Par Ivan Blot, ENA, docteur ès sciences économiques, inspecteur général honoraire de l’administration ♦ Les lecteurs de Polémia connaissent bien Ivan Blot qui fournit régulièrement des textes éclairant, tant sur l’actualité que sur divers concepts philosophiques et historiques. C’est avec plaisir que nous partageons avec vous le premier volet d’une série de quatre articles consacrée aux grands facteurs de la décadence occidentale.
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Préambule : Aristote définissait chaque trait d’une civilisation par 4 critères : la religion, la politique, la culture, l’économie. Pour qu’il y ait un temple, il faut la religion grecque, pour qu’il y ait de la politique, il faut des citoyens. Quant à la culture grecque, elle est fondée sur l’écriture et le dessin figuratif. Enfin il y a le socle économique et familial.
Dans le monde dit « moderne », ces quatre domaines sont en état de décadence mortelle.
Normalement, la religion donne du sens à la vie. Elle ne se confond pas avec la science qui, elle, donne de la force sans désigner de but. La bombe atomique donne une force terrifiante mais dans quel but ? Un peuple sans religion n’a pas de boussole morale. Il peut être très « développé » comme ce fut le cas du 3ieme Reich sous Hitler, mais sombrer aussi dans la criminalité.
La politique, invention grecque, affirme que le bien commun doit être défini par l’ensemble des citoyens. C’est à ce titre qu’ils sont « libres ». Aujourd’hui, sauf peut-être en Suisse et en Islande, nous ne vivons pas en démocratie mais en oligarchie, voire en dictature. Les peuples ne se sentent plus représentés. Une caste juridico-religieuse qui définit arbitrairement les droits de l’homme prétend fixer les règles suprêmes au profit de puissantes minorités en réseau.
La culture, autrefois très liée à la religion, a pris ses développements propres : la science et la technique fleurissent mais les arts périclitent. Faute de sens porteur qui soit religieux ou tout simplement humain. (Humanisme classique)
Quant au socle, l’économie, elle perd ses bases patrimoniales et la famille est en grave crise : la population ne se reproduit plus. Toutes ces déviations sont produites par ce que Heidegger appelle le « gestell ». C’est-à-dire la dictature de l’utilitarisme. Le communisme, le libéralisme illimité, le fascisme sont des variantes de ce gestell qui conduit l’humanité à la mort.
Il faut donc adopter quatre orientations correctrices : redonner une place à la spiritualité et la religion, établir une vraie démocratie directe avec des referendums, reconnaitre l’économie identitaire dans la ligne du prix Nobel George Akerlof et réenraciner la culture dans le roman historique national.
Les quatre articles suivants ont pour but de préciser ces objectifs.
La décadence occidentale – Religion et civilisation
C’est un grand débat. Pour les uns, notamment les historiens, la civilisation est issue de la religion. Mais il est vrai, aussi, que sous la 3e République française on atteignait un haut niveau culturel aussi bien dans l’enseignement laïque que dans l’enseignement libre. Depuis le 18e siècle, ont coexisté les deux grands courants philosophiques de Pascal et de Voltaire.
Certains pensent même que la civilisation est née de la religion comme le philosophe russe Berdiaev. On peut aussi noter que la criminalité a progressé avec le déclin de la religion après 1970 en Amérique du Nord et en Europe.
Dans d’autres cas, la religion poussée aux extrêmes a pu détruire la civilisation. Les exemples des hordes mongoles ou de l’islam terroriste en attestent. Mais en général, l’histoire montre que la religion a pris le partie de la vie : haute natalité, limitation de l’avortement, déjà chez les anciens grecques.
On le voit aujourd’hui : quand la foi est basse, la natalité s’effondre. Le contre-exemple existe aussi : la foi renait en Russie et la natalité aussi où naissances et décès sont presque à égalité.
Affirmer que la religion n’apporte rien au développement est une contre vérité si l’on veut bien regarder l’histoire des deux derniers millénaires. On ne peut pas nier la dimension spirituelle de l’homme. Sans l’inspiration religieuse, que reste-t-il par exemple de l’art occidental ?
La politique, sans religion, serait-elle moins cruelle ? Voltaire disait que sans religion, il n’y aurait plus de guerre ! La 2e guerre mondiale qui opposa surtout Hitler et Staline montre le contraire.
La religion donne du sens à la vie. Les mouvements hostiles à la vie sont souvent antireligieux comme l’idéologie laïque américaine « child-free » (libres d’enfant comme si l’enfant tuait la liberté !).
Dans la concurrence des philosophies et des styles de vie, la religion peut être une arme décisive. C’est parce qu’elle puise ses racines dans des traditions sélectionnées au long des siècles. Le Christianisme a pour lui d’établir un lien très fort entre l’homme et la Divinité grâce au mystère de l’Incarnation. Dieu s’est fait homme, l’homme peut se faire Dieu comme disent les Orthodoxes (theosis). Ce lien entre Dieu et l’homme est même antérieur à Jésus Christ puisque Platon en parle au 4e siècle avant notre ère.
Le Platonisme est le fil rouge de notre spiritualité. Que ce soit pour ou contre elle. Le Platonisme veut élever l’âme et a découvert que dans celle-ci il y avait 3 instances : La raison, le cœur, les instincts. L’homme ne peut se développer qu’en assurant la hiérarchie entre ces instances. Cette vérité reste valable même sans foi religieuse précise. Le drame de l’Occident est de rejeter avec le Christianisme la théorie de l’âme tout entière.
Ce sont les épreuves qui grandissent les hommes. Parmi les grands résistants de la 2e guerre mondiale, on note le grand nombre de catholiques résistants actifs : De Gaulle, l’amiral D’Argenlieu, le colonel Von Stauffenberg, l’amiral Canaris par exemple. C’est leur foi qui les a fait résister au national-socialisme et au communisme. Plus récemment nous avons les exemples de Walesa et de Soljenitsyne.
Bien sûr, la force morale existe aussi dans l’athéisme mais elle semble statistiquement plus importante dans les pays religieux. L’idéologie athée prend souvent des formes religieuses lorsqu’elle est en expansion, dans ses rites notamment. En URSS, on défilait sous les portraits de Marx et de Lénine. Aujourd’hui, les anciens combattants russes ne sont plus communistes mais ils défilent le jour de la fête nationale avec les portraits de leurs grands-parents anciens combattants. En Occident, les jeunes ne défilent pas pour célébrer la gloire des libérateurs fasse aux régimes totalitaires ! On ne peut pas comprendre l’importance de la religion sans revaloriser le sacré dans la patrie, dans l’homme, dans les valeurs morales transcendantales comme le sens de l’honneur. Le sacré et la beauté se rejoignent. Les pays sans religion sont souvent sans beauté. Pour eux, seul le fonctionnel et l’argent comptent. L’âme s’efface à l’horizon.
La France et l’Europe occidentale ne pourront survivre que si la spiritualité réapparait, notamment par l’étude de l’histoire de la nation. Comme l’écrit Dostoïevsky dans Les Frères Karamasov : « Une nation n’a jamais été créée par la science. La science n’a pu autoriser que la force. »
L’essentiel vient du cœur et non de la seule raison. Si un pays perd son âme, son cœur, il devient un simple matériel ethnographique. C’est pourquoi il faut enseigner aux enfants leur roman national et pas la seule histoire de France. Bien sûr il faut s’inspirer des faits historiques mais il faut aussi cultiver les exploits, même légendaires, de nos héros. C’est alors que l’existence reprend son sens. La patrie est alors assurée de sa continuité. Honneur et patrie, tel était le premier slogan de la résistance de la France libre. Il était spirituellement au delà des idées abstraites d’égalité des droits.
Ivan Blot
13/06/2018
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Domaine public, via PxHere
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