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« Jours de pouvoir » de Bruno Le Maire

« Jours de pouvoir » de Bruno Le Maire

par | 9 avril 2013 | Médiathèque

« Jours de pouvoir » de Bruno Le Maire

Il y avait eu les « Verbatim » de Jacques Attali sur le premier septennat Mitterrand, puis l’ »Aboitim » censément dû à la patte de Baltique, le labrador du président ; voici maintenant Jours de pouvoir, commis par le ci-devant secrétaire d’État aux Affaires européennes puis ministre de l’Agriculture (de 2009 à 2012) Bruno Le Maire, lauréat le 6 avril du Prix du Livre politique. Un triomphe quelque peu assombri pour le récipiendaire par l’attribution simultanée du Prix des députés au Dictionnaire impertinent de la Chine cosigné par l’énarque Jean-Jacques Augier, ex-trésorier de la campagne de François Hollande, nouveau propriétaire de Têtu, le magazine homosexuel créé par Pierre Bergé, et heureux détenteur de comptes bancaires occultes aux îles Caïmans. Et, bien entendu, c’est sur ce second lauréat, qui s’était judicieusement fait excuser – sans doute sur les instances de Claude Bartolone, lequel aurait dû lui remettre le prix, voté le 28 mars –, que se sont excités les journalistes, au grand dam de M. Le Maire.
La presse avait généralement réservé à « Jours de pouvoir » un accueil très favorable, louant l’élégance de son style et son ton très littéraire, ce qui est bien le moins puisque son auteur, né en 1969 à Neuilly, ne sort pas seulement de l’ENA et de Sciences Po mais aussi de la rue d’Ulm et qu’il fut reçu premier à l’agrégation de lettres (modernes). C.G.

Qu’il est joli garçon, l’assassin de papa Sarko !

Mais on peut être aussi exaspéré par la fatuité du personnage, qui se voit évidemment promis à la plus haute fonction. Ainsi évoque-t-il sans cesse une éblouissante forme physique que lui envient ses gardes du corps, incapables de le suivre à la course, et surtout, à six reprises, son fascinant regard d’azur  — « On ne vous avait jamais dit que vous aviez des yeux couleur bleu Méditerranée en hiver ? » s’extasie une admiratrice normande, qu’il cite complaisamment.

Bref, M. Le Maire, qui se fait aussi volontiers l’écho des éloges qui lui sont décernés et selon lesquels il aurait été « le meilleur ministre de l’Agriculture » depuis des lustres, n’est pas seulement content de lui : il en est enchanté.

Nicolas Sarkozy, auquel le scribe reproche mezzo voce de ne pas l’avoir nommé à Bercy après lui avoir tacitement promis la succession de Christine Lagarde, est-il aussi ravi du témoignage de son ci-devant ministre ?

Certes, l’ex-futur président apparaît plus vrai que nature dans ces Jours de pouvoir. Son élocution, son phrasé même sont si bien rendus qu’on a l’impression que le beau Bruno ne se déplaçait jamais sans un mini-magnétophone. Mais il y a pas mal de cruauté de sa part à montrer le naïf émerveillement de l’ex-Élyséen devant sa tardive découverte – due à sa chère Carla ? – de « tout Maupassant », de Barbey d’Aurevilly dont il raconte L’Ensorcelée par le menu et de Stendhal dont il emporte les romans en avion (où il ne cesse de parler, ce qui doit nuire à sa capacité d’attention). Épinglés aussi, en notations souvent assassines, ses tics comportementaux (pour établir une certaine complicité et une feinte amitié, il fait systématiquement précéder le prénom de tous ses interlocuteurs de « mon »), ses accès de brutalité succédant à une extrême politesse, ses vannes sur « Mamie » Merkel et surtout ses contradictions.

Sarkozy défenseur des chrétiens ?

Ainsi, tout en confondant coptes égyptiens et maronites libanais, erreur que, bizarrement, l’omniscient Le Maire ne corrige pas, l’ancien président insiste-t-il le 5 janvier 2011 sur la défense des chrétiens d’Orient qui « doit être un axe fort de la diplomatie française. Vous avez compris ? Un axe fort. »

Or, cet « axe fort » n’empêche pas Nicolas Sarkozy de favoriser l’arrivée au pouvoir de régimes islamistes en Égypte puis en Libye et de soutenir les djihadistes de Syrie. Pis encore, reçu quelques semaines plus tard, le 25 février, par le président turc Abdallah Gül, très remonté, il lui rappelle pour le calmer que lui-même n’a jamais « dérangé la Turquie » sur l’occupation et l’islamisation du tiers nord de Chypre où il « n’est jamais allé » et dont « il n’a jamais parlé ».

De même fluctue-t-il sans arrêt sur son « copain » Barack Obama dont il a pu mesurer maintes fois la fiabilité à géométrie variable et dont, constate-t-il après la chute de Hosni Moubarak, « il vaut mieux ne pas être l’ami ». Mais que dire de ses propres revirements à l’égard du Tunisien Ben Ali, du Libyen Kadhafi et du Syrien Bachar al-Assad, tous chouchoutés avant d’être lâchés et férocement combattus ?

Un « raidissement » général pour la défense de l’identité

Toutefois, le plus intéressant sans doute dans le récit de Bruno Le Maire, et qui ne laisse pas de stupéfier ce grand bourgeois si policé et si polit’correct (l’arrestation du général serbe Ratko Mladic l’a comblé et toute velléité droitière de l’Élysée le hérisse), c’est la montée dans le pays, y compris dans les campagnes apparemment paisibles qu’il arpente puisqu’elles constituent son « champ de compétence », de la crainte et du refus croissants de la mondialisation et de ses effets délétères.

À Coulommiers, ce n’est qu’un cri contre les « pouvoirs publics impuissants » à déloger les Rroms, contre « l’État de droit qui ne fait rien » cependant que « les maires se retrouvent au banc des accusés, sans moyens pour résoudre le problème ». À Evreux, « les questions des militants […] portent moins sur la situation économique et sociale que sur le calendrier européen [d’où ont été exclues les fêtes chrétiennes, NDLR], la délinquance, l’immigration ». « Partout, s’effraie le diariste, le même raidissement, le sentiment que quelque chose se perd de notre identité nationale et ne reviendra pas. »

« La colère n’a pas d’étiquette »

Sauf en Bretagne, où l’héritage chrétien-démocrate et le centrisme mou restent solidement ancrés, est générale cette exigence d’une réaction, donc d’une droite musclée fidèle aux promesses de 2007, quand le candidat Sarkozy avait « fait du Le Pen » pour assécher les terres du Front national, et y avait parfaitement réussi. Le 27 mars 2011, à Évreux, le ministre note ainsi que « le FN sort grand vainqueur des élections cantonales… Il grignote les territoires…

Entre les deux tours, le FN a gagné six cents voix. Une partie des voix de gauche se reporte donc sur le FN ; la colère n’a pas d’étiquette. »

Un vote d’adhésion au FN

Sous l’influence de Patrick Buisson et foin de l’abandon de la « double peine » ou de l’ouverture à gauche et en couleur (avec l’entrée au gouvernement des Dati, Yade, Jouyet, Kouchner, Besson, Mitterrand le neveu…), le sortant opère un grand virage pendant la campagne présidentielle. Mais il est trop tard, les actes ne peuvent plus suivre et les électeurs ont déjà donné.

Le 30 avril 2012, après le premier tour, Nicolas Sarkozy en convient enfin : « Sur le vote FN, il faut plus parler de vote de crise. C’est un vote d’adhésion. Il faut pas le dire mais c’est la vérité : c’est pas un vote de protestation. Si j’avais fait la campagne de Chirac en 2002, je vous le dis, on était derrière le FN. » Mais il ajoute aussitôt au grand soulagement des barons présents : « Naturellement, on fera pas d’accords avec le FN. »

Le 6 mai 2012, François Hollande était élu président de la République. Pour cinq ans ou pour dix ? La réponse est peut-être dans cette dernière adresse du chef d’Etat remercié à ses proches, le 9 mai : « Que chacun autour de la table se souvienne que tout est toujours possible. Tout est toujours possible. »

Raison pour laquelle, sans doute, Nicolas Sarkozy mais aussi Bruno Le Maire se verraient bien candidats en 2017. Ah ! la nostalgie des jours de pouvoir, même si ce pouvoir est de plus en plus grignoté par l’Eurocratie, comme l’a d’ailleurs reconnu l’ancien ministre. Interrogé le 9 mars dernier par Le Monde sur l’Union européenn, il accusait : «  Son attitude nourrit le populisme. Pour sauver l’Europe, il faut une autre Europe. »  Mais il faudrait aussi une autre nomenklatura politique.

Camille Galic
07/04/2013

Bruno Le Maire, Jours de pouvoir, éd. Gallimard, 2013, 427 p. (malheureusement sans index).

Camille Galic

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