La liberté d’expression, la liberté de la presse et de l’édition sont-elles menacées aujourd’hui en France ? Oui, assurément si l’on en juge par le nombre de procès apparus récemment dans la République des lettres (Fallaci et Houellebecq pour les plus récents) et par les réactions suscitées chez certains chiens de garde de la pensée unique par les livres de Robert Ménard et de Daniel Carton qui ont osé malmener certains tabous et bouleverser des dogmes bien établis.
Une furieuse envie de pénal
Le juridisme s’est peu à peu introduit dans le monde littéraire, de manière insidieuse d’abord avec des procès intentés à Antoine Gaudino, par exemple, pour La Mafia des tribunaux de commerce, ou l’action entreprise contre Michel Houllebecq, coupable d’avoir mis en scène dans Les particules élémentaires un camping alternatif charentais peuplé de « pouffiasses karmiques », description qui a eu le tort de déplaire à son propriétaire !
On ne compte plus, ces dernières années, les lettres d’avocats, convocations, demandes d’interdiction faites par tel ou tel taliban de prétoire, soucieux du respect de l’ordre moral ou désireux aussi de ne pas enfreindre les règles du nouveau droit à l’image. On pourrait croire également avec les récentes interdictions de Rose Bonbon ou de Baise-moi que le temps du puritanisme et des bigots est revenu.
Même volonté de censure avec les deux procès intentés à Michel Houellebecq et Oriana Fallaci, coupables aux yeux des associations musulmanes (et anti-racistes) qui les poursuivaient, d’avoir diffamé l’islam, le premier dans un roman, la seconde dans un pamphlet où elle disait ce qu’elle avait sur le cur.
Ces nouveaux censeurs ont ainsi voulu transformer les prétoires en des lieux où l’on décide ce que l’on doit dire ou ne pas dire. Mal leur en a pris d’ailleurs puisque les magistrats ont estimé que les deux écrivains n’étaient pas coupables de délits de « racisme » ou « d’incitation à la haine raciale ».
Mais il est symptomatique de constater combien la France regorge de ces organisations croyant incarner le bien, la morale ou les bons sentiments et qui s’érigent ainsi en juge du prêt-à-penser obligatoire.
Corollaire de ce phénomène, la judiciarisation de l’édition est la conséquence directe du désengagement progressif de l’État de la chose publique, remplacé par une société civile activiste, avide de procès et donneuse de leçons.
En effet, avant même que l’État dise quelque chose, les associations et les groupes de pression interviennent, tapent du poing sur la table, voulant domestiquer la justice à leur profit.
Au centre de ce petit monde s’affirme chaque jour un peu plus le pouvoir des avocats qui taillent, coupent et tranchent, tiennent des chroniques judiciaires dans tel magazine professionnel de l’édition, conseillent de nombreux éditeurs et servent de gourou aux écrivains en vogue.
Ainsi, le terrorisme intellectuel existe toujours et les « hommes du ressentiment » récemment dénoncés dans Le Figaro par David Martin Castelnau sont tapis dans l’ombre, toujours prêts à haïr davantage et à s’acharner impunément sur une nouvelle cible, eux qui ont réhabilité la haine en politique et ont « envie de pénal » comme ils pourraient avoir envie d’une bonne bouteille !
La grande peur des bien pensants
Très attentifs aux messages des media dès qu’il s’agit de parler de censure politique, les Français ne se rendent pas compte que, depuis des années maintenant, les journalistes travestissent l’information au mépris du devoir et de la liberté d’informer.
Les deux livres publiés par Daniel Carton d’une part (1) et Robert Ménard et Emmanuelle Duverger d’autre part (2) sont, à cet égard, emblématiques du malaise ambiant. Ils mettent, avec talent, un coup de pied dans la fourmilière du politiquement correct. Le premier souligne la collusion des journalistes politiques avec le pouvoir, de droite comme de gauche. Le second énumère la liste des barrières juridiques qui s’accumulent pour entraver la liberté. A commencer, bien sûr, par les lois Pleven et Gayssot qui poursuivent les incitations au racisme et au négationnisme, comme vient d’en être victime l’éditeur révisionniste Jean Plantin, récemment condamné à six mois de prison ferme. Comme l’a rappelé dans les colonnes du Figaro le ministre syrien de l’information :
« En France, il existe des lois qui interdisent au philosophe Roger Garaudy et à l’abbé Pierre de dire des choses que nous autres Syriens considérons comme normales ».
Ardent défenseur du modèle américain et du 1er amendement de la Constitution qui garantit une totale liberté de débattre, le fondateur de Reporters sans frontières et la responsable de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme estiment de leur côté que :
« tout doit pouvoir être discuté. Les Français sont adultes. Il faut en finir avec cette capitalisation de la pensée pour qu’en France nous n’ayons plus seulement le droit de nous taire ».
Et ils précisent pour ceux qui n’auraient pas bien compris :
« Ras-le-bol du « devoir de mémoire », des commémorations, des bons sentiments dégoulinants – ces jeunes de banlieue forcément victimes des forces de l’ordre, ces « sans papiers » qu’on devrait accueillir sans jamais fixer de limite, ces anti-mondialisations tellement plus sympathiques que le FMI, nouvelle incarnation de l’ordre dévoreur d’enfants du tiers-monde – du « principe de précaution », de tout ce bric-à-brac à la mode qui nous empêche de réfléchir. De l’audace, du souffle, du culot ».
Les deux auteurs remettent également en cause la censure en invoquant la défense des bonnes murs (affaire « Rose bonbon ») ou le secret d’Etat. Ils s’attaquent aux associations de défense des droits de l’homme et expliquent que le droit français sur la presse fait de notre pays l’un des plus rétrogrades. Ils rappellent fort opportunément que la loi de 1880 sur la presse, que personne n’ose toucher, comporte une vingtaine d’articles limitant la liberté d’expression !
Autre morceau de bravoure de leur ouvrage, la dénonciation des pratiques de journaux qui, comme le Canard Enchaîné ou Charlie Hebdo, réclament la censure de certaines idées en voulant faire interdire des points de vue opposés aux leurs.
De son côté, Daniel Carton administre une volée de bois vert aux journalistes politiques, trop souvent complaisants envers le monde du pouvoir. Il ne ménage pas la rédaction du Monde et décoche des flèches qui font mal au point de montrer que finalement l’information tourne bien vite à la désinformation systématique pour cause de copinage et de complicités. Il dissèque les méthodes de fonctionnement de Jean-Marie Colombani, d’Alain Duhamel ou Jérôme Jaffré et démontre, preuves à l’appui, la réalité de l’omerta journalistique.
Après la polémique récente sur les « nouveaux réactionnaires », coupables, pêle-mêle, de ne pas être islamophiles, de déplorer la destruction de l’école, de refuser les pleurnicheries droits-de-l’hommistes, bref de porter un jugement critique sur le monde actuel, cette nouvelle percée de résistance montrerait-elle que les temps changent ?
On constate, effectivement, que le débat public et intellectuel, même s’il est étroitement surveillé par les bien-pensants, se libère d’une certaine contrainte. Les excès commis par les Chiennes de garde qui voulaient bannir du vocabulaire certains mots jugés sexistes et les exigences des associations homosexuelles pour punir les propos « homophobes » ont lassé bon nombre de leurs anciens complices. Tout comme d’ailleurs les fureurs juridiques des « nouveaux progressistes » commencent à fatiguer le monde même de la justice. Il convient cependant de ne pas se réjouir trop vite. La grande peur des bien-pensants n’est pas près de désarmer !
Françoise Monestier
15/02/2003
Notes
(1) Bien entendu
c’est off, éditions Albin Michel, 15 euros.
(2) La censure des bien-pensants, Albin Michel, 15 euros.
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