Général (2S) Dominique Delawarde – Ancien chef «Situation-Renseignement-Guerre électronique» à l’État-major interarmées de planification opérationnelle
♦ Information et désinformation sont largement utilisées en temps de crise, de guerres ou d’élections présidentielles pour façonner les opinions publiques et les amener à accepter plus facilement les décisions lourdes qui pourraient être prises, pour maintenir leur moral et leur adhésion à la cause nationale en temps de guerre ou de crise, pour orienter le vote des électeurs, fabriquer ou détruire un candidat lors d’élections nationales.
Le sujet a été particulièrement bien traité par Anne Morelli, professeur à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste de la critique historique appliquée aux médias modernes, dans un livre de 2001: Principes élémentaires de propagande de guerre (utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède…).
Le présent article a pour but de rappeler, pour le lecteur pressé, les principes énoncés par Anne Morelli et de les appuyer de quelques anecdotes qui ont pu, hier, et peuvent encore, aujourd’hui, échapper au citoyen lambda. Tout ceci est d’une actualité brûlante.
Les dix principes utilisables par les médias (et les politiques) «en cas de guerre froide, chaude, tiède, ou de crise», mais qui sont tous applicables en «campagne» électorale, sont les suivants :
1.-Nous ne voulons pas la guerre.
2.-Le camp adverse est le seul responsable de la guerre.
3.-Le chef du camp adverse a le visage du diable (ou «l’affreux de service»).
4.-C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers.
5.-L’ennemi provoque sciemment des atrocités, et si nous commettons des bavures c’est involontairement.
6.-L’ennemi utilise des armes non autorisées.
7.-Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes.
8.-Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause.
9.-Notre cause a un caractère sacré.
10.-Ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres.
Inutile de commenter très longuement ces principes dont chacun peut entrevoir l’application dans l’actualité récente.
La charte d’éthique du journalisme signée à Munich en 1971 est régulièrement bafouée dans tous les pays du monde. Les médias se défendent en disant qu’ils citent leurs sources et ne commentent que des informations qui leur ont été rapportées. Dans le pire des cas, ils peuvent dire qu’ils n’ont pas menti mais qu’ils ont été «abusés» par leurs sources. Leur faute n’est donc pas de mentir. Leur faute réside dans la sélection des sources qu’ils choisissent de relayer, dans l’évaluation de leur fiabilité et dans les commentaires péremptoires qu’ils font sur des informations d’origines extrêmement douteuses.
Examinons quatre exemples concrets, passés et/ou d’actualité qui confirment mon propos et les principes de la propagande de guerre.
1/ – L’affaire de Timisoara (Roumanie) en décembre 1989
C’est l’exemple type des médias pris la main dans le sac à colporter des fausses nouvelles.
Les médias du monde entier ont repris pendant près de six semaines la fausse information d’un prétendu «massacre» de 4 600 personnes pour aider à faire tomber Nicolae Ceaușescu. En fait, les opposants avaient déterré quelques cadavres des cimetières de la ville, les avaient entourés de fils de fer barbelés et avaient tourné des images horribles visant à faire pleurer les téléspectateurs occidentaux. Ils ont ensuite, sur la foi de ces images manipulées, avancé le chiffre énorme de 4.632 victimes qui n’existaient pas, mais que personne n’a osé mettre en doute. Le «montage audiovisuel», la manipulation étaient bien joués et gagnés puisqu’ils ont entraîné la chute de Ceaușescu.
Après coup, les médias et les politiques occidentaux ont eu le bon goût de s’excuser pour leur erreur et ont reconnu avoir été abusés par leurs sources. Aujourd’hui, ils ne s’excusent même plus, ils passent à autre chose.
Quid des manipulations aujourd’hui en Syrie par les deux sources: OSDH (Office syrien des «droit de l’homme»: un individu et son ordinateur, basé à Londres), financé et instrumentalisé par les Occidentaux et les Casques blancs, également financés par les Occidentaux, qui combattent à leurs heures perdues dans les rangs d’Al-Nosra, experts en création de documents audiovisuels bidons, crédibilisés par M. Fabius: «Al-Nosra fait du bon boulot»… Ces deux sources combattent résolument Bachar el-Assad et sont donc partisanes. Sont-elles crédibles ? Je laisse à chacun le soin de répondre à cette intéressante question.
Les agences de presse, les journalistes et politiques qui relaient ce type de sources pourries sont-ils, eux-mêmes, bien crédibles ?…
2/ – L’affaire irakienne
Chacun se souvient du général états-unien Colin Powell présentant aux Nations unies, avec un aplomb incroyable, ses «fausses preuves indubitables» fabriquées par la CIA sur l’existence d’armes de destruction massive en Irak, pour justifier l’intervention militaire qui a suivi. Les médias US unanimes ont été complices du mensonge pendant plusieurs mois. Ils avaient (délibérément ?) mal évalué la crédibilité de la source sur cette affaire particulière. Ils ne se sont jamais excusés, bien sûr. Voir l’excellente émission du 29 mars 2013 sur la chaîne parlementaire: «Mensonges, guerre et vidéo» (51 mn) https://www.youtube.com/watch?v=x8sg0Dqc3_I
3/ – Les communiqués sur les bombardements du Kosovo par Mr Jamie Shea, porte-parole de l’OTAN qualifié de «super menteur» par certains responsables du renseignement
En 1999, dans les premiers jours des bombardements, la vingtaine d’avions MIG 21 serbes affectés à la base de Pristina sont déclarés détruits. La nouvelle est relayée avec jubilation par les médias occidentaux. Le jour suivant la cessation des combats, tous les appareils MIG 21 annoncés détruits sortent des hangars souterrains dans lesquels ils étaient entreposés et décollent pour Belgrade… Cherchez l’erreur…
Au 77e jour de bombardement, M. Jamie Shea déclare aux médias, qui relayent l’information, un cumulé de 800 matériels majeurs détruits (ce qui, pour les gens avertis, représentait la quasi-totalité des matériels majeurs serbes déployés au Kosovo).
Dans le comptage qui a été effectué au moment du retrait des forces serbes du Kosovo, moins de 30 matériels majeurs manquaient à l’appel. Les forces armées serbes étaient donc quasiment intactes après 78 jours de bombardement… La Serbie n’avait cédé que parce que son infrastructure civile était détruite (usines, installations électriques, routes, ponts…).
Les états-majors et les politiques pouvaient difficilement vendre à l’opinion de leur pays qu’ils s’attaquaient principalement à l’infrastructure civile. L’OTAN devait inventer des communiqués de victoires militaires, armée contre armée, qui n’existaient pas vraiment.
Un communiqué militaire, de quelque camp qu’il vienne, est très rarement crédible. Le principe 7 d’Anne Morelli est toujours appliqué: « 7.-Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes. »
Personne ne peut croire un seul instant, aujourd’hui, les communiqués du Pentagone, relayés avec servilité par les médias occidentaux, affirmant que la frappe US du 7 avril aurait détruit 20% de l’armée de l’air syrienne. En tout cas pas moi, après les pieux mensonges des communiqués otaniens observés dans l’affaire du Kosovo (ceci n’était pas un secret militaire mais relevait de l’information ouverte dans les jours qui ont suivi l’arrêt des combats).
4/ – Bombardement de l’Irak par Clinton le 16 décembre 1998
La veille de l’examen de sa destitution par la chambre des représentants pour ses mensonges dans l’affaire Lewinski, le président américain Clinton déclenche des frappes sur l’Irak (pour des raisons de politique intérieure évidentes). C’est l’opération Desert Fox. 415 missiles Tomahawks sont tirés sur l’Irak, faisant de 600 à 2000 tués en 3 jours. Les Irakiens ont payé cher, très cher, l’affaire Lewinski…
L’état-major US publie un BDA (Battle Damage Assessment ou estimation des résultats de ses tirs), avec des images satellites falsifiées. Les Français, de leur côté, font passer leur satellite militaire, extrêmement précis, sur les sites frappés par les forces US et s’aperçoivent que les résultats sont, de beaucoup, moins bons que ce que l’état-major US annonçait… Les images ont été communiquées à nos amis américains qui ne s’imaginaient pas qu’un pays ait la capacité de vérifier la qualité de leur travail et la fiabilité de leur communiqués de victoire…
Doit-on croire, aujourd’hui le BDA états-uniens sur la Syrie ? Personnellement je n’y crois pas.
***
En conclusion, appliquons les principes de la propagande de guerre occidentale au cas syrien et aux élections présidentielles US 2016 et française 2017.
A – Syrie
1.-Nous ne voulons pas la guerre. (Nous: la «coalition occidentale», c’est-à-dire USA-France-GB).
2.-Le camp adverse est le seul responsable de la guerre. (Syrie, Russie, Iran, Hezbollah).
3.-Le chef du camp adverse a le visage du diable (ou «l’affreux de service»): Poutine, Bachar.
4.-C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers: droits de l’homme, démocratie.
5.-L’ennemi provoque sciemment des atrocités (Alep, utilisation présumée de gaz) et, si nous commettons des bavures, c’est involontairement (Mossoul, Rakka, Deir ez zor).
6.-L’ennemi utilise des armes non autorisées (arme chimique présumée).
7.-Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes. (20% de l’aviation syrienne détruite le 7 avril ????).
8.-Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause (multiples réactions à la télévision).
9.-Notre cause a un caractère sacré (droit de l’homme et démocratie sont sacrés).
10.-Ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres (moi, par exemple).
Le mensonge est évidemment omni-présent dans chacune des dix rubriques ci-dessus et ci-dessous. Pour ceux qui n’en seraient pas encore convaincus je leur demande de relire l’histoire du faux témoignage du 14 cctobre 1990, dans l’affaire dite «des couveuses», faux témoignage monté par la CIA et le Pentagone pour précipiter l’entrée en guerre des USA contre Saddam Hussein.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_des_couveuses_au_Kowe%C3%AFt
De là à en déduire que les administrations US sont devenues expertes en création de faux prétextes pour intervenir partout dans le monde lorsqu’elles le souhaitent, il n’y a qu’un pas que je n’hésite pas à franchir.
B – Application des principes d’Anne Morelli aux campagnes électorales
Elections présidentielles US 2016 et française 2017 :
1.-Nous ne voulons pas la guerre. Nous voulons le rassemblement (des Français/Américains).
2.–Le camp adverse est le seul responsable de la guerre. C’est le parti adverse le seul responsable de la division des Français/Américains).
3.-Le chef du camp adverse a le visage du diable (ou «l’affreux de service»): Fillon, MLP mis en examen, Trump violeur en série, homophobe, raciste…
4.-C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers: ni gauche, ni droite, mais «En marche»…
5.-L’ennemi provoque sciemment des atrocités (Casse sociale, réduction du nombre des fonctionnaires, Sécurité sociale, anti-Europe pour MLP) (Le mur, l’expulsion des illégaux, l’abandon de l’ObamaCare pour Trump) et si nous commettons des bavures c’est involontairement (augmentation des impôts).
6.-L’ennemi utilise des armes non autorisées. Mon adversaire vous ment, il bénéficie de l’appui des banques et des lobbies, des instituts de sondage et des médias.
7.-Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes: nous sommes en tête, nous avons d’excellents sondages, l’adversaire en a de moins bons ou de mauvais…
8.-Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause: Annonce des ralliements, au compte-goutte, et à grand fracas médiatique…
9.-Notre cause a un caractère sacré. Mon programme est dans l’intérêt de la France (ou de l’Amérique: Make America great again) et de tous les Français/Américains.
10.-Ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres: moi par exemple.
Comme pour une «campagne militaire», la manipulation et la désinformation constituent la base d’un éventuel succès en «campagne électorale».
Sans autres commentaires…
Dominique Delawarde
12/04/2017
Correspondance Polémia – 13/04/2017
Image : décembre 1989, le faux charnier de Timisoara