L’habitude a été prise de légiférer à tout propos pour tenter de restaurer la crédibilité du pouvoir face aux événements et face aux emballements médiatiques. Un crime odieux, un accident tragique dans un ascenseur : hop ! une nouvelle loi, de nouveaux règlements, de nouvelles normes. Il y avait le fast-food. Voici la fast-law ou loi rapide. À consommer debout ou en regardant la télévision, comme l’autre.
Dernier exemple en date : « l’affaire » (un terme bien choisi) Cahuzac.
Une loi pour que les hommes politiques fassent preuve de… décence !
Ladite affaire contribue manifestement à accélérer la dégringolade historique du président et du gouvernement socialistes dans l’opinion, de gauche comme de droite. Pas de problème : on va proposer très rapidement une loi pour « moraliser la vie politique » et l’on va restaurer la confiance. Colossale finesse !
Curieux : on croyait la fraude – notamment fiscale –, l’abus de biens sociaux, le trafic d’influence ou la prise illégale d’intérêts déjà amplement sanctionnés par nos lois. On croyait même que de nombreux fonctionnaires et de juges se chargeaient de les faire respecter sans faiblesse. Mais on avait sans doute dû mal comprendre : il n’y avait pas assez de lois.
On pensait aussi que la décence commune conseillerait à un ministre chargé notamment du contrôle des contribuables de se montrer lui-même irréprochable sur ce plan.
Mais il s’agissait d’un raisonnement primitif, typique des Franchouillards de la France d’en bas. Non, il faut désormais une loi pour que les hommes politiques fassent preuve de décence. Nous voici rassurés sur la nature humaine en général, et la nature des politiciens en particulier.
La philosophie pernicieuse de Hobbes en action
La fast-law traduit en effet une curieuse conception de l’homme et de la société : pour être honnête, travailleur, bon voisin, bon mari, bonne épouse, bon père ou bonne mère, pour ne pas tuer son prochain, il faut que les lois nous y obligent, avec, bien sûr, des radars, des policiers, des délateurs (on dit « associations » en novlangue) et des juges partout, pour surveiller qu’on respecte bien les lois et les « valeurs ». Sinon, bien sûr, tout le monde volerait, mentirait ou s’entretuerait allégrement.
Voilà la philosophie de Hobbes (*) en action, qui a malheureusement pour corollaire que tout ce qui n’est pas formellement interdit serait donc licite et qui réduit la société au droit procédural, pour le plus grand bonheur des cabinets d’avocats et des truands. Et l’on continue de nous expliquer que cette lubie, née au moment des guerres de religion, constitue un indépassable progrès humain !
De la com avant tout
Que l’on se rassure toutefois : la fast-law n’a vocation à s’appliquer que très marginalement, comme toutes les lois de circonstance votées – en général à l’unanimité – dans un grand élan de victimisation médiatique. Car une loi votée n’est pas forcément appliquée ni applicable (que l’on pense à la loi sur le port du voile intégral dans l’espace public, par exemple). En outre, elle ne produit pas nécessairement l’effet escompté, ce qui ne se voit qu’à moyen terme. Enfin, l’empilement législatif aboutit à un résultat contre-productif : il débouche sur un droit confus, contradictoire et finalement impuissant, comme le relève chaque année le Conseil d’État.
Mais nos politiques s’en moquent, car la vraie finalité de la fast-law reste la pure communication à court terme.
Au cas d’espèce, cela nous fera chaud au cœur de voir tous ces politiciens se prononcer en faveur de la transparence et de la morale : un meilleur effet, assurément, que lorsqu’ils se votent une amnistie…
La fast-law de la fausse monnaie législative
La fast-law sert la fiction d’un gouvernement qui gouverne et d’un parlement qui légifère au nom du Bien.
C’est là une fiction car, dans l’Union européenne post-démocratique, le pouvoir se situe ailleurs : dans les grandes entreprises mondiales et les institutions financières qui obéissent au contraire à la loi de l’intérêt marchand et du profit immédiat, qui considèrent les politiques comme leurs employés, et les États et les peuples comme des obstacles qu’il faut remplacer.
Il va de soi que cette nouvelle fast-law ne changera pas cette impitoyable réalité qui conduit à ce que les politiques perdent de vue la notion d’intérêt public et ne savent plus faire la différence entre ce qui est décent ou non. Les vices privés ne constituent-ils pas les vertus publiques ?
La fast-law correspond à de la fausse monnaie législative : elle sert seulement à donner le change. En bon français : à tromper le citoyen et surtout l’électeur. Mais il semble, d’après les sondages, que le cours de ces assignats politiques soit quand même en forte dépression…
Michel Geoffroy
09/04/2013
Note de la rédaction
(*) Thomas Hobbes, philosophe anglais, 1588 – 1679, dont l’œuvre majeure est le Léviathan, pourrait être, avec son Element of Law, le maître à penser de François Hollande.
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