Par Julie Thomas, étudiante en Grandes Ecoles ♦ Dans ce texte, Julie Thomas pose un regard critique sur l’enseignement historique français et lance un appel à combattre insupportable vision idéologique qui gangrène l’enseignement de cette matière.
Polémia
Quels problèmes pose la pédagogie postcoloniale dans l’enseignement de l’histoire ?
L’éducation ne connaîtrait donc jamais la neutralité. On parle à propos de Jules Michelet et d’Ernest Lavisse de « romans nationaux », selon l’expression consacrée de Pierre Nora. Celle-ci affuble les travaux des historiens du XIXe siècle des adjectifs « patriotique » et « centralisateur » en raison de l’enthousiasme dont ils feraient preuve à l’égard de la construction de la nation française. Bien au contraire, loin de considérer ces substantifs comme honteux, la France patriotique et ses réussites innombrables devraient être source de fierté nationale pour le bien de tous. Dans ce domaine, le « Petit Lavisse », l’indispensable des écoliers de la Troisième République, ne montre en rien un caractère nationaliste mais se borne à énumérer des faits, des dates, des définitions et des descriptions très brèves d’événements qui ont jalonné l’histoire de notre pays. Nul roman national, nulle idéalisation ne se dessinent sur ces pages d’une clarté et d’une concision limpides et efficaces.
Pourtant, c’est contre ce « récit national » que s’est érigée dans les années 1980 la pédagogie critique et postcoloniale. Souvent méconnu dans le monde francophone, ce mouvement ambitionne d’insuffler un courant moderne à l’enseignement de l’histoire en déconstruisant ces récits hérités du passé occidental considéré comme colonial et dominateur.
Les études postcoloniales prétendent ramener les élèves vers la quête de la vérité, vers la réflexion et le doute cartésien. Ce sont en effet de belles ambitions qui formeraient des jeunes gens à l’étude critique de ce qui les entoure, même si cette critique s’oriente, on l’aura compris, toujours dans la même direction : celle des « mâles cisgenres de plus de cinquante ans » (novlangue) et celle de l’histoire de France bonne à mettre à la poubelle, ou plutôt à lancer dans le « trou de mémoire » orwellien en attendant d’en écrire une nouvelle, ouverte sur le monde, féministe et, pourquoi pas, islamisée. Car les outils que cette pédagogie de l’émancipation propose pour y arriver ne sont pas sans afficher des biais qui l’éloignent dangereusement des faits purement historiques. Pourquoi imposer une vision engagée à des enfants ou étudiants qui n’ont pas encore les connaissances historiques nécessaires afin de s’armer contre un discours idéologique ? Ils sont justement encore au stade de leur éducation où ils ont besoin d’engranger des connaissances brutes, simples, factuelles. Quelle liberté de pensée leur donne-t-on lorsqu’on les forme à ne voir la réalité que sous l’angle de la culpabilité, de la moralisation constante d’un passé national ? N’est-ce pas aussi une violence symbolique ? Ainsi, la pédagogie critique invente-t-elle un nouveau concept : l’idéologie doit précéder la matière.
L’idéologie doit précéder la matière
Les études postcoloniales considèrent que « la pédagogie doit garder une visée de transformation sociale », selon leurs propres termes. Si cette nouvelle pédagogie cherche la transformation, quels choix va-t-elle laisser à l’élève dans cette dernière ? L’élève perd de fait toute sa liberté de penser dans le monde que veut instaurer la pédagogie de l’émancipation. Il est plus que jamais soumis au professeur et à son discours qu’il ne peut pas remettre en question.
Néanmoins, ces études nous enseignent un contrepoint crucial pour l’avenir de l’enseignement en France : l’idéologie et l’éducation ne devraient jamais se rencontrer.
Car, il faut le souligner, l’intérêt principal de la pédagogie ou de l’éducation au sens large est d’élever l’homme au-dessus de sa condition animale. Pour ce faire, l’école s’est imposée comme le meilleur moyen de démocratiser le devoir qu’a l’homme d’apprendre.
Une bonne transmission des connaissances ne peut se faire qu’à l’aune d’une pédagogie pragmatique, c’est-à-dire consciente des enjeux qui lui sont associés : la formation intellectuelle d’enfants ou de jeunes adultes qui ont encore tout à apprendre et à comprendre. Aussi oserai-je dire que le professeur voulant diffuser un savoir « émancipateur », obnubilé par les rapports de dominations sociales, raciales et de genre, ne peut malheureusement que se tromper sur son dessein originel qui doit rester humble : transmettre la connaissance dans sa forme la plus pure, en enseignant autant que faire se peut les événements bruts sans idéaux assortis, sans projet politique.
L’éducation ne doit pas outrepasser sa vocation : former des hommes et des femmes à réfléchir en leur donnant toutes les clés pour y arriver. Celui qui pense la pédagogie comme un outil puissant de transformation sociale au mieux se trompe d’objectif, au pire s’engage sur la voie dangereuse de la dictature de la pensée.
La verticalité de l’enseignement, nécessaire et naturelle, ne doit pas pour autant prendre le visage d’une manipulation politique qui ne dit pas son nom. L’enseignant doit laisser toute liberté intellectuelle et d’interprétation à ses élèves qui ne sauraient être inquiétés pour leurs opinions, comme le rappelle l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. » Mais déjà à la fin des années 1980, les manuels scolaires de la sixième à la terminale sont repensés sur le modèle de « cahiers d’activités illustrés ». De fait, le pourcentage du nombre de pages de texte de cours sur le nombre total de pages des manuels d’histoire géographie est passé de 60 % entre 1905 et 1950 à 4 % à partir de 1989. Ils affichent en outre une nouvelle fonction idéologique et culturelle assumée. L’école et les manuels scolaires participent désormais à la diffusion massive des nouveaux idéaux de notre société oppressive.
« Heureux les pauvres d’esprits », nous rappellent l’Évangile selon saint Matthieu. Ils sont heureux, les simples d’esprit, certes, mais heureux du fait de leur ignorance, de leur incapacité à réfléchir. Un élève qui se serait vu marteler le concept de morale postcoloniale, qu’il n’aurait pas pu au préalable analyser, penser, critiquer, ne serait rien d’autre que la victime d’un conditionnement. C’est pourquoi les enseignants, de France et de Navarre, de droite ou de gauche, jeunes ou moins jeunes, qui jalonnent le parcours de l’étudiant doivent lui transmettre l’ensemble des connaissances qui sont le préalable simple mais indispensable de sa construction, sans toutefois aller au-delà. D’ailleurs, combien de professeurs d’histoire un élève verra-t-il défiler devant le tableau noir ? Au moins une douzaine et autant d’affinités historiques. Celles-ci ne devant pas obérer l’objectivité du cours. De cette manière, l’élève pourra facilement faire le tri, s’il le souhaite, et se forger son propre regard.
Multiplicité des regards et sens critique
C’est justement la multiplicité des regards historiques qui lui permettra de développer un sens critique. Si les professeurs outrepassaient la simple transmission des connaissances, alors ils rentreraient immédiatement dans le champ de l’idéologie historique que les élèves subiraient comme des pâtes molles. Et si la formation continue des enseignants consistait à la propagation d’une vue unique et politique de l’histoire, les élèves n’entendraient plus qu’un seul discours et seraient incapables d’en produire un autre. À ce seul son de cloche chaque année répété et résonnant chaque jour à son oreille, les étudiants ne pourraient penser autrement qu’à travers elle. Une seule pédagogie orientée, une seule pensée effacée et sans cesse révisée n’ayant pour seule idée que l’assujettissement à un régime autoritaire : c’est l’émancipation par la falsification et la tyrannie. Celui qui contrôle le passé contrôle le futur.
L’instituteur, à travers sa formation initiale, est celui qui passe le relais aux nouvelles générations. Assurons-nous que ce relais n’affiche aucun emblème trompeur.
L’âme est exclue de nos sociétés modernes déracinées et désincarnées qui ne croient plus qu’en la religion du corps. Et maintenant qu’il ne reste plus aux hommes que l’esprit pour s’élever, le système éducatif entreprend de le contrôler dès le plus jeune âge. L’esprit est devenu le piège qui se referme sur les écoliers et les étudiants prisonniers d’un système de pensée qu’ils n’ont pas choisi. Et une fois devenus maîtres, ils auront à leur tour à évangéliser les esprits récalcitrants en répandant la bonne parole dans le monde.
Un homme, même un homme en formation, n’est pas qu’un corps. Il n’est pas qu’un genre, qu’une race, qu’un rang social ou qu’un objet politique. Il est aussi une âme et un esprit. Puisse l’Éducation nationale lui enseigner une histoire dénuée d’idéologie, dont il pourra se saisir pour se construire à sa manière, selon l’inclination de son âme et de ses idées.
Julie Thomas
02/04/202
Source : Correspondance Polémia