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La dictature des juges vient d’Amérique

La dictature des juges vient d’Amérique

par | 15 décembre 2014 | Société

La dictature des juges vient d’Amérique

Il y a peu, Polémia présentait à ses lecteurs un communiqué de presse émanant du premier parti suisse, l’UDC, qui s’indignait de voir les droits démocratiques helvétiques se restreindre, bridés par des juridictions étrangères, en la circonstance européennes. Le journaliste français Hannibal nous livre une théorie du « Gouvernement des juges » telle qu’elle se développe aujourd’hui en France. Polémia

« Il existe donc une caste de grands sages qui s’arrogent le droit de s’occuper de tout, de prendre tous les pouvoirs, sans rendre de compte à personne qu’à leurs pairs. Les juges contrôlent l’exécutif, remplacent le législatif, arbitrent enfin les comportements politiques et sociaux. »

Le gouvernement des juges progresse en France à grands pas. Plusieurs signes l’indiquent. Une crèche construite dans le hall du Conseil général de la Vendée a été interdite par le Tribunal administratif de La-Roche-sur-Yon sur plainte du président de la Libre Pensée locale. Cela a suscité l’ironie des uns, l’indignation des autres et la satisfaction des « laïcs ». Nul n’a relevé toutefois le poids que pèse l’institution judiciaire dans les questions religieuses et politiques sensibles, même quand celles-ci se cristallisent sur des objets apparemment anodins comme une crèche ou un voile.

Même poids indu, dans l’affaire de ce malade dans le coma à Chalons-en-Champagne, Vincent Lambert, que sa femme et une partie de sa famille désiraient débrancher alors que ses parents ne voulaient pas. C’est le Conseil d’État qui a statué : le juge administratif acquérait ainsi de fait le droit de vie et de mort sur un homme, et contribuait à fixer le droit de l’euthanasie par sa jurisprudence. Les voies de droit étant épuisées en France, le Conseil d’État étant la cour suprême en matière administrative, les parents se sont pourvus devant la Cour européenne des droits de l’homme, ses arrêts s’imposant aux droits nationaux. On contourne les juridictions nationales pour s’en remettre à un arbitre supranational : on avance ainsi vers la gouvernance mondiale, et l’on continue à se mettre dans la main des juges.

Notons encore un autre exemple flagrant de l’extension du domaine de ceux-ci : les poursuites contre Marine Le Pen pour avoir comparé l’empiètement sur le domaine public des prières de rue à une occupation. Lorsque les députés européens ont levé son immunité parlementaire, Henri Guaino a déploré ce qu’il a nommé la « judiciarisation de la politique ». Le terme méritait d’être précisé : il ne s’agit nullement de reprocher à la justice de condamner un politique s’il a volé, tué ou pour tout autre crime et délit de droit commun, mais lui interdire de s’immiscer dans l’activité politique, comme l’a précisé le député UMP :

« Le juge n’a à juger ni de l’opportunité des décisions politiques, ni de toutes les paroles prononcées, même excessives, même scandaleuses, même honteuses, par les hommes politiques et les élus. Ça, c’est au peuple d’en décider. »

On ne saurait mieux dire. Tout le monde a applaudi quand les juges italiens ont mis leur nez dans les affaires d’une démocratie-chrétienne pourrie pendant l’opération Mani Pulite, et nous avons rêvé que les nôtres en fissent autant en France, mais l’on s’aperçoit, hélas, qu’une fois entrés dans une maison pour, ou sous prétexte de, débrouiller un scandale financier, les juges s’y ébattent ensuite en terrain conquis, sans égard pour le droit ni la limite de leurs compétences.

Une judiciarisation qui mène à la confusion des pouvoirs

Cette judiciarisation mène à la confusion des pouvoirs, le judiciaire s’immisçant dans l’exécutif, comme au Conseil général de la Vendée. On arrive aussi à des situations cocasses, comme celle du Conseil d’État : il rend des arrêts souverains qui font autorité et jurisprudence, alors que les nominations y sont politiques, et les membres pas toujours magistrats ni même juristes ! Celle du Conseil constitutionnel, qui juge de la constitutionnalité des lois et en retoque souvent l’une ou l’autre, est encore pire : il a pris l’habitude de statuer non en fonction des articles de la constitution, qui ont une portée juridique précise, mais en interprétant à sa manière son préambule, texte philosophique. En d’autres termes, une assemblée de neuf sages choisis pour les bons et loyaux services qu’ils ont rendus, peut déposséder la représentation nationale de sa faculté souveraine de faire la loi, par une simple interprétation extensive et personnelle d’un texte philosophique ! La confusion est telle que le juge prétend aussi se faire législateur. Ainsi le fameux arrêt Perruche, rendu le 17 novembre 2000 par la Cour de cassation solennellement réunie en assemblée plénière, a-t-il donné le droit à un enfant né handicapé de porter plainte contre ceux qui ne l’avaient pas avorté : ici l’aberration mentale s’ajoute à l’usurpation. Cet arrêt était malgré tout trop en avance, et il n’a finalement pas fait jurisprudence, mais ceci est une autre histoire : il a bien été rendu.

Il existe donc une caste de grands sages qui s’arrogent le droit de s’occuper de tout, de prendre tous les pouvoirs, sans rendre de compte à personne qu’à leurs pairs. Les juges contrôlent l’exécutif, remplacent le législatif, arbitrent enfin les comportements politiques et sociaux, et cela sans recours d’aucune sorte. Le peuple ne saurait à aucun moment faire valoir sa volonté contre cette confrérie noire – il est tout juste bon à voir apparaître sa photo sur le mur des cons. Et il n’y a plus d’appel au roi. Saint Louis ne siège plus sous son chêne. Symboliquement, le Parlement a officiellement restreint le droit de grâce présidentiel en 2008, et la pratique avait déjà exclu de son bénéfice les terroristes, les trafiquants de drogue, les tueurs d’enfants, les chauffards et autres racistes. En d’autres termes, une fonction régalienne par excellence n’était plus exercée souverainement, ligotée par les mille liens lilliputiens de la nouvelle morale répandue par la justice. Or, cette judiciarisation qui touche tant la société que l’État est importée des États-Unis.

Une frénésie de chicane

Cela a commencé par la société. Les médecins, en particulier, le savent. Il ne leur est pas nécessaire de regarder des séries télé à la mode pour cela. Régulièrement, leurs responsables syndicaux organisent des colloques et des séminaires sur l’influence américaine en la matière. Une frénésie de chicane commence à se répandre en France à propos de chaque acte, chaque procédé médical, ce qui engendre un souci et une tension constants et multiplie le travail administratif et juridique, oblige à signer des décharges, etc. Cela rappelle Les plaideurs, en moins drôle, met en jeu d’énormes sommes d’argent et enrichit des troupeaux de robins. C’est le système de lawyers américains, qui font miroiter à leurs clients des indemnités mirifiques pour le moindre préjudice et tirent de solides revenus de l’exploitation de ce qu’on peut appeler la mentalité de loterie judiciaire, le jackpot de prétoire. Aux États-Unis, la judiciarisation de la société ne touche pas que la médecine, elle ne prétend pas faire son beurre seulement d’un stéthoscope malencontreusement oublié dans une cage thoracique, elle s’étend à toute la vie. Si vous toussez pour avoir fumé une (censuré) ou si vous êtes obèse pour avoir mangé une glace (censuré), vous pouvez vous faire un bon milliard de dollars avec un avocat compétent, surtout si vous êtes noir et homosexuel.

Conseiller juridique, journaliste, écrivain, le New-Yorkais Philip Howard a publié sur les inconvénients de la judiciarisation de la société américaine plusieurs ouvrages qui font autorité aux États-Unis, dont La Mort du sens commun, L’Effondrement du bien commun, Vivre sans lawyers, et Le Gouvernement de personne. Ce sont aussi des best-sellers car, à la différence de nombreux intellectuels français trop férus d’abstraction seule, Howard donne des exemples frappants. Dont celui d’une petite fille de cinq ans en maternelle, qui entra un jour en colère, jeta ses affaires par terre et déchira le papier peint des murs ; aucun maître, aucune maîtresse n’osa intervenir de peur d’enfreindre une loi sur les enfants ; tant et si bien que la direction dut se résoudre à appeler la police, qui intervint et emmena la petite fille… menottes aux poignets ! Ce qui hier relevait de la responsabilité de l’instituteur, et d’une remontrance ou d’une petite tape, est aujourd’hui de la compétence de l’État, de la loi, des juges. (La judiciarisation ressemble à la marchandisation : la cuisine qui relevait hier de la maîtresse de maison est confiée aujourd’hui à l’agro-alimentaire. On transfère à l’échelon supérieur ce qui se faisait mieux et moins cher à l’échelon inférieur, réduisant peu à peu la responsabilité et l’autonomie des citoyens.) Howard, et d’autres analystes nord-américains, en particulier canadiens, discernent sous cette peur superstitieuse de la loi la primauté des juges et des avocats qui tiennent la foudre.

Une oligarchie de robins

Pourquoi cette omniprésence, et cette omnipotence, des hommes de robe aux États-Unis ? Alexis de Tocqueville l’avait déjà notée dans De la démocratie en Amérique : « L’aristocratie américaine est au banc des avocats et sur le siège des juges. » Un récent article du Monde diplomatique montrait la forte proportion d’avocats dans la première équipe d’Obama (il reste encore au moins Biden et Holder), et plus encore au Congrès (peut-être les dernières élections ont-elles changé cela) : 59% des sénateurs et 40% des représentants à la chambre étaient avocats. La démocratie américaine est donc structurellement une oligarchie de robins. Le Monde diplomatique précisait, sans donner malheureusement de statistiques précises, que ces avocats sont souvent démocrates. On a donc affaire à un complexe justicio-congresso-présidentiel d’avocats bobos utopistes pour diriger la plus grande puissance mondiale.

Et c’est tout naturellement que ces hommes de profils semblables, d’idéologie commune, travaillant en réseau, conjuguent leurs efforts pour exercer le pouvoir et faire évoluer les lois dans la même direction. Là encore, cela ne date pas d’hier. La loi des juges a été dénoncée dès 1803 par le président Thomas Jefferson quand, par un coup de force juridique, la Cour suprême s’est arrogé le pouvoir de contrôle de constitutionnalité. Pour lui, la constitution n’était plus dès lors qu’un « simple objet de cire dans les mains du pouvoir judiciaire » – et d’un pouvoir judiciaire confus et boulimique, puisqu’il conjugue les compétences du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Dans ces conditions, il est obligatoire que la politisation de la justice fasse pendant à la judiciarisation de la politique.

Une redoutable politisation de la justice

La façon dictatoriale dont Barack Obama gouverne les États-Unis en donne quelques exemples en matière de bioéthique. L’avortement suscite une forte opposition dans de nombreux États et n’a été autorisé par la loi fédérale que par une décision de la Cour suprême, non par une loi votée. Mais ce n’est pas tout. Quand tel ou tel État vote des dispositions pour en limiter l’application (par exemple en faisant fermer certains types de cliniques), il se trouve immédiatement des tribunaux pour contester la constitutionnalité des lois d’État. Bien sûr, le cas passe en cour d’appel fédérale, et si, comme cela fut le cas récemment au Texas et en Louisiane, la cour donne raison à l’État et à sa loi restrictive, les associations pro-choix portent l’affaire devant la Cour suprême qui, elle, leur donne systématiquement raison. La même chose vient d’avoir lieu à grande échelle en matière de mariage gay : de très nombreux États conservateurs ont voté des lois définissant le mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme : tous ont été attaqués, et, chaque fois que le cas est venu devant la Cour suprême, celle-ci a tranché en faveur des groupes de pression LGBT et de la nouvelle « morale ».

Cette stratégie est connue de tous, et son efficacité dans la subversion du mariage et l’instauration de l’union gay a suscité l’approbation publique de l’ancien président démocrate Bill Clinton : « Je n’ai jamais vu un mouvement pour les droits civiques, au moins dans ce pays, avancer aussi loin et aussi vite, jamais », a-t-il déclaré lors d’un discours au gala annuel de l’association Human Rights Campaign (HRC) a Washington. Les couples de même sexe peuvent désormais se marier dans 32 des 50 États américains, ainsi que dans la capitale fédérale, Washington, à la suite de décisions de justice. Début octobre 2014, seuls 19 États autorisaient les mariages gays.

Clinton est un fanatique des droits humains et des LGBT. Il s’est excusé publiquement en 2013 pour avoir promulgué, en septembre 1996, la « loi de défense du mariage ». Cette loi définissait le mariage au niveau fédéral comme l’union d’un homme et d’une femme. Elle a été abrogée par la Cour suprême en 2013. Voilà̀ comment le pouvoir est exercé à partir des États-Unis par un petit nombre d’idéologues fanatiques dont l’ambition est de subvertir toutes les mœurs traditionnelles dans le monde en instrumentalisant la justice et en transformant les lois.

Hannibal
11/12/2014

Voir aussi

Suisse : la Convention européenne des droits de l’homme contre la démocratie directe

Source : Rivarol, n° 3167, 11/12/2014.

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