique réelle, eurasiatique ou même euro-centrique (…) »

« La première opération symbolique à accomplir dans cette Quatrième Guerre mondiale doit donc viser, du moins en ce qui concerne l’Europe, à remplacer la manipulation “politique” gauche/droite par la nouvelle opposition bien explicite entre partisans de l’euro-atlantisme et de l’empire américain, d’une part, et partisans de l’eurasisme qui résistent à cet empire, d’autre part. » Changer de paradigme, voici ce que propose l’auteur de « La Quatrième Guerre mondiale (*) » : une analyse originale des événements historiques du dernier siècle et qui décrit la tentative de l’empire américain de s’étendre à l’ensemble du monde. Un livre à mettre en parallèle avec « Le Siècle de 1914 » de Dominique Venner.
Polémia

Costanzo Preve (1943-2013) est un philosophe italien qui se définissait comme un marxiste « hérétique » et qui était un très fin connaisseur de la philosophie de Marx mais aussi de celle d’Aristote lequel était, à son sens, le maître penseur de la communauté. Costanzo Preve a écrit une centaine de livres dont seuls quelques-uns ont été traduits en français. Un de ses ouvrages, intitulé Éloge du communautarisme, a été publié en 2012 par les éditions Krisis, tandis que les éditions Armand Colin avaient publié son Histoire critique du marxisme en 2011. Les éditions Astrée viennent de faire paraître La Quatrième Guerre mondiale qui est un livre récent publié en Italie en 2008 dans lequel Preve fait une analyse de la montée en puissance de l’ « empire occidental » et de l’extension de sa domination culturelle au cours du siècle écoulé.

Première et Deuxième Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale a été l’occasion pour la jeune puissance américaine de s’inviter sur la scène européenne et elle lui a permis de prendre le leadership de nations européennes exténuées auxquelles elle a imposé sa vue du monde. Cette guerre marque donc le début d’un processus de domination géopolitique, économique et culturelle du monde qui n’est pas encore achevé et qui a pour objectif d’imposer la création d’une société mondiale uniformisée dans laquelle s’épanouira un capitalisme absolu (la logique de ce que Preve appelle « capitalisme absolu » est celle de l’incorporation intégrale de la décision politique dans la pure reproduction capitaliste).

« Quant à la deuxième guerre (…), elle ne fut en rien pour les États-Unis une guerre “antifasciste”, selon la fable politiquement correcte, mais une guerre géopolitique pour la conquête permanente de l’Europe et du Japon », conformément aux analyses des géopoliticiens anglo-saxons pour lesquels la puissance qui contrôle le heartland eurasiatique, c’est-à-dire le centre du continent qui s’étend de l’Atlantique au Pacifique, domine le monde (théorie énoncée par Halford Mackinder au début du siècle dernier). En conséquence, les États-Unis se devaient d’empêcher la conquête de cet espace par l’Allemagne, indépendamment de la nature de son régime politique.

Troisième Guerre mondiale

La période qui débute en 1945 et s’achève en 1991 correspond à ce qu’on appelle la guerre froide mais Costanzo Preve souligne que ce fut aussi une période de guerres chaudes ; pendant cette période il y eut presque en permanence des conflits au cours desquels les protagonistes étaient soutenus, les uns, par les Américains, et les autres par les Soviétiques.

Cette Troisième Guerre mondiale, faussement froide, s’inscrit en fait dans la continuité de la Deuxième, laquelle prolongea la Première. C’est parce que les États-Unis n’acceptaient pas que son allié soviétique de la veille dominât le heartland eurasiatique qu’ils menèrent cette guerre d’un genre inédit de 1946 jusqu’à l’écroulement de l’adversaire en 1989.

Quatrième Guerre mondiale

Au cours des années 1990, les États-Unis ont cru que leur domination allait pouvoir s’étendre non seulement à tous les pays du centre et de l’est de l’Europe, mais aussi à l’ancienne Union soviétique. Le livre de Zbigniew Brzezinski intitulé Le Grand Echiquier, publié en 1997, traduit parfaitement le sentiment et les intentions américaines. Brzezinski, qui pensait alors que les États-Unis avaient atteint l’objectif fixé par Mackinder, n’avait pas imaginé qu’un homme, Vladimir Poutine, allait renverser la table et changer le cours de l’histoire (lire à ce sujet les analyses d’Aymeric Chauprade). Depuis l’an 2000, Vladimir Poutine a restauré l’État russe et a redonné des couleurs à sa puissance militaire et à son système économique, ce qui déplaît terriblement aux États-Unis et à tous leurs « vassaux » (dixit Brzezinski). La renaissance d’une Russie patriotique et très conservatrice, réfractaire à l’idéologie et à la culture occidentales, constitue un obstacle majeur pour le projet « messianique » d’unification de l’humanité.

Pour Preve, la caractéristique la plus intéressante du messianisme états-unien est d’être :

  • …un messianisme dépourvu de véritable promesse messianique. Les promesses messianiques regardent en général le présent comme une réalité imparfaite, inepte, corrompue, qui doit être « rachetée » par l’avènement final d’une autre réalité, qui restaurera en quelque sorte le monde originel. Il n’y a rien de semblable dans le messianisme des États-Unis. Il est vrai que ce messianisme se fonde sur un projet d’homogénéisation globale du monde entier, qui est justement l’objet de l’actuelle Quatrième Guerre mondiale ; il est vrai aussi que cette homogénéisation n’a pas encore été réalisée, et qu’il s’agit de la mener à terme ; mais son projet suit son cours, il est présent sous nos yeux, il est déjà manifeste, c’est « La maison sur la colline », visible de partout dans le monde entier : l’impérialisme des États-Unis.
  • En tant que catégorie historique, la nation, en particulier sous sa forme moderne d’existence qui est celle de l’État-Nation, demeure inassimilable à l’Empire américain en tant que tel. Du moment que l’Empire américain trouve son origine dans un État-Nation particulier, les États-Unis, messianique et expansionniste, la destruction de toutes les autres nations du monde doit s’accomplir (…), en ruinant sur un plan géopolitique la souveraineté des autres, en ne conservant que certaines caractéristiques exotiques pour le seul marché touristique (…). Le processus prendra fin quand les nations ne seront plus que de simples ressources pour le marché touristique ; alors pourra commencer le dernier stade de leur existence, par l’adjonction de la langue anglaise obligatoire aux « dialectes nationaux » en voie de dépérissement.

L’hostilité que l’hyperclasse mondiale (pour laquelle les États-Unis sont le bras armé et le modèle) voue à la Russie est une conséquence du rejet par cette dernière du processus d’homogénéisation voulu par la première. La Russie apparaît de plus en plus clairement comme le principal môle de résistance au processus d’homogénéisation de l’humanité voulu par l’oligarchie occidentale, ce qui explique l’hostilité permanente et l’hystérie qui frappe fréquemment les « élites » et les médias occidentaux comme c’est le cas depuis quelques mois au sujet de l’affaire ukrainienne.

Vers un nouveau paradigme

« L’Europe n’a donc devant elle que deux voies, comme Hercule à la bifurcation du chemin : ou bien accepter l’hégémonie absolue (le leadership) des États-Unis et en devenir un appendice touristique et “humanitaire”, ou bien chercher la voie d’une autonomie stratégique réelle, eurasiatique ou même euro-centrique. »

La caste des politiciens qui tirent les ficelles, tant à Bruxelles que dans les capitales nationales, a choisi la première voie ; ainsi, en France, nous n’avons jamais connu un tel suivisme que celui de François Hollande, lequel prend clairement ses ordres à Washington. Mais, d’une part, de nombreux peuples européens ne partagent plus l’engouement de leurs « élites » pour les États-Unis (en France, en Espagne, en Allemagne… les opinions favorables aux États-Unis sont très minoritaires) et, d’autre part, le leader occidental donne des signes de faiblesse et de déclin, au moins relatif, ce qui permet d’envisager un futur retournement des peuples européens contre le projet d’uniformisation de l’humanité dans le cadre d’une société « capitaliste absolue » ; mais nous n’en sommes pas encore là, tant s’en faut.Pour combattre efficacement ce projet, il convient de ne pas se tromper sur le sens du combat qui doit être mené :

  • La première opération symbolique à accomplir dans cette Quatrième Guerre mondiale doit donc viser, du moins en ce qui concerne l’Europe, à remplacer la manipulation « politique » gauche/droite par la nouvelle opposition bien explicite entre partisans de l’euro-atlantisme et de l’empire américain, d’une part, et partisans de l’eurasisme qui résistent à cet empire, d’autre part.

En effet, le simulacre de démocratie que nous octroie l’hyperclasse est articulé autour de la compétition entre ce que les médias appellent la droite et la gauche, lesquelles ne sont que deux factions qui sont au service de son projet mondialiste. Pour Costanzo Preve, il est essentiel d’en finir avec cette opposition factice qui dissimule et, surtout, qui nous fait oublier les vrais enjeux.

Bruno Guillard
19/03/2014

 

Costanzo Preve, La Quatrième Guerre mondiale, éditions Astrée, 2013, 216 pages.

Bruno Guillard
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