Par Camille Galic, journaliste et essayiste ♦ Interrogé sur l’impact des réseaux sociaux lors d’une séance de questions-réponses organisée à l’Élysée le 4 février par le think tank américain Atlantic Council, Emmanuel Macron comparait l’incursion du Capitole par des partisans de Trump à la révolte des Gilets jaunes et déclarait : « Je pense d’abord que la violence, la haine, la xénophobie sont de retour dans nos sociétés. Et je pense que c’est tout nouveau [sic]. C’est poussé et légitimé par certains groupes politiques et, pour moi, il s’agit d’un grand changement anthropologique. » Le chef de l’État a raison sur l’ampleur et la singularité de ce changement mais il a tort de ne l’attribuer qu’à la xénophobie ambiante, donc implicitement à l’extrême droite, alors que la violence et la haine de nos immigrés à l’encontre de leur pays d’accueil sont par exemple encore plus virulentes sur les réseaux sociaux. À preuve le cas de Didier Lemaire, professeur de philosophie à Trappes et, pour avoir défendu la mémoire de Samuel Paty, son infortuné collègue décapité en octobre dernier par un réfugié tchétchène, devenu la cible de centaines de messages si menaçants que la préfecture des Yvelines lui a imposé en permanence une escorte policière et qu’il pourrait changer de poste sous une identité d’emprunt.
La mort sociale ? Pas pour tous
Un cas qui illustre la tragique actualité de La Haine en ligne, le dernier livre de David Doucet. Récemment encore fleuron de France Inter et des Inrockuptibles, coauteur de plusieurs livres pas particulièrement tendres sur notre mouvance (Histoire du Front national, La Fachosphère ou La Politique malgré elle – La jeunesse cachée de Marine Le Pen) et adorateur du rappeur noir Booba « qui a réussi à traverser toutes les générations », ce journaliste de 36 ans n’est pas de nos amis. Mais, en pleine ascension, il a vu sa carrière brisée quand a été révélée sa participation dix ans plus tôt à la Ligue du LOL, un groupe formé sur Facebook et réputé sexiste, voire homophobe. D’où, sur Facebook, Twitter et autres Instagram, un déluge d’injures et de calomnies si extravagantes que plusieurs des dénonciatrices de la Ligue sont revenues sur leurs assertions. Trop tard pour David Doucet, viré sans ménagements des Inrocks, ostracisé par tous les organes de gauche (Le Canard, Le Monde, Libération…) ayant lancé l’hallali et ne voulant pas reconnaître leurs torts, et donc voué à la « mort sociale ». Car « Google n’oublie rien » et il est pratiquement impossible de faire disparaître les mentions infamantes si souvent likées et relayées (ce que ne sont évidemment pas les mentions favorables), sauf à payer très cher des spécialistes se chargeant de faire non pas disparaître ces mentions, ce qui est impossible, mais de les reléguer au fin fond des pages où est cité le plaignant.
Parmi les victimes longuement évoquées par Doucet : une rappeuse iséroise, la chanteuse kabyle Mennel Ibtissen, candidate à « The Voice » sur TF1, et le blogueur Mehdi Meklat, ancien de France Inter, rattrapés et diabolisés pour les messages provocateurs postés après les attentats de Paris et de Nice. Disons-le d’emblée, ces exemples ne sont guère convaincants puisque, ayant renoncé à son voile, Mennel vient de faire son retour dans les médias avec un nouvel album, Heal (Guérir). Quant à l’effervescent Meklat, passé du Bondy Blog à France Inter et aux Inrocks, et qui se dissimulait perversement sous le pseudo Marcelin Deschamps pour signer ses tweets racistes, négrophobes et antisémites, il a pu, après un bref exil au Japon, faire accepter en 2018 son livre d’autojustification, Autopsie, par les prestigieuses éditions Grasset. Il est vrai qu’il décrit ses tweets incendiaires comme « un travail littéraire, artistique, on peut parler de travail sur l’horreur en fait ». Et, surtout, comment refuser le pardon à un « gamin des cités » qui donnait de l’indécrottable xénophobie franchouillarde une version si conforme à la conception qu’en a la Médiocratie ?
Réseaux sociaux et tribunal populaire : retour à l’indignité nationale
En revanche, même s’il n’est pas un précurseur en la matière, on suivra l’auteur dans son analyse du phénomène des réseaux sociaux où, sous le couvert de l’anonymat (et le cas Meklat en témoigne), des millions d’excités déversent leur hystérie, leurs obsessions et leurs aversions avec une violence parfois effrayante et des conséquences souvent dramatiques sur le plan personnel mais aussi professionnel, avec la « mort sociale » qui s’ensuit pour leurs cibles puisque « la plupart des recruteurs excluent de facto toutes celles et tous ceux qui ont été éclaboussés sur la Toile ». Or, note Doucet, « 62 % des citoyens français ont déjà été victimes de cyberharcèlement, soit une augmentation de 10 points par rapport à 2018, ce qui fait de l’Hexagone le deuxième pays avec la plus forte hausse ».
Ce qui est peut-être logique, après tout, puisque nous sommes aussi le pays des sans-culottes, toujours prêts à s’ériger en tribunal populaire… et expéditif. « Si l’on cherchait à établir un parallèle historique, précise l’auteur, il faudrait évoquer la peine d’indignité nationale ordonnée en 1791 sous la Révolution afin de mettre à l’écart les mauvais citoyens […]. Enfermé dans un carcan de mépris, le condamné devenait un individu de seconde zone. Jean-Paul Marat […] avait imaginé un “tableau d’incivisme” suspendu au milieu de la place publique avec les noms des proscrits afin de “sauver la France en repoussant des emplois de confiance tous les scélérats”. »
Même si David Doucet oublie qu’il en fut de même à la Libération avec les centaines de milliers de peines d’indignité nationale prononcées, et si, toujours de gauche, il défend bec et ongles la loi Avia dite sur la haine en ligne – loi dont il feint d’ignorer qu’elle cible exclusivement les nationaux –, il lui sera beaucoup pardonné pour ce rappel.
Camille Galic
10/02/2021
David Doucet, La Haine en ligne. Éd. Albin Michel, 2020, 230 pages, 18,90 euros.
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