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Konrad Lorenz, biologiste et visionnaire

Konrad Lorenz, biologiste et visionnaire

par | 13 juillet 2023 | Société

Konrad Lorenz, biologiste et visionnaire

Par Camille Galic, journaliste et essayiste ♦ La montée des violences et des problèmes que nous connaissons malheureusement aujourd’hui en France et en Europe a été vue et prévue par Konrad Lorenz il y a un demi-siècle. Les réflexions de ce grand esprit sont particulièrement utiles aujourd’hui et éclairent remarquablement bien l’actualité. L’Institut Iliade, en partenariat avec les éditions de La Nouvelle Librairie, ont récemment publié un ouvrage d’Yves Christen – lui-même biologiste – sur ce visionnaire dans la collection « Longue mémoire ».
Polémia

Après les « émeutes de l’Aïd » que la France vient de connaître, ces phrases prennent une résonance particulière : « Les hommes des grandes cultures du passé n’ont que trop réussi à éviter les situations engendrant des réactions pénibles, ils ont atteint un état d’amollissement dangereux, qui mène vraisemblablement à la haine d’une culture. » Et la situation est d’autant plus critique que « la révolution de la jeunesse actuelle est fondées sur la haine. Une haine étroitement apparentée à la forme d’hostilité la plus implacable et la plus difficile à surmonter, je veux dire la haine nationale. En d’autres termes, la jeunesse révoltée réagit contre la génération plus âgée, comme le ferait un groupe culturel contre une ethnie étrangère. »

Un constat très actuel

Écrites par Konrad Lorenz après la trainée de foudre qui, en 1968, frappa les États-Unis puis l’Europe de l’Ouest, ces lignes décrivent exactement l’animosité des générations Y, Z ou « millenials » (18-35 ans) d’aujourd’hui envers les « baby-boomers » croulants accusés d’avoir semé le chaos et, par leur égoïsme forcené, conduit à la destruction de la planète en abusant des énergies fossiles pour satisfaire leur soif de consommation avant de constituer par leur longévité une insupportable charge pour les nouvelles générations à la vie moins facile. Comme l’explique sur le site du Point (propriété du milliardaire François Pinault et où sévit Bernard-Henri Lévy), l’influenceur Zak, connu de ses presque 300 000 abonnés pour son franc parler, surtout dans le domaine du travail où il « conseille aux jeunes de ne pas se donner à fond » : « On s’en fiche de ce que pensent les anciennes générations, c’est à cause d’elles que nous sommes dans cette situation aujourd’hui, à force de ne pas se plaindre et de se laisser faire, donc leur avis est inutile et m’importe très peu. »

Mais, plus grave encore, à cette détestation générationnelle s’ajoute la « haine nationale » animant les (souvent très) jeunes issus de l’immigration qui, sur tout le territoire de leur pays d’accueil, ont donné fin juin la mesure de leur capacité de nuisance et de destruction au prétexte de la mort du Maghrébin Nahel, l’un des leurs abattu lors à Nanterre lors d’un refus d’obtempérer alors que, déjà objet à 17 ans d’une quinzaine de procédures judiciaires jamais suivies d’effet, il conduisait sans permis une somptueuse Mercedes louée par un complice… en Pologne.

Éthologie et civilisation

Le 24 juin, nous avions salué ici la Nouvelle Librairie pour le lancement de la collection Longue Mémoire de l’Institut Iliade. De courtes monographies, dues à des spécialistes, sur la pensée d’auteurs majeurs, « différents dans le temps, l’espace et le domaine de réflexion, mais également connus pour remettre les esprits à l’endroit et extraordinairement “modernes” ».

Joseph de Maistre, la nation contre les droits de l’homme

Cette collection s’intéresse au cas du médecin et biologiste autrichien Konrad Lorenz (1903-1989) qui, fondateur de l’éthologie avec le Néerlandais Nicolaas Tinbergen et l’Américain Robert Ardrey, ne se contenta pas d’étudier les corneilles, les oies ou les chats pour la plus grande joie de millions de lecteurs, mais se pencha aussi sur l’évolution de l’espèce humaine et de notre civilisation, qu’il estimait très menacée par la rupture d’avec la tradition. Ce qu’il considérait comme une catastrophe anthropologique dans son livre Les Huit Péchés capitaux (Flammarion, 1973), amplement cité par son exégète Yves Christen.

Titulaire en 1940 de la prestigieuse chaire d’Emmanuel Kant à Königsberg (devenue en 1945 Kaliningrad en l’honneur du stalinien Mikhaïl Ivanovitch Kalinine, président du Soviet suprême et toujours possession russe malgré la chute de l’URSS), Konrad Lorenz fut mobilisé en 1941 comme psychiatre en Pologne pour y soigner les soldats de la Wehrmacht traumatisés par la férocité des combats contre l’Armée rouge, puis, en 1944, comme médecin militaire à Vitebsk où il fut blessé, fait prisonnier et finalement envoyé dans une prison arménienne où il resta détenu quatre ans durant.

Cette triple expérience lui fut très utile pour étudier les comportements non plus animaux mais humains. Il devait en tirer une leçon essentielle : « Il tient à la nature profonde de l’homme, être de civilisation par excellence, de ne pouvoir trouver d’identification qu’à l’intérieur d’une culture et par le truchement d’une culture. » Ce qu’on admire chez les peuples premiers mais que l’on condamne chez les Occidentaux.

Un antiwokiste avant l’heure

Quelques jours avant les émeutes, Emmanuel Macron avait parlé, pour s’en désoler, de « décivivilisation », mais tout a été fait depuis la seconde moitié du XXe siècle pour déculturer les êtres de civilisation que nous sommes afin de les soumettre à une non-culture globale : destruction de l’habitat naturel (« L’homme civilisé qui dévaste, avec un vandalisme aveugle, la nature vivante […] dont il tire sa subsistance, attire sur lui-même la menace d’une ruine écologique », écrit ce précurseur), mise à bas « avec une brutalité diabolique de la plupart des valeurs réelles », incitations incessantes à se rebeller contre la tradition (religieuse, esthétique, comportementale), entassement des bipèdes dans de grands ensembles « indignes de porter le nom de de maison car elles consistent en des rangées de stalles pour bêtes humaines », adoption des méthodes d’éducation états-uniennes aboutissant à « empêcher les enfants d’acquérir les repères » indispensables à leur maturation et les transformant en « petits monstres » exigeant tout, tout de suite, effacement organisé de l’image du père, confusionnisme sexuel et tyrannie dans tous les domaines de la mode (« méthode la plus irrésistible et la plus efficace de manipuler de grandes communautés humaines ») déferlant quasi simultanément sur tous les continents. Avec un seul objectif, l’abrutissement, la déstructuration et donc la dégénérescence des peuples, réduits soit à des meutes de chiens enragés, soit à des troupeaux de moutons. Tandis que les bergers persistant vaille que vaille à veiller sur les ouailles en perdition sont assimilés à des brutes fascistes.

Citant Lorenz, qui présentait les nouveaux démiurges comme « absolument convaincus que l’homme vient au monde comme une page blanche et que tout ce qu’il pense, sait et croit résulte de son conditionnement » (auquel eux et leurs séides travaillent sans relâche), Yves Christen écrit à juste titre : « Comment ne pas songer ici aux délires du genrisme ou du wokisme contemporains ? […] Comment ne pas être ébloui par le caractère visionnaire de ces propos vieux d’un demi-siècle ? »

L’éthologue viennois, qui soulignait également la dangerosité de la surpopulation sur une planète dont les ressources se raréfient, reçut en 1973 le prix Nobel de biologie. Un choix alors applaudi malgré la brève appartenance du récipiendaire à la NSDAP. Imagine-t-on en 2023 le jury suédois couronnant sans susciter un tsunami de condamnations un tel réac, qui constatait tranquillement que « nous sommes ainsi faits qu’il est impossible d’aimer l’humanité entière, quel que soit le bien-fondé de cette exigence morale » ?

Une constatation qui rejoignait d’ailleurs celle de Joseph de Maistre énonçant cette « vérité désagréable », à savoir que « toutes les nations ne s’aiment pas ». Ce qui invalide d’emblée l’utopie universaliste.

Camille Galic
13/07/2023

Konrad Lorenz, Un biologiste au chevet de la civilisation, par Yves Christen. Ed. de la Nouvelle Librairie, coll. Longue Mémoire de l’institut Iliade. 80 pages, 9 €.

Camille Galic

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