« Ce livre est indispensable à tous ceux qui s’interrogent sur le devenir de l’Union européenne. »
Polémia a déjà présenté La nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou de Marc Rousset lors de sa parution en 2009, sous la plume de Pierre Millan. Aujourd’hui, où le climat géopolitique entre l’Union européenne et Moscou est soumis à de fortes turbulences, Bruno Guillard reprend cet ouvrage et nous livre son point de vue.
Polémia
Il ne reste plus aujourd’hui qu’une zone de libre-échange sous le protectorat américain de l’OTAN, avec un seul dogme, celui du libéralisme et de la concurrence, sans âme ni frontières, sans politique industrielle, sans armée ni politique extérieure.
Au lendemain de l’élection des députés du Parlement européen, il n’est pas inutile de revenir sur un ouvrage publié en 2009 sous le titre La nouvelle Europe Paris–Berlin–Moscou. Son auteur est Marc Rousset, diplômé de HEC, docteur ès-sciences économiques, titulaire d’un MBA de l’Université Columbia, qui a occupé des fonctions de directeur général dans les groupes Aventis, Carrefour et Veolia. Cet ouvrage a été préfacé par Youri Roubinski de l’Académie des Sciences de Russie.
L’Europe à vingt-huit est une chimère
Marc Rousset constate que l’élargissement considérable de l’Union européenne l’a rendue définitivement impotente ; de plus, il pointe les tares de cette union que sont le libéralisme intégriste et l’absence de politique industrielle et de défense :
« L’union politique de l’Europe des vingt-sept [en 2009] reste une chimère (…) La seule et plus grande communauté politique européenne envisageable et viable, capable de fonctionner et de jouer le véritable rôle de l’Europe puissance nous paraît être l’Europe des Six (…) Il ne reste plus aujourd’hui qu’une zone de libre-échange sous le protectorat américain de l’OTAN, avec un seul dogme, celui du libéralisme et de la concurrence, sans âme ni frontières, sans politique industrielle, sans armée ni politique extérieure (…) Il importe donc de rebâtir l’Europe autour d’une Europe politique et militaire viable, une Europe carolingienne, alliée et coopérant étroitement dans de nombreux domaines avec la Russie. »
Marc Rousset pense qu’une communauté européenne, pour être efficace, devrait se limiter aux six pays créateurs de la CEE auxquels pourraient être ajoutés l’Espagne, l’Autriche et le Portugal (Laurent Wauquiez fait le même constat dans son récent ouvrage).
Libérer l’Europe de l’OTAN
L’OTAN n’a plus de raison d’être si ce n’est de maintenir les pays européens sous la tutelle de Washington, avec la bénédiction, il est vrai, de l’essentiel des classes politiques européennes (bruxelloise et nationales quasiment unanimes). Les États-Unis, qui ont toujours à l’esprit les analyses géopolitiques anglo-saxonnes du début du siècle dernier, ne peuvent pas tolérer l’établissement d’un partenariat étroit entre les pays d’Europe occidentale et la Russie. Ainsi, Zbigniew Brzezinski écrivait dans son ouvrage célèbre intitulé Le Grand Echiquier (voir la recension publiée récemment par Polémia) :
L’Eurasie reste l’échiquier sur lequel se déroule la lutte pour la primauté mondiale (…) L’Eurasie se situant au centre du monde, quiconque contrôle ce continent contrôle la planète. »
D’où l’importance que les États-Unis accordent à la maîtrise de l’Eurasie et l’énergie qu’ils consacrent à la lutte contre toute forme d’entente entre l’est et l’ouest de notre continent. Les événements d’Ukraine en sont une illustration ; ils ont créé au centre de l’Europe un foyer de division qui perdurera peut-être longtemps et qui va contribuer à ternir les relations entre les Russes et les autres Européens. Il faut souligner que, comme l’a dit l’ex-chancelier Gehrard Schröder, l’Union européenne est responsable de ces événements et a donc servi la politique des États-Unis, comme toujours (les partisans de l’Union européenne prétendent qu’elle est un facteur de paix ; on peut désormais affirmer le contraire). Marc Rousset écrit à ce sujet :
« Les États-Unis divisent en Europe pour mieux régner. Avec Samuel Huntington, ils ont déjà tenté d’opposer le monde slave orthodoxe aux pays d’Europe occidentale ; l’écrasement de la Serbie fut une application pratique. Aujourd’hui, avec l’OTAN, ils jouent la carte de la “nouvelle Europe” pour mettre en difficulté la “vieille Europe” jugée moins docile à Washington. »
Et il conclut très justement :
« L’intérêt franco-allemand, de même que celui de toute l’Europe, est de se libérer des chaînes de l’OTAN, de se rapprocher de la Russie en favorisant par là même sa stabilité, et de collaborer avec les ressources humaines, militaires, énergétiques et de matières premières de cette grande nation contrôlant l’immense espace sibérien. »
Dans un précédent ouvrage (intitulé Les Euro-Ricains), l’auteur avait déjà exprimé son souhait de voir les pays européens quitter l’OTAN et adhérer à une organisation de défense strictement indépendante des États-Unis.
En finir avec le libre-échangisme mondialiste
Le cœur de l’idéologie bruxelloise est le libéralisme dans sa version moderne, c’est-à-dire libérale-libertaire. Marché totalement ouvert et « droits-de-l’hommisme », telles sont les deux mamelles de cette idéologie qui ignore les peuples. L’Europe de Bruxelles est pensée par ses promoteurs comme l’embryon d’une humanité constituée d’individus nomades et désengagés de toute appartenance, se déplaçant au gré des opportunités d’enrichissement dans un monde sans frontières. Marc Rousset ne partage pas cette vue du monde et privilégie, au contraire, l’enracinement, les communautés historiques et les frontières ; il admet l’efficacité du marché mais pense que ce dernier doit avoir des limites :
« Comme le vin, le marché est indispensable à doses maîtrisées ; s’il devient l’unique référence d’une société, cette dernière se transforme en bateau ivre avec perte d’indépendance et de savoir-faire, problèmes écologiques et sociaux (…) La préférence communautaire dans le cadre de l’UE et un rapprochement économique avec la Russie devraient être recherchés par Paris et Berlin, en rupture avec le libre-échangisme mondialiste. »
Marc Rousset, dans le droit fil des conclusions de Maurice Allais, considère que le protectionnisme économique n’est pas un mal et que c’est même la seule solution pour préserver l’avenir de l’économie européenne :
« Seul un repli protectionniste pourra stopper l’offensive du “made in China” et éviter à nos entreprises d’être désignées dans la guerre économique de demain comme la cible d’un nouveau capitalisme rouge. »
Considérant que la libre circulation des capitaux doit avoir des limites, l’auteur estime qu’il est nécessaire de veiller à ce que le capital des entreprises stratégiques ne soit pas acquis par des étrangers (celui d’Alstom, par exemple) et, pour pallier ce risque, il propose de créer des fonds souverains étatiques susceptibles d’investir dans des entreprises stratégiques dont le capital est convoité par des étrangers. Concernant Alstom, la Commission européenne a menacé la France de mesures de rétorsion en cas d’intervention de l’État dans cette affaire ! (A contrario, l’État fédéral américain opposa son veto quand des détenteurs de capitaux qataris ont exprimé leur intention d’acheter plusieurs grands ports aux États-Unis).
Cette recension ne permet pas de rendre compte de la richesse de ce gros livre qui contient énormément d’informations, en plus d’esquisser les contours d’un projet qui, à la différence de l’actuelle Union à vingt-huit, rejette le mondialisme, le libre-échangisme et la suprématie états-unienne. Ce projet est assez proche de celui qu’avait esquissé le général De Gaulle, à savoir celui d’une Union cohérente (excluant les États politiquement trop proches des États-Unis et ceux dont les économies sont trop éloignées de celles des six États fondateurs de la CEE), tournant le dos à l’atlantisme et favorable à un partenariat avec la Russie. Ce livre est indispensable à tous ceux qui s’interrogent sur le devenir de l’Union européenne.
Bruno Guillard
23/05/2014
Marc Rousset, La nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou / Le continent paneuropéen face au choc des civilisations, préface de Youri Roubinski de l’Académie des Sciences de Russie, Editions Godefroy de Bouillon, 2009, 540 pages.
Voir aussi
- La Nouvelle Europe :Paris-Berlin-Moscou/Le continent européen face au choc des civilisations, de Marc Rousset, par Pierre Millan, 05/06/2009.
- Contre la république à la française - 19 juillet 2015
- « La grande séparation » d’Hervé Juvin - 11 août 2014
- L’Effacement du politique, de Pierre Le Vigan - 13 juin 2014