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La liberté de pensée, première des libertés publiques

La liberté de pensée, première des libertés publiques

par | 16 janvier 2015 | Société

La liberté de pensée, première des libertés publiques

Rétablir la liberté d’expression, XXXe Université annuelle du Club de l’Horloge les 15 et 16 novembre 2014. Texte n°3 : La liberté de pensée, première des libertés publiques, par Patrick Simon, avocat à la cour, vice-président de Radio courtoisie.

Pour évoquer le thème de la liberté de pensée, il faut d’abord admettre que la pensée est d’ordre intérieur à l’individu. Elle est personnelle et secrète, car il est loisible à chacun d’avoir des pensées illégales ou immorales. D’une manière générale, les pensées peuvent rester à l’état informel et vague. Mais pour qu’elles soient développées, il faut qu’elles soient exprimées. Il va de soi qu’entre l’écrit, la parole et l’idée, il existe un lien indissoluble. Une pensée qui ne serait pas exprimée serait comme un « enfant mal-né ». La liberté de pensée et la liberté d’expression sont donc pleinement associées. Le constat ainsi fait, il convient de s’interroger sur les divers obstacles à la liberté d’expression. Ces obstacles dépendent d’un double effet : la loi et les mœurs.

Concernant les mœurs, les interdits ont diverses origines parmi lesquelles le type de société. Dans une société tribale, il est proscrit d’exprimer des idées contraires à la tribu. Au sein des sociétés subordonnées à la religion, celle-ci peut conduire à des prohibitions : l’islam condamne l’apostasie.

Les sociétés occidentales, pour leur part, ont hérité d’une tradition de liberté. Il n’empêche, dans les pays considérés comme démocratiques, les conceptions juridiques de la liberté d’expression peuvent être fort différentes. Ainsi, aux termes du premier amendement de la Constitution américaine, il est interdit au Congrès de légiférer sur la liberté d’expression.

Il faut observer que, face aux différents interdits, dans le lien entre liberté de pensée et liberté d’expression, l’individu, par l’empreinte de sa conscience, peut être amené à pratiquer une censure personnelle.

Donc, il s’agit de s’interroger d’une part, sur les effets et les conséquences pratiques de l’atteinte à la liberté de pensée et d’autre part, sur la manière d’y remédier.

1. Les effets et les conséquences pratiques de l’atteinte à la liberté de pensée

Paul Claudel a écrit que « l’ordre est le plaisir de la raison et le désordre le délit de l’imagination ». Pour Hannah Arendt, « arriver aux États-Unis, c’est comme arriver au paradis ». Du point de vue de cet auteur, les américains jouissent de plus de liberté que nous et d’une liberté intérieure. Celle-ci se traduit par une confiance en soi beaucoup plus grande que celle éprouvée par les Français. Lors de sa première campagne électorale, Ronald Reagan déclarait : « votez pour moi si vous croyez en vous ». Peu de gens croient en eux-mêmes dans notre pays. Les interdits d’agir librement se sont multipliés. Nous assistons à un retour de « la pensée magico-persécutrice » analysée par René Girard dans Le Bouc Émissaire. L’expression libre est pourtant l’ouverture nécessaire au progrès de la réflexion et elle ne saurait souffrir d’entraves. Notons aussi que bien qu’homosexuel, Oscar Wilde déclarait « Je remercie Adam de ne pas avoir été homosexuel car je ne serai pas là ».

Or en France, les juges encombrés de préjugés de gauche sont de plus en plus nombreux. En termes de liberté d’expression, l’affaire la plus emblématique de ces dernières années est le procès conduit contre Christian Vanneste pour les propos qu’il avait tenus à l’occasion du vote de la loi du 30 décembre 2004 réprimant les injures et les discriminations homophobes. Il avait affirmé dans un quotidien régional que « l’homosexualité était inférieure à l’hétérosexualité. Si on la poussait à l’universel, ce serait dangereux pour l’humanité ». Condamné en première instance, le jugement fut confirmé par la Cour d’appel. Finalement, l’ancien député a été relaxé par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, sans renvoi ce qui est relativement rare. La Cour a jugé sur le fond. Elle s’appuyait sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui permet de déjouer les lois liberticides. Parmi celles-ci, figure la loi Gayssot du 13 juillet 1990 qui interdit la contestation du jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg. Par un arrêt du 24 juin 1996, la Cour européenne des droits de l’homme, suivant la requête introduite par l’auteur d’un article condamné au titre de la loi Gayssot, a considéré que la dite loi n’était pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle s’est fondée dans son jugement, notamment, sur l’article 10-2 de la Convention et a estimé « que les dispositions pertinentes de la loi de 1881 et leur application en l’espèce visaient à préserver la paix au sein de la population française ».

Aux termes de l’article 1 de la loi dite Taubira du 21 mai 2001 « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité ». La loi minimise la traite musulmane, adoptant ainsi une vision partielle de l’histoire. Il faut remarquer que cette loi n’est pas assortie de sanctions pénales. Cependant, Olivier Pétré-Grenouilleau, auteur des traites négrières fut poursuivi par plusieurs associations pour négation de crime contre l’humanité après avoir déclaré dans un entretien que les traites négrières n’étaient pas des génocides mais qu’elles obéissaient à un objectif mercantile. Il fut soutenu par de nombreux historiens réclamant la liberté de la recherche. Les associations plaignantes renoncèrent finalement à leurs poursuites. Certes, des opinions sont manifestement fausses comme la négation des chambres à gaz. Plutôt que de réfuter le mensonge par l’énoncé de la vérité, l’on préfère incriminer l’opinion fausse. À cet égard, il faut rappeler la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg exprimée, notamment par l’arrêt Handyside du 7 décembre 1976 :

« Son rôle de surveillance commande à la Cour de prêter une extrême attention aux principes propres à une société démocratique. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels de pareille société, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention (qui accorde aux États une marge d’appréciation), elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique ».

La loi, donc, n’a pas pour objet de dire ce qu’il faut penser. Dans notre pays, la liberté d’expression est peu à peu muselée. Certes, les régimes totalitaires sont bien pires mais ils ont été vaincus.

Restreindre la liberté d’expression et réprimer une part de son exercice au nom de la lutte contre les discriminations touchent à la nature même de l’existence. En effet, la vie est une succession de choix et donc de discriminations. L’individu est donc atteint dans son libre arbitre. Plusieurs siècles de progrès se trouvent ainsi mis en cause.

Outre l’altération des libertés individuelles qui comptent parmi les fondements de notre civilisation, les restrictions apportées à la liberté d’expression présentent des inconvénients intellectuels. Comme exemple, on peut citer Nicolas Copernic et la mise à l’index de ses travaux. Ce chanoine polonais fut à l’origine, par ses études, de la révolution héliocentrique aux termes de laquelle le soleil se trouvait être au centre de l’Univers, la Terre tournant ainsi autour du soleil. Cette théorie bouleversait la conception jusque-là admise qui imaginait la Terre comme un astre immobile au centre de l’Univers (géocentrisme). Si Nicolas Copernic ne fut pas inquiété de son vivant en revanche, sa thèse fut mise à l’index en 1616. La condamnation ne sera levée qu’en 1664. On voit là l’illustration d’une rupture par rapport à une pensée dominante si bien incarnée par Socrate et le procès dont il fut victime.

En affirmant « Aimez vos ennemis » (Évangile selon Saint Matthieu), le Christ signifiait, entre autres, l’ouverture nécessaire vers la pensée d’autrui quelles que soient les contradictions et les oppositions qu’elle présente par rapport à ses propres thèses.

Dans le rôle central qu’occupe la civilisation occidentale dans la formation de la liberté d’expression, il faut souligner la place majeure du droit romain qui a permis le dépassement du droit tribal et de ses restrictions pour accéder à un droit universel.

Un exemple récent de l’ostracisme intellectuel, caractéristique de de la société présente, tient aux réactions suscitées par le livre de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont Saint-Michel. Dans cet essai, l’auteur montre que la transmission de la pensée d’Aristote au sein de l’Europe du Moyen Age est due aux moines bénédictins. La thèse a soulevé immédiatement un tollé parmi un certain nombre d’universitaires et de chercheurs attachés au dogme de l’apport du monde musulman à l’Europe chrétienne. Au vu de la rapidité de certaines réactions par rapport à la date de publication de l’ouvrage, il est vraisemblable que certains signataires des pétitions ne l’avaient pas lu.

D’une manière générale, la multiplication des interdits qu’ils soient d’ordre légal ou qu’ils relèvent d’une censure idéologique suscite un antidote. D’autant que le fait de décider par la loi d’une interdiction rend celle-ci arbitraire.

En opposition à la pensée dominante, l’on observe une inflexion de l’opinion générale qui se traduit par un ensemble de phénomènes :

  • le divorce entre la gauche, inspirée par la fondation Terra Nova, reflet de l’univers des « bobos », et le peuple ;
  • la baisse de l’audience des grandes chaînes de l’audiovisuel qui n’affecte pas, néanmoins, France culture ;
  • le succès remporté par BFM Buisness et l’augmentation sensible du nombre d’abonnés à l’hebdomadaire Valeurs actuelles ;
  • la diminution des instances engagées devant les tribunaux au bénéfice des procédures d’arbitrage et de médiation qui connaissent une certaine fortune.

Il faut également souligner l’effet produit par ceux qui peuvent être qualifiés « d’agents répulsifs ». Ils ignorent, à l’instar d’une certaine classe dirigeante, la réalité de l’opinion publique sur la voie d’une profonde mutation. Parmi ces personnalités en dissonance avec le sentiment général, figurent, notamment, la sociologue Irène Thery qui voit dans le refus du mariage homosexuel l’expression d’une droite archaïque et Patrick Cohen, journaliste à France Inter, qui a reproché à Frédéric Taddeï, animateur de l’émission « Ce soir (ou jamais !) », d’inviter trop de gens qui ne sont pas assez démocrates à son goût. Nous retrouvons là cette pensée magico-persécutrice marquée par l’intolérance et, en l’occurrence, la dénonciation de « l’extrême-droite ».

2. Les réformes à promouvoir pour restaurer la liberté de pensée

Pour ces réformes de nature juridique, trois directions sont possibles :

  • l’abrogation des lois promulguées depuis plusieurs décennies et qui restreignent la liberté d’expression ;
    Cette direction présente des inconvénients car une nouvelle loi peut rétablir des dispositions précédemment supprimées.
  • la voie constitutionnelle ;
    Partant du principe que le droit comporte une hiérarchie des normes (arrêté, le décret, la loi et la constitution), l’inscription de la liberté d’expression dans la Constitution en ôtant au Parlement toute compétence dans ce domaine assurerait à cette disposition une pérennité sauf à modifier à nouveau la loi suprême.
  • l’introduction dans le système judiciaire, présentement fondé sur une procédure inquisitoriale, de la procédure accusatoire ;
    Dans les actions civiles, la procédure accusatoire est pratiquée s’agissant, notamment, des expertises judiciaires.
  • la suppression pour les parties civiles de la faculté d’intervenir dans une procédure pénale ;
    Le système judiciaire français entremêlant les procédures civiles et pénales, il pourrait, en conséquence, être établi que les victimes ne pourraient pas dorénavant demander la réparation d’un dommage qu’auprès de la juridiction civile.

Patrick Simon

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