L’association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), proche de l’UDC, a organisé une université d’été romande sur le thème « L’Europe contre l’Union européenne ». Nous donnons ici de larges extraits de l’intervention de Jean-Yves Le Gallou consacrée à la novlangue européenne. Polémia (la première partie est accessible ici)
Les mots fétiches (et trompeurs)
Il faut maintenant en venir à analyser l’usage massif du beau parler européen, ces mots fétiches de la Novlangue européenne, dont le sens a aussi été changé :
- La démocratie : pour vous comme pour moi, la démocratie est un ensemble de procédures permettant la meilleure expression possible du peuple. C’est la formule de Lincoln reprise par la Constitution française : « Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Ce n’est plus le sens qu’a le mot « démocratie » dans l’Union européenne. La limitation est double : – pas d’expression de démocratie directe ;
- une démocratie représentative encadrée par un ensemble de « valeurs » : en gros, la conformité au politiquement correct. Bref, dans cette perspective, la démocratie, ce n’est plus une procédure de décision, c’est un contenu idéologique impératif. Comme en Russie à l’époque Brejvnev. Ce qui conduit certains mauvais esprits à parler d’UERSS.
- Les valeurs européennes : telles qu’évoquées par l’Union, elles ne s’appuient sur aucun héritage, ni sur les chants de l’Iliade et de l’Odyssée, ni sur la Vie des hommes illustres de Plutarque, ni sur la vie des saints, ni sur cette merveilleuse synthèse qu’on a appelé les Humanités classiques depuis la Renaissance jusqu’aux dernières décennies du XXe siècle. Non, les valeurs de l’Union européenne sont hors sol, hors histoire, hors civilisation ! Les voici, selon la Charte des droits fondamentaux de l’Union : « L’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité, elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit. » Tout dépend évidemment de l’interprétation…
Ainsi l’article 62 de la Charte des droits de l’Union affirme que « toute personne a droit à la vie ». Mais le gouvernement hongrois a été réprimandé pour une campagne nataliste encourageant les couples, en cas de grossesse non désirée, à laisser leur enfant vivre. L’image représentait un enfant à naître s’exprimant ainsi : « Je comprends bien que tu n’es pas prête pour moi, mais je t’en prie : donne moi en adoption, fais moi vivre. » Cela a été jugé je cite « en contradiction complète avec les valeurs de l’Union » par la vice-présidente et commissaire européen chargée de la Justice, des Droits fondamentaux et de la Citoyenneté. Et il ne s’agit pas d’une virago d’extrême gauche mais de Madame Viviane Reding, une élue démocrate-chrétienne luxembourgeoise, bon chic, bon genre, et infiniment soucieuse des convenances. C’est la même femme qui compara l’attitude du gouvernement français sur les Roms à celle de l’Allemagne nazie…
Quant à la commission des libertés civiles et des affaires intérieures du Parlement européen, son action est structurellement dirigée dans deux directions :
- le renforcement des lois liberticides contre les pensées politiquement incorrectes ;
- l’élargissement des droits des migrants, y compris clandestins.
Bref une triple négation : de la liberté, de l’identité, de la souveraineté, en contradiction totale avec l’intitulé de la Commission. La Commission des libertés, c’est la commission des restrictions des libertés. On ici retrouve la devise de 1984 : La vérité, c’est le mensonge.
La notion d’État de droit relève aussi de la Novlangue : formellement l’État de droit suppose deux choses :
- un respect des règles et des procédures qu’on se fixe ;
- une égalité de traitement entre citoyens placés dans la même situation.
Dans la pratique de l’Union européenne la notion d’État de droit a connu une double dérive :
- La possibilité pour des magistrats d’interpréter à leur guise des textes généraux et de casser des directives, des règlements, des lois. Et donc d’accaparer la souveraineté des peuples et de leurs représentants. Aujourd’hui, ce sont les gnomes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg et ceux de la Cour de justice européenne (CJE) de Luxembourg qui sont les législateurs suprêmes : à l’écart des peuples et sous l’œil des médias politiquement corrects.
- Dans le même temps les règles formelles fixées par les traités sont délibérément violées : ainsi les décisions prises pour sauver la Grèce de la débâcle financière sont dépourvues de toute base légale ; et la Banque centrale européenne (BCE) rachète des obligations de certains Etats, ce qui lui est pourtant formellement interdit.
En fait d’État de droit, l’Union européenne conjugue abus de pouvoir des juges et viol de ses propres règles.
Le large recours à la notion de citoyen relève de la même logique de dessaisissement des peuples : le citoyen européen a peu de droits collectifs (si ce n’est élire des représentants une fois tous les cinq ans) mais on prétend lui donner des droits individuels : contester des lois votées et demander à des juges de les interpréter ou de les casser. Ce qu’on appelle la « citoyenneté européenne » n’est donc rien d’autre qu’un artifice au service du gouvernement des juges. Précisons que ce pouvoir de contestation peut aussi bien être exercé par des migrants étrangers que par des citoyens européens. Ici la « citoyenneté » s’oppose à la souveraineté.
Les mots sidérants
Enfin le recours aux « mots sidérants » sert à imposer le déni de réalité, le déni de cohérence et le déni de débat : quiconque ne pense pas comme il faut se voit qualifier d’être « europhobe, xénophobe, nationaliste, populiste, voire d’extrême droite ». Ce qui permet ensuite selon les meilleurs logiques totalitaires d’interdire de participer à des débats ou d’obtenir des salles de réunion.
Un vocabulaire institutionnel incompréhensible
Pour être complet, il faut ajouter que le vocabulaire des institutions européennes est incompréhensible pour quiconque n’est pas un expert des institutions européennes :
- le gouvernement européen porte le nom de « Commission » ;
- ce qu’on appelle « Conseil des ministres » n’est pas un gouvernement mais une chambre haute ;
- ce qu’on nomme « Parlement » n’est qu’une chambre basse doublée d’une agence de normalisation ;
- enfin les directives sont des « lois cadres » et les règlements des « lois simples ». – et pour couronner le tout, la CJE et la CEDH sont des cours suprêmes à l’américaine.
Cet embrouillamini langagier présente un formidable avantage : dans chaque pays, les gouvernements et les majorités se permettent de critiquer vertement les décisions qu’ils ont eux même votées à Strasbourg et à Bruxelles ! Une formidable tromperie de l’électeur qui marche depuis plus de trente ans !
L’Union européenne contre le sentiment européen
La confusion entre l’Union européenne (institution politico-bureaucratique politiquement correcte) et l’Europe (héritage culturel et mythologique) est un mensonge qui fait beaucoup de mal. Car ce qui va de travers est attribué à l’Europe alors que ce qui est en cause, c’est l’Union européenne et son idéologie néfaste.
En fait, la destruction des frontières et la volonté générale de normalisation et de centralisation dressent les Européens les uns contre les autres :
- ce sont l’Irlande et la Pologne qui s’opposent à propos des immigrés polonais en Irlande ; ou la Roumanie qui entre en conflit avec les autres à propos des Roms ;
- ce sont l’Italie et la France qui se chamaillent à propos des migrants clandestins de Lampedusa ;
- c’est le Danemark qui se fait gourmander quand il rétablit des contrôles à ses frontières ;
- ce sont les pays du nord qui ne veulent pas payer pour les pays du sud ;
- ce sont les pays du sud qui se sentent humiliés par les pays du nord qui veulent racheter leurs îles et leurs côtes ;
- ce sont les petits pays qui regimbent devant les diktats des plus grands.
« L’Europe c’est la paix » est un slogan qui parle encore aux générations qui ont connu la guerre. Mais dans la réalité d’aujourd’hui, c’est aussi de la Novlangue car l’Union européenne – qui n’est pas l’Europe- est un multiplicateur de conflits entre Européens.
L’Union européenne et le politiquement correct
Bien sûr, un avocat de l’Union européenne pourrait faire valoir que bien des reproches que je viens de lui faire sont des critiques du politiquement correct ; et que le politiquement correct touche autant les élites économiques et politiques nationales que les dirigeants de Bruxelles et de Strasbourg : c’est vrai, ce sont d’ailleurs les mêmes…
Simplement, l’Union européenne est un multiplicateur de politiquement correct :
- parce que c’est un jacobinisme à l’échelle d’un continent ;
- -parce qu’elle éloigne les peuples des lieux de décision, ce qui facilite les aberrations ;
- parce que ses processus de décision sont eux-mêmes incompréhensibles au commun des mortels.
Voyez vous, il n’est pas sûr que vos oligarques de Zurich, Berne, Bâle, Lausanne ou Genève soient meilleurs que ceux de Bruxelles et de Strasbourg mais il leur est plus difficile d’être aussi nocifs.
Le modèle suisse
Permettez-moi de terminer cette intervention par une confidence sur votre pays.
Dans les cercles politiques et intellectuels que je fréquentais, il y a quarante ans, on parlait volontiers du « Péril suisse » : les dangers d’une neutralité qui faisait sortir de l’histoire. Et pourtant, c’est votre neutralité qui vous a aidé à rester vous-mêmes !
Et aujourd’hui on parle plus volontiers en France et en Europe de « Modèle suisse ». Grâce à vote fédéralisme, à votre neutralité, à votre souci d’indépendance, grâce surtout à vos référendums d’initiative populaire, vous gardez votre liberté et votre patrie. Mieux, même, le peuple suisse parle par procuration pour les autres peuples européens. Merci infiniment pour cela. Aujourd’hui, quand le peuple suisse parle, ce sont des dizaines de millions d’Européens qui reprennent espoir. Oui, vraiment, merci infiniment pour cela.
Jean-Yves Le Gallou
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