Entretien publié par le magazine Éléments ♦ Immersion dans la campagne Zemmour avec Jean-Yves Le Gallou. Les choix stratégiques. L’euphorie et le meeting de Villepinte. Les trous d’air et le trou noir de la France périphérique. Marine et le pouvoir d’achat…
ÉLÉMENTS : Comment vous retrouvez-vous dans la campagne de Zemmour ? Serait-ce que vous faites de la politique depuis 45 ans et que vous ne vous imaginiez pas laisser passer pareille occasion ?
JEAN-YVES LE GALLOU. C’est surtout que j’ai noué des relations amicales avec Éric depuis longtemps. Cela doit faire une quinzaine d’années que nous déjeunons ensemble tous les deux ou trois mois. Sa candidature vient assez rapidement sur la table. Il l’a longuement mûrie, suffisamment pour lancer sa campagne en deux temps. Au printemps, je le rencontre avec Sarah Knafo. Non seulement il est décidé à y aller, mais il est décidé à y aller sur ses thématiques : la question identitaire, le Grand Remplacement, l’avenir de la France. Rapidement, le choix est fait d’éviter les embûches sur tous les sujets qui ne relèvent pas directement des enjeux de civilisation en présentant un programme sans trop d’aspérités. On ne parlera pas de l’euro. Au niveau européen, la ligne consistera à affirmer notre souveraineté sans sortir de l’Union européenne. Des propositions économiques budgétairement raisonnables. Voilà pour le programme, dans ses grandes lignes. J’échange régulièrement avec lui jusqu’en novembre, quand il crée un comité politique avant le meeting de Villepinte, le 5 décembre. Il m’invite alors à le rejoindre. Après un départ en fanfare, il traverse une première période difficile. Sa misogynie présumée, ses déclarations historiques anciennes sur le maréchal Pétain ouvrent le bombardement médiatique. Feu sur Zemmour ! Et il est si nourri, je parle du feu, qu’on aurait pu croire que Pétain était candidat à l’élection présidentielle. Il faut dire qu’aujourd’hui, Hitler présidant la Russie, tout est désormais possible. Je suis blindé, mais je connais trop les dommages collatéraux pour savoir qu’il faut sortir au plus vite de cette séquence. Je m’intègre donc un peu plus en avant dans le dispositif de campagne.
Droite, gauche, extrême centre et présidentielle. Entretien avec Jean-Yves Le Gallou
ÉLÉMENTS : C’est quoi, ce comité politique ? C’est là que se prennent les décisions ?
JEAN-YVES LE GALLOU. Non. C’est initialement la structure d’accueil des ralliements. Il y a au départ des personnalités conservatrices et des Gilets jaunes, les premiers à avoir rallié Zemmour, auxquels viennent s’ajouter les noms de Guillaume Peltier, Jérôme Rivière, Nicolas Bay, Marion Maréchal, puis les sénateurs Ravier et Meurant. Un lieu d’échanges, de recueil d’informations et de réflexions. Un conseil de Sages (?) en quelque sorte.
ÉLÉMENTS : Il y aussi des gens comme Paul-Marie Coûteaux ?
JEAN-YVES LE GALLOU. Paul-Marie Coûteaux et Charles Millon sont toujours restés à l’extérieur. Le fonctionnement se fait à travers des groupes sur des boucles Telegram qui planchent sur des sujets bien identifiés. Les débats sont très libres. C’est franco. Mais à la fin une synthèse doit émerger et déboucher sur des propositions ou des options synthétisées par Sarah Knafo. Ensuite, c’est Éric qui décide, pas toujours dans le sens de ces orientations prises en amont. L’essentiel pour lui, c’est de s’en tenir à sa ligne sans avoir à rogner ses convictions. C’est la différence avec ses rivaux : sa sincérité. Et elle a un coût.
ÉLÉMENTS : Mais ce « coût » peut également s’avérer positif. La sincérité dénote, détonne même, dans l’univers politique…
JEAN-YVES LE GALLOU. Oui, évidemment, mais l’offre politique aujourd’hui est déterminée par les médias. C’est eux qui fixent l’agenda politique et les éléments de langage qui vont avec. Typiquement la question du pouvoir d’achat. Elle a été imposée par les sondages et les médias, avant de l’être par les événements. Que ressort-il des sondages ? Pouvoir d’achat, pouvoir d’achat, érigé en première préoccupation des Français, devant l’immigration et l’insécurité. Le tour de passe-passe est d’autant plus facile à exécuter que les instituts de sondage prennent soin de séparer dans les enquêtes d’opinion l’immigration et l’insécurité, ce qui les rétrograde dans l’échelle des préoccupations des Français. Les sondages créent des biais de représentation. Mieux : ils fonctionnent à l’instar des prophéties autoréalisatrices. Lors d’une présidentielle, les sondages tombent tous les jours avec une régularité de métronome ; et la chute dans les sondages entraîne la chute tout court. D’autant que les médias traitent la campagne et les candidats comme la course aux petits chevaux. Je me souviens qu’en 1988, Jean-Marie Le Pen avait dépensé le tiers de son budget pour la campagne présidentielle dans une campagne d’affichage quatre par trois mètres. On ne voyait pas sa tête, seulement une phrase « Le Pen l’outsider » avec une course de chevaux. C’est ce manège que les sondages entretiennent à partir d’arbitrages douteux. Pourquoi, à un demi-point près, faire passer tel candidat au-dessus, tel autre en dessous ?
ÉLÉMENTS : Mais ça ne peut pas constituer une excuse. La campagne de Zemmour en octobre est lancée elle aussi par des sondages très favorables…
JEAN-YVES LE GALLOU. C’est vrai, mais les choses changent assez vite. Vous rappelez-vous d’un des grands thèmes de la présidentielle 2017 ressassé par les sondeurs ? Non ! Eh bien c’était la dette, sujet qui a aujourd’hui disparu, alors même qu’elle a gonflé de 600 milliards d’euros… Pour tout dire, je suis quelque peu embarrassé par cette question du pouvoir d’achat parce qu’elle consiste trop souvent à occulter le politique. En quoi est-elle porteuse d’un projet collectif ? Disant cela, je ne dis pas qu’il ne faut pas en parler, au contraire, mais à la condition de mettre sur la table toutes les données de l’équation. D’abord les salaires. Que se passe-t-il avec les salaires ? Il se trouve que s’exerce sur eux une double pression à la baisse : parce que la main d’œuvre française est mise en concurrence par les délocalisations et par l’immigration. Comment pourrions parler du pouvoir d’achat sans aborder aussi l’épineuse question des logements ? Vous faites comment quand, chaque année, 400 000 nouveaux arrivants débarquent ? Vous les logez où ? Le pouvoir d’achat, c’est aussi les matières premières, pétrole en tête, dont les fluctuations de prix dépendent des conditions internationales. Qui aborde le pouvoir d’achat sous cet angle ? Personne. C’est à qui, de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron, sortira le chéquier le plus vite ? Très bien, mais comment financera-t-on cette générosité avec l’argent public ? La question ne semble pas être arrivé jusqu’au cerveau des journalistes. Alors que le moindre sujet qui a trait à l’immigration soulève des objections en cascade. Ici, rien. En cinq minutes, la « générosité » des candidats crée dix milliards de dettes. Circulez, y’a rien à voir. Et puis c’est bien gentil de distribuer du pouvoir d’achat, mais sans réindustrialisation et économie de l’offre, cela débouche sur le déficit de la balance commerciale : en 2021, 85 milliards d’euros, qu’on finance en vendant le patrimoine immobilier et artistique à des oligarques et des entreprises stratégiques à des fonds de pension américain. Mais comme dirait Macron : « C’est notre projet ! »
ÉLÉMENTS : Mais l’enlisement de Zemmour ne vient-il pas du choix stratégique de départ, quasi exclusif : une campagne monothématique sur l’immigration, en laissant de côté tout le reste ?
JEAN-YVES LE GALLOU. Pas d’accord. Zemmour a été présent sur les sujets économiques. Il a fait un très bon débat avec François Lenglet sur BFM. Mais l’émission a été placée comme sous scellé, silence radio ! De même lorsque Zemmour intervenait sur les sujets économiques, aucune reprise ou si peu. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que nous vivons dans un monde orwellien. Ce sont les médias qui donnent le la : il y a les sujets dont on parle jusqu’à la saturation et d’autres dont on ne parle pas. Prenons l’école. Reconquête a produit un programme simple, efficace, imparable, à partir des classes de niveau, du retour aux fondamentaux et de remise en cause des méthodes des pédagogistes et autres pédagomanes. Sujet mobilisateur : l’éducation intéresse tout le monde, jusqu’aux grands-parents d’élèves. C’est si important pour Zemmour qu’il compte y consacrer une semaine. Il l’aborde lors de ses vœux, puis au cours de deux déplacements en compagnie de professeurs. Ce dont la presse se fiche éperdument, sauf une phrase qu’elle détache de son contexte et qui suscite une vague d’indignation commode. Un prof fait remarquer à Zemmour que certains enfants handicapés sont finalement assez peu adaptés dans le cursus classique. Comment procéder alors ? C’est alors que Zemmour sort la phrase sur le dogme de l’inclusion. Patatras ! Il est rafalé. Tout le monde y va de sa condamnation morale. Dans les heures qui suivent l’attaque, on lance la contre-attaque en postant une vidéo sur YouTube ; et sur les réseaux sociaux, beaucoup de retours de gens concernés par le sujet et qui félicitent Zemmour. Il n’empêche : il est bombardé quatre jours durant. Avec un double effet pervers : la riposte est malgré tout peu entendue et les sondages dévissent.
ÉLÉMENTS : Vous êtes un ancien du FN et du MNR, vous ne vous attendiez tout de même pas à ce que les médias vous fassent la courte échelle ?
JEAN-YVES LE GALLOU. J’ai beau le savoir, j’ai beau avoir écrit dessus, j’ai beau le commenter toutes les semaines sur I-Média, j’ai quand même (re)découvert la puissance de désinformation du système. Les médias créent un monde parallèle dont on ne peut pas sortir. Ce sont eux qui décident quel sujet aborder et de quelle façon l’aborder. On est déjà dans les métavers, ces univers virtuels. Le métavers s’observe ainsi : entre ce qu’un homme politique émet et ce que les médias répliquent et ce que l’opinion parvient à percevoir, le décalage est considérable. Les médias créent la seule réalité dicible et audible. Entre diabolisation et invisibilisation. Par ailleurs, une campagne présidentielle place les candidats sous une pression médiatique permanente. Dès que survient le moindre événement considéré comme significatif, obligation d’y répondre très rapidement, faute de quoi les journalistes vous reprochent votre indifférence. Il y a comme une sorte de veille permanente. C’est un autre aspect de la tyrannie médiatique
ÉLÉMENTS : Je reviens sur la manière de riposter à la pression médiatique. Ne vous aurait-il pas fallu vous inspirer de Trump ? Qu’a-t-il fait ? De la surenchère ! Est-ce que la réponse de Reconquête n’était pas finalement trop sage sur la forme (je ne parle pas du fond) ?
JEAN-YVES LE GALLOU. Je ne crois pas. Le résultat du premier tour, c’est le vote utile. Soit, au soir du premier tour, un tiers du vote mariniste, un tiers du vote Macron et la moitié du vote Mélenchon. Les pourcentages sont éloquents. Si on soustrait du vote Marine les 8 points du vote utile, on arrive à 15 % pour Zemmour et 15 % pour Marine. 15-15, ce sont les résultats observés dans la semaine du 20 au 25 février où Zemmour a dépassé Pécresse et croit pouvoir rattraper Marine. Le lundi qui précède l’attaque en Ukraine, les feux sont au vert. Tous nos militants pensent qu’on dépassera Marine le Pen. La dynamique est là et on ne voit pas trop ce qui pourrait l’enrayer. Erreur. C’est celui qui arrive en tête dans les derniers kilomètres qui peut – et qui veut – capitaliser sur le vote utile. Le vote utile fonctionne comme une avalanche. Il y a une première tranche du manteau neigeux qui tombe avant d’embarquer le reste.
Autre point : s’il y a une partie de la France à laquelle on accède principalement par les chaînes en continu et les réseaux sociaux, que Zemmour a captée ; mais il y en a une autre, moins politisée, qui se mobilise (et se politise) avec les JT de TF1, France 2, France 3, M6 et C8. Énorme masse, dans les quelque 16 millions de personnes, qu’il faut convaincre dans la dernière ligne droite. Or, il faut être en tête dans le dernier virage pour pouvoir espérer la séduire.
Éric Zemmour est-il trop négatif sur le bilan de l’oligarchie ?
ÉLÉMENTS : D’accord, mais n’y a-t-il pas une forme d’endogamie au sein de l’électorat de Zemmour : globalement la France des beaux quartiers ? Vous me direz : il y a Jacline Mouraud, mais c’est un peu léger, non ?
JEAN-YVES LE GALLOU. Oui et non. Notre problème, à nous outsiders, c’est que la campagne est mise entre parenthèses à partir du 24 février. Tout le monde a les yeux tournés vers l’Ukraine. Pas de débats. Une pensée unique. À partir de là, la campagne n’a plus eu lieu, elle n’a plus consisté qu’à demander aux uns et aux autres ce qu’ils pensaient de la prise de Marioupol. Les sondages ont fait le reste.
ÉLÉMENTS : C’est vrai que c’est une élection sous masque…
JEAN-YVES LE GALLOU. Le premier tour n’a pas eu lieu. Tout s’est polarisé sur les candidats du second tour, annoncés depuis cinq ans. Au fond, on a eu un deuxième tour avant le premier tour. Sans débat. Les chaînes d’information en continu ont certes fait leur travail, mais pas les grandes chaînes, qui ont fait le service minimum en matière de débat. Or, elles sont plus majoritairement suivies par les électeurs déjà acquis à Marine.
ÉLÉMENTS : Bien sûr, mais on ne peut pas accabler toujours les autres : une fois les médias, une autre les sondages… C’est Marine qui se saisit de la question du pouvoir d’achat, surtout avec le renchérissement du prix des matières premières… On a l’impression que l’entourage de Zemmour ne connaît pas la France périphérique, sinon à travers son patrimoine architectural, ses églises, ses monuments. Quid des populations qui y demeurent ?
JEAN-YVES LE GALLOU. On ne va pas se mentir. Je me suis demandé à un moment s’il ne nous aurait pas fallu faire une immersion complète dans la France périphérique. Nous et notre candidat. Les Ardennes, la Nièvre, l’Orne ?
ÉLÉMENTS : La ligne Reconquête est sur le fond radicale. Mais elle semble par moment improvisée. Plus la campagne avance, plus on a le sentiment que vous êtes pris de panique, surtout dans la dernière ligne droite. Les sujets arrivent comme la bouée au noyé. Je pense à la remigration, bon thème au vu des sondages, mais qui se prépare en amont…
JEAN-YVES LE GALLOU. On voit que ça se rétracte. On disparaît des médias. L’idée, c’est de chercher à revenir. Entre autres par la transgression. D’où le terme remigration qui est lancé dans le débat, mais qui n’est pas complétement exploité. Ça ne marche pas vraiment. Ça arrive trop tard.
ÉLÉMENTS : Quel est l’état d’esprit tout au long de la campagne ? L’euphorie ? C’est le sentiment qu’on a de l’extérieur, du moins jusqu’aux dernières semaines ? Que vous croyez pouvoir plier le match…
JEAN-YVES LE GALLOU. L’ambiance au soir du 23 février, c’est : « Ça va le faire ! » Mais rapidement, on comprend que c’est mal engagé. On consulte les sondages au jour le jour. Il y a déjà eu deux trous d’air, au mois de novembre, immédiatement corrigés par Villepinte, qui a été un des sommets de la campagne. La polémique autour des handicapés, c’est la même chose. Une nouvelle baisse, avant de retrouver notre dynamique, que la guerre en Ukraine brisera. Le glacis, comme au bon vieux temps du communisme. L’Ukraine a entraîné un effet drapeau qui a plus affecté Zemmour que Marine et Mélenchon. Une partie de l’électorat de François Fillon, en 2017, s’est rabattue vers Emmanuel Macron. Alors que, pour nous, l’objectif, c’était d’abord de siphonner les LR, puis le RN. C’est ce qu’on s’est efforcé de faire dans un premier temps en flinguant Pécresse sur l’islamo-droitisme. La guerre en Ukraine a rendu impossible la deuxième étape : récupérer l’électorat de Marine. Franchement, au premier coup de canon sur l’Ukraine, j’ai pensé aux bombardements sur la Serbie. C’était en 1999. Mégret fait 3,5 % et Le Pen 5,5 % aux européennes. Parmi les dommages collatéraux des bombardements : la campagne des européennes qui avait disparu des écrans radar. Cela me fait penser à la phrase de Dominique Venner : l’histoire est le lieu de l’imprévu, mais l’imprévu ne joue pas forcément entre notre faveur.
ÉLÉMENTS : C’est cette tenaille, LR d’un côté, RN de l’autre, qui vous a conduit à appeler à l’union des droites ? Franchement, qui a envie de voter pour Xavier Bertrand, François Fillon ou Édouard Balladur ? Pas moi !
JEAN-YVES LE GALLOU. Il s’agissait d’abord pour nous de casser le cordon sanitaire. C’est le premier objectif. Il est politique. Il y en a un second, sur le plan idéologique : déplacer la fenêtre d’Overton et imposer nos thèmes à droite.
ÉLÉMENTS : Avec le recul, comment percevez-vous la campagne de Marine ?
JEAN-YVES LE GALLOU. Sa campagne a été bonne, mais concédez qu’elle l’a menée en terrain facile. Éric Zemmour a fait le job sur l’immigration et l’insécurité. Ce qui a bénéficié à Marine Le Pen qui disposait d’un paratonnerre sur qui détourner les foudres médiatiques… jusqu’au soir du premier tour où les médias ont cherché à se retourner contre elle, mais s’il leur est rapidement apparu qu’il était difficile de changer de pied. La diabolisation contre elle a d’ailleurs tardé à se mettre en place. C’est une diabolisation diesel. Exercice difficile, il est vrai : trois mois durant, les médias nous ont expliqué que Marine Le Pen était sympa, et la voici désormais en épouvantail. Pas d’illusion d’ailleurs : si les sondages du deuxième tour la donnent très haut, trop haut, le système médiatique va canonner à mort. Et les fraudes ne manqueront pas d’advenir. Qui en parle ? Savez-vous qu’il y a en France 60 000 bureaux de vote ? Or, en 2017 ; le RN n’a pu présenter que 1 000 assesseurs ou délégués. Ici aussi on voit les limites d’un parti qui n’a plus de base militante ; et, honnêtement, je serais surpris si le RN avait aujourd’hui plus d’assesseurs et de délégués. Or, si Marine veut gagner, elle a tout intérêt à s’assurer que le vote soit régulier. Prenez Reconquête : au premier tour, on a placé 6 000 représentants. Marine n’avait qu’un mot à dire pour les récupérer le jour du second tour.
Jean-Yves Le Gallou sur Marine Le Pen au 2nd tour : « Merci qui ? Merci Zemmour ! »
ÉLÉMENTS : Que se passe-t-il dans l’après-midi du 10 avril ? Vous connaissez déjà la tendance. Le choix d’appeler à voter Marine au second tour s’impose tout de suite à Zemmour ?
JEAN-YVES LE GALLOU. Zemmour ne pouvait pas ne pas appeler à voter Marine. Il faut être cohérent ; on ne peut pas se battre contre Macron pour expliquer ensuite que Macron et Marine c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Ce n’est pas sérieux. Quant à Marine, je n’ai pas été étonné par sa réaction, à savoir qu’elle passe par-dessus nous pour s’adresser directement au public de Mélenchon. J’ai malgré tout été heureusement surpris qu’elle emploie le mot civilisation.
ÉLÉMENTS : Le survote communautaire musulman donne raison à Zemmour, mais il y a un vote catholique et juif en sa faveur…
JEAN-YVES LE GALLOU. C’est un fait : le vote se communautarise. Les cathos tradis et une majorité de juifs chez Zemmour (les chiffres en Israël sont éloquents), le 16e arrondissement, Neuilly et Versailles ; les musulmans massivement chez Mélenchon, ce qui fait de lui le parti des étrangers à la culture française, alors que Macron c’est le parti de l’étranger à la souveraineté française. Il y a d’ores et déjà une bascule démographique. La ceinture rouge parisienne est devenue la ceinture verte, avec un vote massif musulman. C’est le Grand Remplacement électoral. À ce niveau, c’est une nouveauté, même s’il y a eu le précédent de 2012 où le vote musulman a fait au second tour la différence entre Hollande et Sarkozy. Mais globalement le vote communautaire musulman se focalisait jusqu’ici sur les municipales en mode : « Vous votez pour moi et je vous construis un centre culturel ! » Jamais le vote musulman n’avait été aussi important. En Seine-Saint-Denis, la participation est seulement deux points en dessous de la moyenne nationale (elle était de quatre points en dessous en 2017) ; et parallèlement le nombre d’inscrits sur les listes électorales y a plus augmenté que sur le reste du territoire. Disant cela, je ne parle pas dans le vide. La question que devrait se poser le RN pour le second tour, c’est combien d’assesseurs et délégués RN dans le 93 pour prévenir les fraudes ? J’ai beaucoup attaqué Jordan Bardella au moment des régionales, non que je ne l’aime pas, il est bon, même très bon, mais quand il a signé sa feuille d’émargement devant une femme voilée aux régionales, il s’est incliné. Qu’est-ce que cela prouve ? Qu’il ne sait pas comment fonctionne un bureau de vote ? Et pour cause, si le RN arrive à aligner le 24 avril une dizaine d’assesseurs dans le 93, ça sera le Pérou !
ÉLÉMENTS : Il n’y a pas que la religion, il y a aussi le sexe. On vote différemment selon qu’on est un homme ou une femme, surtout quand il s’agit de Zemmour…
JEAN-YVES LE GALLOU. C’est un fait qu’il y a eu plus d’hommes que de femmes parmi les votants Zemmour. Je ne sais pas si je peux le dire parce que ce n’est pas très politiquement correct, mais c’est une loi de la sociologie électorale qu’une formation émergente attire plus les hommes.
ÉLÉMENTS : Au final, quel bilan dressez-vous de cette campagne ?
JEAN-YVES LE GALLOU. Une déception électorale doublée d’une réussite métapolitique. Je suis le plus âgé de la structure, pour l’essentiel composée de jeunes, la civilisation clavier, qui a l’avenir pour elle, à condition de sortir du clavier quand même… Cette jeunesse a pris une douche mais elle reste une garantie pour demain. Elle va se relever. Le siège de campagne aura été une ruche incroyable avec de beaux succès : prenez la campagne de parrainages des maires, rondement menée, avec 740 maires qui ont donné leur signature à Zemmour. Parmi les 110 000 adhérents de Reconquête et les 20 000 adhérents de Génération Z, se trouve le vivier militant de demain, avec quantité de ressources intellectuelles. Quant à la fenêtre d’Overton, peu ont autant contribué que Zemmour à la faire évoluer. Enfin, n’oubliez pas que les caisses sont pleines.
ÉLÉMENTS : Le salut par l’élection reste-t-il possible ?
JEAN-YVES LE GALLOU : L’appareil de propagande n’a jamais été aussi puissant ni le contrôle sur les esprits. On peut douter du succès par l’élection tant il y a une maîtrise du calendrier de l’élection, des sujets de l’élection par les grands médias. Comme l’a exprimé David Engels au dernier colloque de l’Institut Iliade : « Ne nous trompons pas : ce n’est pas par le biais de processus démocratiques conventionnels que nous obtiendrons la victoire […] parce que l’ensemble du système politique actuel, malgré le pluralisme formel, est si unilatéralement dominé par le libéral-gauchisme qu’il rend une victoire électorale globale de la “droite” impossible dans les faits et ne peut donc être qualifié de démocratique que dans une mesure limitée. Qu’il s’agisse de l’orientation gauchiste des médias, de l’école, de l’université, du monde professionnel, des institutions de l’État ou des fonctions politiques : partout, la synchronisation idéologique est telle que seules des infimes nuances de gauchisme semblent être tolérées, tandis que tout mouvement patriotique culturel est soit étouffé, soit désintégré de l’intérieur, soit discrédité ou éradiqué. »
La question du salut par l’élection se pose donc. Mais la question de savoir comment le salut est possible en dehors de l’élection se pose aussi…
Un mot est en train de se répandre dans le champ idéologique c’est « sécession » qui accompagne une forme de communautarisation.
ÉLÉMENTS : L’avenir ?
JEAN-YVES LE GALLOU. Serrer les dents. Puis installer l’appareil Reconquête dans la durée, sachant qu’il n’y a pratiquement pas d’élection pendant cinq ans, sauf les européennes dans deux ans. Continuer à transgresser, à déplacer la fenêtre d’Overton. Et former. Former les cadres. Former les jeunes générations.
Propos recueillis par François Bousquet
19/04/2022
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