Par Johan Hardoy ♦ Le quotidien Présent a récemment sorti un hors-série de qualité sur la relation entre la musique et le combat identitaire. Johan Hardoy revient sur cette publication passionnante.
Polémia
Les réflexions proposées dans ce hors-série portent sur les rapports entre l’art musical et les valeurs de notre civilisation. Elles s’inscrivent également dans une dimension métapolitique, comme l’indique le titre de l’éditorial, « La musique, arme culturelle », illustré par le légendaire Joueur de flûte de Hamelin.
Les contributeurs de ce numéro abordent ces questions sous divers angles qui peuvent être classés en grands thèmes généraux.
La musique sacrée
La production savante a commencé dans la Grèce antique avant d’être reprise par l’Église. Le chant grégorien, né durant le haut Moyen Âge, a constitué dès lors le plus riche répertoire religieux de toute l’histoire. Accessible à des auditeurs de cultures musicales et religieuses très différentes, ce chant de l’humanité a été modelé lentement par les chrétiens qui lui ont donné une marque propre en transfigurant le vieux fonds religieux. La litanie synagogale, les modes de la musique grecque, les vieux chants celtes et gaulois sont entrés dans le sanctuaire, adaptés aux paroles des Saintes Écritures. Cependant, la vocation du grégorien resterait méconnue si celui-ci n’était réservé qu’à des communautés monastiques ou à des choristes spécialisés.
À la fin du xixe siècle, un établissement privé, la Schola Cantorum, a cherché à lui donner un nouvel essor en participant à la création d’une musique religieuse moderne. Le compositeur Vincent d’Indy a participé activement à cette véritable aventure.
A contrario, il n’existe pas de « musique infernale », car il n’en est fait aucune mention dans les visions de l’enfer rapportées par les mystiques, même si des livres de prêtres catholiques ont mis en évidence, dans les chansons de rock, des messages subliminaux, voire des références satanistes, conjugués à l’utilisation de rythmes calculés pour produire un effet sur l’organisme et de lumières stroboscopiques visant à affaisser les barrières du jugement moral.
Des changements survenus à l’époque contemporaine
La Révolution française a entraîné, entre autres bouleversements, une rupture dans la relation du maître de musique et de l’apprenti quand le Conservatoire a entrepris d’uniformiser la musique selon une seule et même norme culturelle. Plus tard, en vue de réaliser l’objectif d’« égalité », Luigi Cherubini, l’un des premiers directeurs du Conservatoire, a ainsi préféré commander des manuels plutôt que d’y intégrer Franz Liszt !
Une autre innovation a pour origine l’armée française, lorsque celle-ci a commencé à jouer en plein air. Auparavant, les instruments étaient incapables d’y reproduire les sonorités de l’orchestre symphonique et les grandes compositions autres que religieuses étaient réservées à des aristocrates qui pouvaient se les offrir. Après avoir réglementé les premiers orchestres régimentaires dès 1766, la France est ainsi devenue un modèle pour l’Europe. En 1846, un gigantesque festival de musique militaire a réuni 1 700 musiciens sur l’hippodrome de l’Étoile. Par la suite, l’installation des orchestres de plein air dans les kiosques à musique a accompagné les transformations de l’urbanisme et a conféré son identité musicale à la Belle Époque.
Au xxe siècle, le dodécaphonisme, les musiques électroniques et leurs héritiers ont engendré une période de crise grave dans l’art musical. La musique atonale, intronisée par le Viennois Arnold Schönberg vers 1910, a été reprise dans les années 1950 par des avant-gardistes qui ont considéré toute musique tonale comme rétrograde. Selon Pierre Boulez, « le meilleur état pour avancer est de ne plus avoir de mémoire. Il ne faut être fils ni de père, ni de mère ».
Quelques expressions du génie populaire à travers l’art des sons
En Amérique du Nord, l’héritage musical des colons a joué un rôle de ciment identitaire, que ce soit au Québec, où la musique et la danse étaient un reflet de celles de l’Ancien Régime, ou aux États-Unis avec la country music, née dans les Appalaches à partir de l’héritage celtique.
En France, Georges Brassens a joué auprès d’un large public un rôle de passeur de textes français classiques, de François Villon à Victor Hugo en passant par Musset… et même de paroles des Évangiles !
Dans le milieu national, le Chœur Montjoie Saint-Denis promeut depuis quarante ans une expression vivante de chants traditionnels, militaires, militants, scouts, etc.
L’enseignement musical en France demeure pourtant très élitiste, avec un taux peu élevé de 1 à 1,2 % de pratiquants. En effet, le cursus musical a été élaboré pour former des solistes. L’exemple du programme gratuit et massif d’éducation musicale mis en place au Venezuela, destiné à donner aux enfants de toutes les couches sociales un enseignement classique de haut niveau, mériterait d’être considéré.
À l’échelle de l’État, un style musical propre, créé de façon spontanée ou non, contribue à développer le patriotisme. La Marseillaise, décrétée chant national en 1795 puis abandonnée en 1804, est ainsi devenue l’hymne national depuis 1879.
Rock & rap
Au xxe siècle, les techniques de diffusion de la musique ont bouleversé le rapport à l’univers sonore, en favorisant l’influence des pays anglo-saxons et en altérant la transmission des répertoires qui constituaient l’identité des peuples. De nouveaux styles musicaux ont favorisé un clivage entre les générations, d’autant que les enregistrements contribuent à une écoute plus individualisée et véhiculent des modes de comportement en rupture avec les usages traditionnels.
À partir des années 1980, en réaction à l’idéologie de la « gauche alternative », des groupes de rock britanniques ont défendu l’identité nationale ou même exprimé des idées très radicales, avant de faire des émules sur le continent européen.
En 2019, la scène musicale internationale la plus extrême s’est réunie en Ukraine sous l’égide de mouvements politiques opposés à la Russie dans le contexte de la guerre du Donbass.
En France, quelques jeunes musiciens ont cherché à constituer un « rock identitaire français » (RIF), à orientation délibérément militante, qui a connu un certain succès malgré de nombreuses oppositions de toutes sortes. L’ancien président du Bloc identitaire était ainsi le bassiste de Fraction Hexagone. Le groupe In Memoriam s’est quant à lui rendu en Serbie, en pleine guerre du Kosovo, pour se produire sur un pont de Belgrade et se poser ainsi en bouclier humain pour empêcher les bombardements de l’OTAN. En 2019, le groupe féminin Les Brigandes a fait l’objet d’une convocation à l’Assemblée nationale pour une audition devant la commission parlementaire sur les « groupuscules d’extrême droite ».
Notons que tous ces groupes ne peuvent évidemment avoir accès aux médias mainstream, ni compter sur le soutien généreux des MJC des quartiers populaires, à la différence d’un pays comme la Hongrie, où l’on apprend ces jours-ci que le gouvernement a décidé de soutenir financièrement le rock et la pop hongrois afin de promouvoir la culture nationale et d’en faire un « ciment d’identité ».
Répondre au rap ? État des lieux de la victoire culturelle d’une musique anti-française
De son côté, le rap joue de fait le même rôle que le rock en son temps, à savoir agréger les jeunes générations aux référentiels culturels qui préparent le monde de demain. Il est devenu la musique la plus consommée au monde, tandis que la France est le deuxième pays où il est le plus écouté. L’économie a donc parfaitement intégré cette culture, au point que certains rappeurs ont lancé leur ligne de vêtements et leur parfum. Par ailleurs, la justice et le CSA semblent se montrer plutôt cléments à l’égard de certaines expressions de haine de la France, voire d’antisémitisme. L’armée elle-même se sent concernée : pour Noël 2019, la Légion a mis en ligne un clip de rap pour recruter des Français !
L’éditorialiste de ce hors-série préconise une méthode simple d’éducation musicale pour les parents confrontés aux goûts singuliers de leur progéniture : chanter en famille !
Johan Hardoy
09/04/2021
Musique – Combat identitaire, hors-série 31 du quotidien Présent, mars-avril 2021 (20 pages, 5 euros)
- La diversité du monde expliquée à travers les structures familiales - 19 octobre 2024
- Sarcelles, ville emblématique du communautarisme - 8 octobre 2024
- De quoi l’antiracisme est-il le nom ? - 19 septembre 2024