François Stecher, correspondant de Polémia à Hambourg.
♦ Le FPÖ à l’assaut de la présidence autrichienne : une performance à suivre ?
Pour la première fois un parti populiste est en passe d’emporter une élection nationale majeure en Europe de l’Ouest. Norbert Hofer domine de très loin l’élection présidentielle autrichienne dont le deuxième tour aura lieu le dimanche 22 mai. Cette performance électorale s’explique, bien sûr, par la mise au premier plan des problèmes migratoires – mais pas seulement. Norbert Hofer allie fermeté dans les convictions et élégance dans la présentation. La ligne du FPÖ est identitaire et considère l’Autriche comme une composante de la « communauté de langue, de peuple et de culture allemande ». Le FPÖ est aussi national conservateur. Enfin, même s’il est ouvertement hostile aux débordements idéologiques de Bruxelles et attaché à la subsidiarité, le FPÖ reste un parti de sensibilité européenne.
Un tel cocktail pourrait conduire à la victoire. François Stecher, correspondant en Allemagne de Polémia, fait le point.
Polémia.
Le dimanche 24 avril, Norbert Hofer, 45 ans, candidat de la « Freiheitliche Partei Österreichs » (FPÖ) a remporté haut la main le premier tour de l’élection présidentielle autrichienne avec 35,1% des voix, laissant loin derrière ses deux concurrents immédiats, l’écologiste (ex-SPÖ) Alexander van der Bellen, 72 ans, à 21,3%, et la non-inscrite Irmgard Griss, 69 ans, à 18,9%. Les deux candidats des partis « de gouvernement », le socialiste Rudolf Hundstorfer (SPÖ), 64 ans, et le conservateur Andreas Khol (ÖVP), 74 ans, n’ont quant à eux rassemblé sur leur nom que 11,3% et 11,1% respectivement : à deux, ils dépassent à peine la barre des 20%, soit à peu près ce que les deux partis laissaient jusque-là – et ce depuis 1945 – en partage à leurs adversaires…
Norbert Hofer est un candidat jeune : près de vingt ans le séparent du candidat socialiste à ce 1er tour, vingt-sept ans de son adversaire du 2e tour. Il se jugeait lui-même trop jeune pour cette élection. Heinz-Christian Strache, patron du FPÖ, a dû le convaincre d’y aller. Ce fut, dans cette élection, visiblement un atout. Issu d’un milieu social assez aisé, bourgeois et modéré, c’est un homme souriant et avenant, beaucoup moins provocateur que Strache, mais tout aussi ferme sur ses convictions : il est, de fait, le rédacteur du programme du parti présenté en juin 2011. Ingénieur aéronautique de profession, il était également amateur de sports aériens jusqu’à ce qu’un assez grave accident de parapente, en 2003, le détourne de ces activités. Il en a gardé l’usage forcé de la canne, instrument qui lui attire aussi quelques sympathies.
Un parti identitaire
Le parti qu’il représente, le FPÖ, est d’abord un parti identitaire, qui considère l’Autriche comme une composante de la « communauté de langue, de peuple et de culture allemande ». Strache, qui avait exprimé il y a quelques années le souhait que le Tyrol du Sud – italien – jouisse d’une autonomie renforcée, a récidivé en appelant, il y a une semaine, dans le journal italien La Repubblica, à un référendum d’autodétermination en vue d’une réunification des deux Tyrols, pour le plus grand émoi de Matteo Renzi – et de la chancelière. C’est bien sur cet élément structurant qu’il a réussi à attirer les Autrichiens des classes les plus modestes, comme en témoigne la bascule, à son profit, de la ceinture rouge de Vienne lors des dernières élections municipales. Le candidat socialiste n’avait dû son succès qu’aux suffrages des quartiers plus aisés.
Un parti national conservateur
C’est ensuite un parti conservateur, ou national-conservateur. A une époque promoteur d’une « chrétienté vaillante » avec Ewald Stadler – à la fin des années 1990 – il s’en tient aujourd’hui à la défense de la famille traditionnelle, et se montre de façon générale critique sur les évolutions sociétales prônées par une certaine gauche. Comme héritier assumé des révolutions « bourgeoises démocratiques » de 1848, il adhère aux valeurs morales du petit peuple d’artisans, de commerçants et de petits entrepreneurs qui constituent – ou constituaient – sa base électorale. L’inflexion nationale-libérale que lui a appliquée Jörg Haider n’a été qu’un épisode d’un conflit interne récurrent entre une aile plus nationaliste et pangermaniste et une aile plus modérée et libérale.
Enfin, sur les questions européennes, c’est un parti que l’on classe souvent parmi les eurosceptiques, alors qu’il en tient en réalité pour une autre
Europe : ses principes restent « l’Autriche d’abord » et la subsidiarité. Très critique à l’égard de la Commission européenne, il ne prône pour autant ni sortie de l’Union ni de l’euro. Il entend seulement, comme d’ailleurs tous les partis conservateurs de l’espace germanophone, que Bruxelles reste à sa place et soit limitée strictement dans ses prérogatives. L’attachement du monde germanique au principe de subsidiarité est évidemment le fruit de l’histoire et de la structure fédérale de cet espace, et le soin jaloux que mettent les Länder, allemands ou autrichiens, à défendre leur autonomie de décision vis-à-vis des instances nationales et européennes trouve également au FPÖ un écho puissant. Quant à la Turquie, il n’en veut à aucun prix dans l’Union, mais soutient l’idée d’un traité avec Ankara.
FPÖ et FN
Dimanche 22 mai aura lieu le deuxième tour de cette élection présidentielle. Nul ne peut en prédire l’issue, mais les atouts de Hofer ne sont pas négligeables. Il faut rappeler que s’il y a bien des tentatives de diabolisation visant le FPÖ, celui-ci a quand même participé à deux gouvernements de coalition dans son histoire, en 1983 avec un gouvernement socialiste (SPÖ), et en 2000 avec un gouvernement conservateur (ÖVP). En réalité, le FPÖ, s’il attire les électeurs des marges de l’espace politique – singulièrement la marge droite – n’en reste pas moins, au fond, le parti des artisans, des petits entrepreneurs, et, comme tel, profondément attaché à la liberté d’entreprendre. Cela n’en fait pas automatiquement un suppôt des multinationales. A ce titre, et compte tenu de la personnalité de son candidat, il pourrait profiter de la dynamique du 1er tour, encore accentuée par la démission du chancelier Faymann, et rallier des indécis modérés en nombre suffisant. S’il l’emportait, il faudrait en tout cas l’attribuer, sans l’ombre d’un doute, à l’importance essentielle prise par la crise des migrants dans l’esprit des Autrichiens, toute catégorie sociale confondue.
Le Front national, en France, pourrait, dans certaines limites, tirer profit ou faire son miel de cette expérience, s’il veut bien considérer que les électeurs les plus modestes, les nationaux en difficultés, se tournent naturellement vers les partis hostiles aux vagues migratoires, indépendamment de leurs options économiques – le FPÖ devient, comme le FN, un parti ouvrier, mais n’a pas modifié pour autant son programme dans ce domaine. Il faut rappeler, à ce sujet, que le principal obstacle que certains cadres de « l’Alternative für Deutschland » – qui, soit dit en passant, se rapproche du FPÖ actuellement – voient à une coopération avec le FN, ce sont précisément ses options marxisantes et crypto-communistes. Il faudrait aussi qu’il évolue – soyons fou – sur un élément essentiel de son ADN politique, en renonçant à son jacobinisme puritain et intransigeant, qui lui aliène une fraction déterminante de gens « raisonnables » que le FPÖ est, quant à lui, en train de gagner.
François Stecher
12/05/2016
Correspondance Polémia – 16/05/2016
Image : Norbert Hofer