Arnaud Imatz est essayiste, historien, écrivain (José Antonio : la Phalange espagnole et le national-syndicalisme, La Guerre d’Espagne revisitée…). Il nous livre ici ses réflexions sur la Guerre d’Espagne, enjeu culturel et politique capital pour la gauche et l’extrême gauche espagnole. Première partie.
« La Guerre d’Espagne est aussi un modèle presque parfait de contamination idéologique de l’Histoire. »
Au cours du XXe siècle, les guerres civiles européennes ont été nombreuses. Des historiens et des politologues, comme le conservateur Ernst Nolte, le gaulliste Julien Freund ou le « marxiste autonome » Enzo Traverso, pour ne citer qu’eux, ont même eu recours à la notion générique de « Guerre civile européenne » pour rendre compte des terribles événements de la Deuxième Guerre mondiale voire de toute la période 1914-1945. Si l’on s’en tient à la notion de guerre civile la plus classique, limitée au seul cadre de l’Etat ou de l’unité politique, il faut rappeler que la Finlande, la Hongrie, la Lituanie, la Yougoslavie, l’Albanie et la Grèce sont autant de pays qui ont connu des luttes fratricides et sanglante (1). Mais néanmoins, c’est la Guerre civile espagnole (1936-1939) qui, avec la Guerre civile russe (1917-1923), a le plus mobilisé et divisé l’opinion mondiale. La « Guerre d’Espagne » (comme on dit en France) n’a jamais cessé de faire l’objet d’interprétations opposées et contradictoires. Depuis les années 1980, moins de dix ans après la fin de la dictature franquiste, elle est redevenue un enjeu culturel et politique capital pour la gauche et l’extrême gauche espagnole. Elle est aussi un modèle presque parfait de contamination idéologique de l’Histoire.
Il y a en réalité autant d’explications de la Guerre d’Espagne que de sensibilités politiques. La sympathie pour le camp républicain se double habituellement d’une affinité à l’égard de l’une ou l’autre des sensibilités de gauche : communiste, anarchiste, trotskiste, socialo-marxiste, sociale-démocrate ou libérale-jacobine. À l’inverse, la complaisance à l’égard du camp national va généralement de pair avec la bienveillance pour l’une ou l’autre des tendances opposées au Front populaire : républicaine-libérale, centriste-radicale, agrarienne, conservatrice, monarchiste-libérale, monarchiste-carliste, nationaliste ou phalangiste.
Les trois interprétations classiques
On peut distinguer trois interprétations majeures. À gauche et à l’extrême gauche, l’échec de la Seconde République s’explique par l’hostilité de la droite, son absence d’esprit social, son refus d’accepter les « réformes », son esprit réactionnaire, antidémocratique, en un mot, « fasciste ». L’analyse marxiste, hier quasiment monopolisée par la propagande du Komintern, est ici prédominante : le conflit serait le résultat de la lutte des classes, le combat entre « le peuple » et l’oligarchie réactionnaire soucieuse de maintenir à tout prix ses privilèges.
À droite et à l’extrême droite, le désastre aurait au contraire pour cause le fanatisme, l’anticatholicisme obsessionnel, les désordres, la violence, l’extrémisme révolutionnaire des « rouges » qui, sous l’influence de Moscou, voulaient instaurer un régime socialiste collectiviste, une République populaire. En pleine expansion, après les élections de février 1936, le terrorisme « rouge » aurait atteint son paroxysme avec la séquestration et l’assassinat du député et leader de droite, José Calvo Sotelo, trois jours avant le soulèvement militaire. En s’abstenant de réagir, le gouvernement du Front Populaire aurait montré son aveuglement, son sectarisme et son intolérance.
Une troisième position se veut plus consensuelle. Dans sa forme la moins élaborée et la plus émotionnelle, elle se limite à renvoyer les protagonistes dos à dos, à déplorer la violence, l’agressivité ou le « caïnisme » de l’ensemble de la société espagnole, à déplorer la lutte impitoyable entre deux factions aussi mauvaises l’une que l’autre, le combat « du totalitarisme de gauche contre l’autoritarisme de droite ». Ajoutons que pour être « politiquement correct », l’homme politique ou le journaliste qui adopte ce point de vue doit accorder des circonstances atténuantes au camp républicain et des circonstances aggravantes au camp national. Mais à elle seule cette attitude sentimentale et bienveillante n’explique rien.
Dans sa forme plus rationnelle, la troisième interprétation consiste à souligner que la faillite s’explique à la fois par l’immaturité politique et par la polarisation extrême de la société. La gravité et l’instabilité de la situation internationale n’auraient joué qu’un rôle subsidiaire. L’explication des origines et des causes du conflit seraient dans l’imbrication des problèmes structurels, conjoncturels et strictement politiques. On fait ressortir ici, d’abord, que la situation d’un pays en voie de développement, avec des conditions de vie lamentables pour près de deux millions de journaliers agricoles et de quatre millions d’ouvriers urbains, était délétère et que les effets négatifs des années de dépression n’étaient pas de nature à faciliter le jeu de la démocratie. Mais, cela dit, les tenants de cette troisième position insistent sur le fait qu’il n’est pas facile de démontrer que les facteurs structurels et conjoncturels ont déterminé le cours des événements. De leur point de vue, la clef de la chute finale se trouve avant tout dans l’incapacité des principaux partis politiques et de leurs leaders à résoudre les problèmes de l’époque.
En résumé, on considère ici que les diverses explications ne s’excluent pas mais qu’elles peuvent se compléter. C’était d’ailleurs l’avis d’un bon nombre de spécialistes avant que ne surviennent les véhémentes remises en cause des années 1980-1990.
1939-1960 : la tentation de l’histoire partisane
Revenons à l’immédiat après-guerre civile. En Espagne et à l’étranger, les auteurs cèdent volontiers à la tentation de l’histoire partisane. Les historiens franquistes ne dépassent guère le niveau de l’apologie. Pour eux, la nation aurait été agressée par les forces anti-espagnoles. L’armée, dont ils taisent soigneusement les divisions internes, aurait été le véritable garant de la « civilisation », le fer de lance de la « croisade » anticommuniste. La guerre civile aurait été un combat de la civilisation occidentale contre la barbarie et l’invasion communiste, une croisade chrétienne contre l’Antéchrist (2).
À l’étranger, au cours de la même période, la plupart des historiens dressent le dossier de l’accusation. On oppose de façon simpliste la légende noire franquiste à la légende dorée de la République. La Guerre civile espagnole aurait été un affrontement entre le fascisme et la démocratie, une lutte des pauvres contre les riches, une agression unilatérale de l’armée et d’une poignée de fascistes réactionnaires contre le peuple espagnol (vision communiste) ou une révolution collectiviste contre le capitalisme réactionnaire (vision anarchiste). D’autres ajoutent qu’il s’agissait d’une guerre de libération nationale contre l’impérialisme étranger (soviétique ou italo-allemand), un prélude à la Deuxième Guerre mondiale. Autant de thèses schématiques et réductionnistes présentées ad nauseam de façon caricaturale
1960-1975 : quelques travaux rigoureux et honnêtes
Dans les années 1960 on assiste à une première inflexion importante. Une œuvre historique vaut, on le sait, pour son degré de rigueur, sa valeur scientifique et cela quelle que soit sa coloration idéologique. Un petit nombre d’historiens anglo-saxons, honnêtes, vont chercher à élaborer de grandes synthèses en s’efforçant à une approche critique et objective des deux camps.
Deux livres, publiés en 1961, ont assez bien résisté aux dommages du temps :
– Le premier en qualité est de loin : The Grand Camouflage (3), ouvrage du Gallois, ancien correspondant de guerre dans la zone républicaine, Burnett Bolloten (cet auteur, que Guy Debord comparait à Thucydide, accumula toute sa vie une impressionnante documentation sur le sujet et fut la bête noire des communistes marxistes orthodoxes). Son livre est essentiel pour comprendre les luttes à l’intérieur du camp républicain et l’action hégémonique des communistes pendant la Guerre civile. Sa traduction française est passée inaperçue.
– La seconde œuvre, régulièrement rééditée depuis, est : La Guerre d’Espagne de l’Anglais Hugh Thomas, livre amendé et nuancé au cours de ses éditions successives. L’auteur a évolué du socialisme vers le néolibéralisme thatchérien. Il est passé de la sympathie pour le principal leader socialiste, Francisco Largo Caballero, que les Jeunesses socialistes aimaient appeler le « Lénine espagnol », à la défense de Manuel Azaña, le jacobin, laïciste, anticatholique, qui déclarait que le libéralisme n’avait pas réussi en Espagne en raison de son manque de sectarisme. Sa sympathie pour le président du conseil, puis président de la République, Azaña, est aujourd’hui partagée en France par l’historien centriste Bartholomé Bennassar. Une attitude qui n’est pas rare chez les politiciens espagnols néolibéraux. Ainsi, le leader du Parti Populaire, José Maria Aznar (qui était phalangiste dans sa jeunesse), se référait volontiers, du moins à l’époque où il était premier ministre (1996-2004), à « la lucidité et l’intelligence de Manuel Azaña ». Ce point de vue reste néanmoins fort discutable. L’un des meilleurs spécialistes de la question, codirecteur de la revue Journal of Contemporary History, le professeur Stanley Payne, estime au contraire qu’Azaña est l’un des principaux responsables du conflit (4).
Dans ces années 1960-1975, il faut encore relever les noms de deux auteurs marxistes très polémiques : Gabriel Jackson et Herbert R. Southworth et ceux de deux autres auteurs plus crédibles : l’Américain, Edward Malefakis et l’Anglais Raymond Carr. En France, les noms les plus connus sont ceux des marxistes Pierre Vilar, Pierre Broue, Emile Témime et Manuel Tuñon de Lara. Ce dernier, un communiste (ex militant des Jeunesses communistes puis membre du comité central des Jeunesses socialistes et communistes unifiées pendant la Guerre civile), sera professeur d’Histoire et de Littérature espagnole à l’Université de Pau (1970-1980). Son influence sur les universitaires hispanistes-français sera considérable.
Dans l’Hexagone, on ne trouve à cette époque aucun livre manifestant la moindre complaisance à l’égard du camp national, à l’exclusion de la réédition du reportage journalistique de Robert Brasillach et de Maurice Bardèche, Histoire de la Guerre d’Espagne, publié pour la première fois en 1939.
Dans la Péninsule, les lignes bougent sensiblement sur le versant favorable au camp national. Vers la fin des années soixante, le bloc se lézarde. La vision étroitement franquiste cède la place à une pluralité de versions marquées par l’idéologie des différentes tendances politiques du camp national: monarchistes-conservateurs, républicains-libéraux, démocrates-chrétiens, traditionalistes-carlistes, phalangistes franquistes et phalangistes dissidents. Il faut citer ici les noms de Vicente Palacio Atard, Carlos Seco Serrano, Jésus et Ramón Salas Larrazabal, José Manuel Martínez Bande, José María Gárate Córdoba, Enrique Barco Teruel, Luis Suárez, José María García Escudero et, surtout, celui du très prolifique professeur d’histoire, futur ministre de la Culture du roi Juan Carlos, Ricardo de la Cierva. J’ai donné la parole à quelques-uns d’entre eux dans mon livre, La Guerre d’Espagne revisitée (5).
Après la mort du Caudillo et la fin de la dictature, l’élan éditorial voit sa force décupler. De 1976 à 1982, deux principes animent « l’esprit de la transition démocratique » : le pardon réciproque et la concertation entre gouvernement et opposition. Il ne s’agit pas d’oublier le passé, mais de le surmonter. Il ne s’agit pas d’imposer le silence aux historiens et aux journalistes, mais de les laisser débattre entre eux librement. On aurait pu penser que ce consensus politico-culturel perdurerait, et que les historiens s’adonneraient, librement, aux recherches sereines du champ de leur connaissance, mais il n’en fut rien. La Guerre civile espagnole redevint vite le lieu privilégié des affrontements polémiques ; un enjeu culturel pour les hommes politiques.
Au cours des années 1982-1990, l’attitude des médias officiels et des milieux académiques s’infléchit singulièrement. Avec le gouvernement socialiste, un raz-de-marée culturel néo-socialiste et postmarxiste submerge le pays. Les vieilles thèses caricaturales reviennent en force. Les grands médias n’hésitent pas à les reproduire dans leurs formulations les plus extrêmes. C’est le retour de la propagande du Komintern : la République, la Démocratie et le Peuple auraient été les victimes de l’oligarchie capitaliste, de la réaction cléricale et du fascisme international.
Le communiste Manuel Tuñon de Lara est nommé ou plutôt « désigné » sans concours, professeur à l’Université du Pays Basque après un passage à l’Université des îles Baléares. Ses disciples accèdent à de nombreuses chaires universitaires avec l’aide efficace du gouvernement socialiste de Felipe González (1982-1996). C’est le cas du socialiste Santos Juliá, ou encore de Francisco Espinosa, Alberto Ruiz Tapia et Enrique Moradiellos. Ils inondent les librairies de livres qui bénéficient d’un appui officiel important.
Quelques historiens libéraux se laissent séduire par les orientations socialistes du gouvernement et joignent leurs efforts au courant révisionniste-manichéen. C’est le cas du démocrate-chrétien Javier Tusell, un ancien anticommuniste, directeur général du Patrimoine artistique. C’est aussi le cas du social-libéral Juan Pablo Fusi. Mais l’hispaniste de « référence », très apprécié des autorités socialistes, est le socialiste britannique Paul Preston, professeur à la London School of Economics, dont la méthode, très contestée, consiste à accumuler les témoignages, les données et les opinions qui servent à consolider ses préjugés et à censurer ses adversaires.
1990-2004 : le Parti Populaire (PP) au pouvoir, l’abandon de la culture au profit de l’économie et l’arrivée des historiens indépendants
Sous les gouvernements de droite du néolibéral José Maria Aznar (1990-2004) la situation se maintient. Le Parti Populaire néglige délibérément la politique culturelle au profit de l’économie. La droite des idées est évincée par celle des intérêts. Mais au tournant du siècle, un petit groupe d’historiens indépendants, aux convictions démocrates, conservatrices et libérales affichées, sans relation avec le monde politique, entre en scène. Il remet en cause tout le prêt-à-penser du politiquement correct. La virulence de leurs attaques contre les interprétations convenues et leurs impressionnants succès de librairie les placent immédiatement au centre de terribles controverses. Ces historiens ont pour nom : Pío Moa, César Vidal, Javier Esparza, Alfonso Bullón de Mendoza, Ángel David Martín Rubio, Luis Eugenio Togores, etc. (6).
À lui seul, Pío Moa constitue, comme aiment à le dire les journalistes, un phénomène éditorial historique. Il est la bête noire de la gauche et d’une partie de la droite. Le centriste Bartolomé Bennassar, qui fait pourtant de louables efforts d’objectivité, le traite de « provocateur » : un dérapage somme toute mineur en regard des blâmes, des vitupérations et des insultes dont Moa est périodiquement l’objet dans les milieux journalistiques et universitaires espagnols. Son lynchage médiatique, proprement hystérique, restera dans les annales. Moa est pour eux « l’incarnation du mal », un « personnage dangereux », un « fasciste », un « auteur médiocre », un « historien dépourvu de méthodologie, de perspicacité et de culture », dont « l’indigence intellectuelle est reconnue », pire, un « agent camouflé de la police franquiste (7) ». Les raccourcis infamants, les injures, les invectives et les calomnies, tout est bon pour faire taire celui qui a osé exprimer une opinion trop divergente. La question Moa n’est pourtant pas aussi simple que le laissent accroire ses détracteurs.
De convictions démocrates-libérales, Pío Moa a manifesté à plusieurs reprises son respect et sa défense de la Constitution de 1978. Son parcours atypique montre qu’il est un esprit indépendant et honnête que rien ne saurait émouvoir. Il a d’abord été communiste-maoïste sous le régime de Franco. Il appartenait alors au mouvement terroriste du GRAPO, bras armé du PCr (le Parti communiste reconstitué). De cette époque et de sa formation marxiste il a gardé la véhémence dans les propos, le goût de la diatribe et de la polémique. C’est d’ailleurs en sa qualité de résistant, de combattant contre le franquisme, de marxiste, d’homme de gauche insoupçonnable et de bibliothécaire de l’Ateneo de Madrid qu’il a eu accès à la documentation de la Fondation socialiste Pablo Iglesias. Cette recherche a été la source principale de son premier livre, qui fut une véritable bombe médiatique : Los orígenes de la guerra civil española (1999).
Après avoir dépouillé et étudié minutieusement les archives socialistes, Moa a changé radicalement d’idées. Il a découvert l’écrasante responsabilité du Parti socialiste et de la gauche en général dans le putsch socialiste de 1934, et donc dans les origines de la Guerre civile. On parlait jusqu’alors de « Grève des Asturies » ou de « Révolution des Asturies » ; après son livre on parle de « Révolution socialiste de 1934 ».
L’histoire de ce premier livre de Moa est fascinante. Personne, pas un seul éditeur, ne voulait du manuscrit. Moa fut finalement accueilli par une petite maison d’édition catholique, Encuentro. Ironie du sort, son directeur avait un parent qui avait été séquestré des années plus tôt par des militants du GRAPO (précisément le mouvement terroriste-antifranquiste auquel Moa avait appartenu). Le livre fut d’abord publié à 1000 exemplaires. Par hasard, il tomba entre les mains de Jimenez Losantos, ancien maoïste converti au néolibéralisme, devenu journaliste vedette de la COPE (une radio catholique écoutée par plus d’un million cinq cent mille auditeurs). Losantos fit une publicité enthousiaste au livre. Résultat : Pío Moa fut propulsé sous les projecteurs.
Interviewé par TVE2, Moa suscita immédiatement la fureur des journalistes des grands médias. El País, par la voix de l’historien Tusell, demanda la censure pour l’insupportable révisionniste. Les syndicats (UGT et CCO) protestèrent devant les Cortès. Il y eut toutes sortes de menaces et même une campagne de propagande pour demander l’incarcération et la rééducation du coupable. Depuis, Moa est persona non grata dans les universités d’Etat et les médias du service public.
Mais Moa n’est pas du genre à se plier ou à demander pardon. C’est un polémiste implacable, intellectuellement et physiquement courageux. Son bestseller Los mitos de la guerra civil (La Esfera de los libros, 2003), réimprimé ou réédité une vingtaine de fois, a été vendu à plus de 150.000 exemplaires et a même été le numéro un des ventes pendant plus de six mois. Ses autres livres ont été vendus à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, alors que le tirage moyen des livres d’histoire de ses confrères ne dépasse qu’exceptionnellement les 2 ou 3.000 exemplaires.
Pío Moa ne cache pas sa sympathie pour Gil Robles, le leader du parti conservateur-libéral CEDA (Confederación Española de Derechas Autónomas) des années 1930. Et l’image sulfureuse qu’on donne de lui ne lui fait pas peur. Ses lecteurs sont trop nombreux pour le faire taire. En 2005, les éditions françaises Tallandier se sont portées acquéreuses des droits de son livre Los mitos de la Guerra Civil. La publication était prévue pour 2006. Le traducteur fut engagé, l’ouvrage et son isbn annoncés chez les libraires, mais inexplicablement la date de sortie fut reportée et finalement l’édition déprogrammée. En février 2008, lors d’une émission sur la chaîne française Histoire (alors dirigée par Patrick Buisson), consacrée à la Guerre d’Espagne, à laquelle je participais en compagnie de Anne Hidalgo, Eric Zemmour, Bartholomé Bennassar et François Godicheau, j’ai eu la surprise d’apprendre qu’un autre livre sur la Guerre d’Espagne venait d’être publié chez Tallandier. Il s’agissait des actes du colloque Passé et actualité de la Guerre d’Espagne, dirigé par le spécialiste du PCF, ancien rédacteur en chef de la revue d’inspiration marxiste, Les Cahiers d’histoire, Roger Bourderon, précédés du discours d’ouverture de Anne Hidalgo, actuelle maire de Paris : un ouvrage sans doute jugé moins « dangereux » ou plus « politiquement correct » par les conseillers de l’éditeur. « Honni soit qui mal y pense » !
Arnaud Imatz
15/11/2014
Deuxième partie : La contamination idéologique de l’histoire : l’exemple emblématique de la Guerre d’Espagne (2/2)
La contamination idéologique de l’histoire : l’exemple emblématique de la Guerre d’Espagne (2/2)
Notes
- Voir Stanley Payne, Civil War in Europe 1905-1949, Cambridge University Press, 2011.
- On ne saurait trouver calme et objectivité dans l’Historia de la Cruzada española (1938) ou l’Historia de la Segunda República (1956) de Joaquin Arrarás.
- La version française du livre de Bolloten a été publiée sous le titre La Révolution espagnole. La gauche et la lutte pour le pouvoir, Ruedo Ibérico, 1977.
- Voir Stanley Payne, La Guerre d’Espagne. L’histoire face à la confusion mémorielle, préface d’Arnaud Imatz, Paris, Le Cerf, 2010 et « L’impossible démocratie espagnole. Entretien de Arnaud Imatz avec Stanley Payne, Dossier spécial : 1936-2006, La guerre d’Espagne », Nouvelle Revue d’Histoire, nº 25, juillet août 2006.
- Arnaud Imatz, La Guerre d’Espagne revisitée, préface de Pierre Chaunu, Paris, Economica, 1989, rééd. 1993.
- Citons encore: Rafael Ibañez Hernández, Manuel Aguilera Povedano, Antonio Manuel Barragán Lancharro, Alvaro de Diego, Moisés Domínguez Núñez, Sergio Fernández Riquelme, José Lendoiro Salvador, Antonio Moral Roncal, Julius Ruiz, José Luis Orella, Fernando Paz Cristóbal, Francisco Torres, Jesús Romero Samper et Pedro Carlos González Cuevas.
- La gauche n’a pas le monopole de ce type d’accusation. Le principal représentant de l’école marxiste, Tuñon de Lara, était accusé d’être un agent du KGB par les historiens franquistes. Dans le cas de Pío Moa l’accusation « d’agent du franquisme camouflé ou infiltré dans le mouvement marxiste GRAPO » est portée majoritairement par des auteurs de gauche, en particulier socialistes, mais également par des journalistes de droite comme César Vidal ou Pilar Urbano. Elle est d’autant plus malveillante que les socialistes ont dirigé pendant treize ans le ministère de l’intérieur et ont donc pu disposer à leur gré des archives de l’époque franquiste (ceux de la redoutable Brigade politique et sociale). Le ministre de l’Intérieur socialiste José Barrionuevo a reconnu dans ses mémoires que rien n’a été trouvé permettant d’étayer la thèse de l’infiltration du GRAPO par des agents franquistes, ni en conséquence celle impliquant Pío Moa.