L’affaire de l’héritage de Johnny Hallyday fait les choux gras de la presse française. Cette triste bataille juridique a vite remplacé la communion de la France périphérique qui avait envahi Paris pour clamer son amour du chanteur à succès. Pour Éric Delcroix, cette affaire est aussi l’occasion de revenir sur la transformation progressive de l’adoption et ce que ces modifications signifient.
Décidément on n’en sort pas, la presse bruissant du conflit qui oppose David Hallyday et Laura Smet à Laetitia, veuve de leur père. Or, en arrière-plan se profilent les droits concurrents des deux fillettes asiatiques adoptées par le couple formé par Laetitia et Johnny, après que ceux-ci eurent convolé en justes noces.
La question réside dans le point de savoir si la loi applicable à la succession du rocker est la loi française ou la loi américaine (et plus particulièrement californienne). Ce qui commandera la solution sera l’effectivité ou la non-effectivité de la résidence californienne du défunt, question de fait très disputée…
En effet, pour la loi américaine, d’esprit libéral, tout parent peut tester librement alors que dans la loi française, fidèle à la lignée, une réserve successorale est obligatoirement dévolue aux enfants, insusceptibles d’être déshérités sauf indignité grave. Cette réserve est de la moitié en présence d’un enfant, des deux-tiers s’il y a deux enfants et des trois-quart s’il y a trois enfants ou plus. Le reste seulement, appelé quotité disponible, peut être donné ou légué librement.
Tout le monde a pu lire cela dans la presse, aussi, ce rappel fait, mon propos est-il d’un autre ordre.
Les raisons de la réserve successorale
La réserve successorale susdite a deux raisons d’être, s’agissant d’une part de pallier le risque d’un retour au droit d’aînesse après la chute de l’Ancien Régime, mais d’autre part aussi de protéger le patrimoine familial, la famille ne pouvant exister sans un minimum de vision holiste. Voilà qui mérite d’être rappelé en ces temps d’individualisme libéral exacerbé. Le principe régissant la famille dans le Code civil, depuis 1804, est d’abord la loi du sang. Enfin était…
En effet, à l’époque où Johnny Hallyday était devenu père, l’adoption n’était possible que pour suppléer l’absence d’enfant légitime. Aussi la loi exigeait-elle, de la part de tout adoptant, une condition d’âge (50 ans à l’origine, puis 35) mais, au surplus, l’adoption par un couple marié était différée (8 ans) sauf s’il était prouvé que l’épouse ne pouvait pas enfanter. Bref, l’adoption, il y a encore quelques décennies, supposait une forte vraisemblance de l’absence, même future, de toute descendance légitime ; l’adoption n’était donc qu’une solution palliative en absence avérée de descendance légitime.
Naguère, à la naissance de David Smet-Hallyday (1966), Johnny Hallyday se serait vu interdire d’adopter, avec son épouse, ses deux fillettes d’importation.
Adoptions libres et gestation pour autrui
Jusqu’en 1923, il était même impossible d’adopter des enfants mineurs. Les personnes ayant élevé des orphelins devaient attendre les 21 ans (âge de la majorité à l’époque) et obtenir l’assentiment de leur pupille pour adopter. En 1923, il est devenu possible d’adopter des enfants mineurs, en raison du très grand nombre d’orphelins de guerre.
Mais l’institution a été peu à peu dévoyée, et, de loi en loi, on est passé du souci de l’intérêt de l’enfant à celui de la satisfaction du mal d’enfant ressenti par des adultes insusceptibles de procréer. On va maintenant de par le monde satisfaire le mal d’enfant en allant quérir, tout faits, sur une gondole de supermarché, des enfants librement adoptables… Le libéralisme, la loi du marché, est en marche, comme pourrait le dire M. Macron.
Logique progressiste, dès lors que l’on a commencé à céder sur les principes, l’entraînement conduit à la phase suivante. La prochaine sera la gestation pour autrui (GPA), en cours de reconnaissance (déjà pour l’état civil français).
La famille, comme conservatoire de la loi du sang, était célébrée par Céline dans Les Beaux Draps. Bien avant Jean-Claude Michéa, il célébrait la gratuité de l’institution (« Le gratuit seul est divin ») contre les impératifs économiques. Ils ne seront pas réédités en France, Gallimard ayant cédé aux pressions que l’on sait.
Tout se tient, non ? Le choix progressiste de société est bien clair.
Éric Delcroix
06/04/2018
Crédit photo : Rufus [CC BY 2.0], via Wikimedia Commons
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