Le débat autour de la laïcité empoisonne la vie politique française depuis trente ans et, de l’étranger, on a peine à reconnaître la patrie de Voltaire. Comment peut-on exclure une élève de l’école pour une histoire de longueur de jupe au motif du respect de la laïcité et, en même temps, affirmer que cette laïcité est une des vertus cardinales de la République. C’est proprement incompréhensible, sauf si on accepte l’idée que ce qu’on appelle aujourd’hui laïcité n’a plus rien à voir avec le principe d’origine énoncé en 1789 puis renforcé en 1905.
« Cette hypocrisie patente autour du concept de laïcité résulte de la volonté de ne pas traiter la question taboue de l’immigration. »
Au risque de surprendre le lecteur, la laïcité est un principe qui s’applique à l’État, et à l’État seul ; il le contraint à la neutralité et le protège contre l’influence de la religion. Jamais dans l’esprit des défenseurs d’une république laïque – hormis pendant la sinistre période de la Convention – il n’a été question d’empêcher le simple citoyen de pratiquer ni même d’affirmer ostensiblement son appartenance à une religion, ni en privé bien évidemment, ni dans la sphère publique. Incontestablement, cette laïcité-là fut un progrès sur l’obscurantisme religieux et un exemple de tolérance pour le monde entier. Après la crise de 1905, la question de la laïcité semblait réglée une fois pour toutes et pendant plus d’un demi-siècle avait totalement déserté le débat politique. Elle a resurgi dans les années 1980 pour une seule et unique raison : l’immigration maghrébine avec l’irruption de l’islam dans la société française.
Aujourd’hui, la laïcité n’est plus seulement une contrainte pour l’État, mais aussi pour les citoyens, et plus précisément pour les musulmans, et pour les musulmans seuls. Une vérité qui dérange mais incontestable. Comment en sommes-nous arrivés là ? Par l’union improbable entre deux courants de pensée antagonistes qui traversent la société française depuis deux siècles : la gauche laïcarde, hier farouchement anticatholique, aujourd’hui islamophobe (de François Hollande à Caroline Fourest), et la droite conservatrice majoritairement de souche catholique, disons judéo-chrétienne (de Nicolas Sarkozy à Alain Finkielkraut). Leur terrain d’entente ? La première, qui n’a de cesse d’achever la déchristianisation de la société française, encourage l’immigration mais s’emploie à ce que la pratique de l’islam soit réduite a minima avant de lui faire subir plus tard le sort de la religion catholique. La seconde, qui doit subir l’immigration contre son gré, pour se donner bonne conscience ou encore par intérêt économique, exige que celle-ci soit la moins visible possible. Dans un cas comme dans l’autre, la laïcité n’est plus une vertu mais une arme, offensive pour les uns, défensive pour les autres.
Cette hypocrisie patente autour du concept de laïcité résulte de la volonté de ne pas traiter la question taboue de l’immigration. Dans sa version d’origine, la laïcité, définie à la fois comme neutralité et tolérance, est tout bonnement incompatible avec l’islam, et cette incompatibilité que personne ne veut reconnaître ne peut être résolue que de deux façons : soit l’arrêt total de l’immigration et l’assimilation forcée des étrangers, soit la désislamisation rampante des populations musulmanes sous couvert d’une laïcité dont le sens a été totalement dénaturé.
Christophe Servan
Source : Boulevard Voltaire
16/05/2015
Christophe Servan est gestionnaire de fonds d’investissement.