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La Nouvelle Droite, à la source de l’idéologie identitaire en France ?

La Nouvelle Droite, à la source de l’idéologie identitaire en France ?
La Nouvelle Droite, à la source de l’idéologie identitaire en France ?

Par Johan Hardoy ♦ Stéphane François est un politologue dont les travaux portent sur les droites radicales, le néo-paganisme, l’ésotérisme et les sous-cultures musicales et vestimentaires. En 2019, il a été entendu par la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite.
Son dernier livre, La Nouvelle Droite et ses dissidences est un recueil d’articles publiés entre 2007 et 2019. Il traite de « l’obsession identitaire d’une école de pensée de l’extrême droite, la Nouvelle Droite, et de la transmission de ses thèses aux autres tendances, en particulier identitaires, et dans des structures comme la Fondation Polémia ou l’Institut Iliade, toutes deux fondées par d’anciens néo-droitiers ».
Il s’agit donc de textes rédigés par un adversaire politique dont il est utile d’entendre les arguments. L’auteur parviendra-t-il à convaincre les lecteurs de Polémia qu’ils sont, entre autres, des « obsédés de l’identité » ?

Quelques jugements de politologues avertis sur la Nouvelle Droite

Stéphane François souligne que cette expression vient de ses adversaires, à l’occasion d’une campagne médiatique extrêmement virulente durant l’été 1979. De façon rétrospective et jusqu’à ce jour, elle désigne les personnes qui ont appartenu ou gravité autour du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), fondé en 1968 par un collectif dont faisait partie Alain de Benoist, puis du Club de l’Horloge, fondé en 1974 par Jean-Yves Le Gallou et Yvan Blot (ajoutons également Henry de Lesquen).

Jean-Yves Camus considère qu’il ne faut voir dans la Nouvelle Droite « ni parti politique, ni cénacle littéraire ; ni société secrète, ni énième avatar d’une “internationale fasciste” qui n’existe pas ».

Pierre-André Taguieff distingue quant à lui, à partir des années 1980, quatre grandes tendances dans ce courant de pensée : 1/ le traditionalisme intégral, dérivé des œuvres de Julius Evola ; 2/ la révolution conservatrice, développée par des penseurs allemands de l’entre-deux-guerres tels qu’Ernst Jünger et Arthur Moeller van den Bruck ; 3/ le communautarisme ethnique völkisch, héritier de conceptions germaniques de la seconde moitié du xixe siècle ; 4/ le positivisme, fondé au xixe siècle par Auguste Comte. Le lien entre ces différentes chapelles repose sur un refus du libéralisme politique d’essence anglo-saxonne, ce qui tend à l’éloigner de la droite libérale et parfois même nationale.

Stéphane François reconnaît donc la difficulté de situer ce courant de pensée dans un champ politique précis. Alain de Benoist défend ainsi des conceptions écologistes, de même qu’un relativisme culturel inspiré de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, tout en dénonçant l’économisme et l’utilitarisme libéral.

Ces orientations ont été favorablement perçues par les politologues, à l’instar de Pierre-André Taguieff qui estimait, dès 1985, qu’il était devenu possible de dialoguer avec la Nouvelle Droite et évoquait même une « gauchisation » de son principal théoricien.

Stéphane François lui-même avait conclu à une sortie d’Alain de Benoist hors du champ de l’extrême droite dans les années 1990, avant de se raviser en raison de son soutien critique apporté à Marine Le Pen en 2010 et à la suite des « publications, dans ses revues, d’articles d’auteurs très marqués à l’extrême droite, dénués de toute reconnaissance universitaire ou intellectuelle ».

Une dissidence et une influence très hétérogènes

L’auteur estime que les dissidents appartiennent toujours à cette école de pensée, même lorsqu’il s’agit de penseurs férus d’ésotérisme, dont certains se sont convertis à l’islam, de « néo-païens » nostalgiques du IIIe Reich, d’écologistes contempteurs de la société industrielle ou encore d’un intellectuel atypique comme Guillaume Faye, théoricien paneuropéen révolutionnaire-conservateur exclu deux fois du GRECE.

Il considère également que les idées défendues depuis 2003 par les différents mouvements des Identitaires préexistaient depuis la fin des années 1980 au sein de la Nouvelle Droite. Ceux-ci revendiquent une sorte de « socialisme ethniciste » qui peut être résumé de la façon suivante : aider « les nôtres », au sens racial de l’expression, avant « les autres », tout en étant « favorables à une France des régions qui s’insérerait dans une Europe impériale ».

Enfin, il qualifie de réussite sa stratégie d’influence à l’étranger. Aux États-Unis, ses textes sont lus et appréciés aussi bien par des membres de l’alt-right qui soutiennent Donald Trump, des suprémacistes blancs que par des communautariens de la Nouvelle Gauche. En Russie, le théoricien du néo-eurasisme Alexandre Douguine, dont l’islamophilie est affichée, s’est rapproché d’elle dès le début des années 1990.

Obsession identitaire ?

Stéphane François affirme que l’idée générale de la Nouvelle Droite demeure : « définir et préserver une civilisation européenne », en lien avec la quête d’une ethnie européenne. « Concrètement, il s’agit de préserver l’identité et la pureté de la civilisation européenne. Cette extrême droite est passée de l’affirmation ethnique et des discours de la supériorité de la race blanche des premières années à sa préservation », en présentant « l’ethnodifférentialisme » comme le véritable antiracisme.

Selon lui, il s’agit d’une position xénophobe, caractérisée par une volonté de repli « entre soi » de personnes de même « race », ainsi que « du désir de créer de grands espaces civilisationnels autarciques et indépendants pour faire face au “choc des civilisations” cher à Samuel Huntington ». Il admet donc que, fort logiquement, les adeptes de ce courant d’idées refusent la mondialisation et l’immigration, destructrices d’identité et génératrices de « grand remplacement », de même qu’ils s’opposent à ce qu’ils nomment le « racisme anti-français » ou l’« ethnomasochisme », en référence à leur perception d’une « culpabilisation permanente des peuples européens ».

La parole est à la défense avec cette citation d’Alain de Benoist : « Quand l’immigration dépasse un certain seuil, elle devient inévitablement une colonisation, au sens premier du terme. J’ai toujours condamné le colonialisme, ce n’est pas pour accepter aujourd’hui une colonisation en sens inverse. Je ne condamne pas cette immigration trop massive par chauvinisme ou par xénophobie, mais parce que j’y vois un déracinement forcé dont le seul bénéficiaire est le patronat. L’immigration, c’est l’armée de réserve du capital. »

Des idées populaires

Selon Stéphane François, la Nouvelle Droite est à l’origine de la conceptualisation de l’idéologie identitaire dans notre pays. Jean-Yves Le Gallou a ainsi été l’un des premiers à théoriser la « préférence nationale » tout en soutenant l’idée d’une « immigration zéro ».

Ces thèses se retrouvent aujourd’hui banalisées, comme le montre l’exemple d’Éric Zemmour qui développe celle de « l’existence des races humaines, en particulier celle d’une continuité ethnique des populations européennes ».

À l’heure où l’affirmation ethnique est devenue un enjeu politique, l’auteur juge ces discours dangereux parce qu’ils « entrent en résonance avec une minorité de l’opinion publique française qui considère que l’immigration et la société multiculturelle sont devenues des dangers pour la France ».

Risquons une remarque personnelle : nul besoin d’être obsédé par cette question (que l’auteur se rassure !) pour constater que celle-ci taraude des milieux bien différents, comme le montrent assez les polémiques actuelles, à gauche de l’échiquier politique, sur les « racisés » ou les réunions non-mixtes. Là encore, il s’agit à l’origine d’idées françaises, celles des penseurs déconstructionnistes de la French Theory, qui ont prospéré aux États-Unis avant de revenir vers le continent européen. Vivement un livre de Stéphane François sur ce thème passionnant !

Johan Hardoy
23/04/2021

Johan Hardoy

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