Par Camille Galic, journaliste, essayiste ♦ Des sept couleurs composant la palette de Robert Brasillach, la plus aboutie — si l’on excepte les déchirants Poèmes de Fresnes, d’autant plus émouvants que leur auteur, condamné à mort, s’y garde de toute enflure, de tout pathos, même dans ses sublimes Psaumes — m’a toujours paru être le récit, voire le reportage porté au niveau d’un grand art, comme dans Les Sept Couleurs, justement, ou dans Comme le temps passe. La langue, si fluide et si simple car nul n’est moins cuistre que celui qui signa une géniale Anthologie de la poésie grecque, y est pour beaucoup. Mais aussi la familiarité immédiate avec les lieux, de Gand à Ségovie, et l’empathie profonde pour tous ceux, prolos ou intellos, qu’il est amené à côtoyer, notamment sous les drapeaux.
Une réussite éditoriale
Ce sont ces qualités, si rares, qui font un livre très précieux et même unique de Notre avant-guerre (1), commencé en 1939, achevé en 1940 et publié en 1941 par Plon avec quelques coupes visant à déjouer la censure allemande. Ces coupes ont été rétablies dans la présente édition due à Pardès, qui a déjà publié une quinzaine de livres du supplicié. Et avec quel soin ! Le volume s’enrichit ainsi d’une pertinente préface de l’universitaire britannique Peter Tame, professeur de littérature française à la Queen’s University de Belfast et spécialiste de Brasillach, et du scrupuleux appareil de notes et notices réalisé par David Gattegno, qui a également réuni une iconographie éclairante pour rendre accessibles au lecteur de 2020 les personnalités, le partis et les événements dont parle le normalien. Une totale réussite éditoriale, dont même Gallimard pourrait se montrer envieux.
Le récit d’une jeunesse
« On n’a pas coutume d’écrire ses Mémoires à trente ans », convenait Brasillach en septembre 1939, mais il lui semblait « indispensable » de s’exprimer sur « une époque désormais close, vingt-cinq ans après l’autre [la Grande Guerre], sur le recommencement de tant d’erreurs et de folies », dont il voulait « fixer les traits ». « Je voudrais qu’on pût lire [ce livre] comme une histoire plus vaste que la mienne, encore que je désire m’en tenir à ce que j’ai vu… Je voudrais qu’on pût respirer ici le souvenir d’un temps particulier. Ce temps [est] notre jeunesse, il est notre avant-guerre à nous. »
Une avant-guerre qui, malgré une enfance endeuillée par la mort au combat, au Maroc, d’un père officier, est d’abord marquée pour Brasillach par ses années de bonheur, tout à la fois besogneuses et dorées, quand il s’épanouit rue d’Ulm, dont il offre une très allègre description, canulars et argot normalien inclus, puis dans le journalisme. Deux viviers où il noue de longues et fraternelles amitiés — avec Maurice Bardèche, bien sûr, qui épousera sa sœur Suzanne, mais aussi Georges Blond ou José Lupin avec lesquels il hante théâtres et cinémas, parcourt Paris puis bientôt l’Europe. Son talent et sa culture lui ouvrent toutes les portes, des vicomtesses comme des académiciens. Mais, avec l’affaire Stavisky, le massacre du 6 février 1934, la guerre d’Espagne, l’avènement du Front populaire et l’Anschluss de l’Autriche (« Plutôt l’Anschluss que les Habsbourg », avait alors lancé Edvard Bénès, président de la République tchèque, qu’il devait offrir aux Soviétiques après 1945), s’accumulent les ombres.
L’espoir fasciste
Nourri des éditoriaux de Charles Maurras, le jeune écrivain fêté dans tous les salons pour Le Marchand d’oiseaux et Le Voleur d’étincelles n’est pas germanophile (il reprend même à son compte la légende de la soldatesque teutonne massacrant de malheureux enfants belges pendant la « Der des der »). Mais il est sensible à l’espoir que constitue « le fascisme immense et rouge », ce « mal du siècle » qui, en Italie, sait si bien allier traditions et futurisme, avec sa révolution industrielle (grâce à laquelle l’Italie sera encore, après l’écroulement de la Seconde Guerre, la septième économie mondiale). Les leaders « fascistes » qu’il rencontre, Jose Primo de Rivera ou Léon Degrelle, ont plus ou moins son âge, très loin des barbons de la IIIème République, leurs meetings drainent des milliers de garçons et filles sportifs et enthousiastes. Il a de la sympathie pour le Parti populaire français et son chef, l’ancien communiste Jacques Doriot. Et, comme la plupart de ses contemporains dont les pères ou les oncles sont morts dans les tranchées ou en sont revenus mutilés et anéantis par le souvenir des horreurs subies ou commises, il refuse la perspective d’un nouveau conflit, à n’en pas douter plus cataclysmique encore.
La guerre
Mais « les orages de septembre » (1938) en décident autrement. Après l’Anschluss, c’est la région des Sudètes, à forte majorité germanophone, qu’Adolf Hitler veut ramener au sein du Reich. Ce sera, « née de cette Tchécoslovaquie hétéroclite », la « guerre blanche » que « l’on sentait approcher depuis des mois » et qu’avaient prédite « des devins, comme Jacques Bainville depuis le traité de Versailles ». Réserviste, le lieutenant Brasillach doit rejoindre un cantonnement en Alsace. A la gare de l’Est, bourgeois bien mis et ouvriers se mêlent dans une cohue indescriptible en raison des ordres et des contre-ordres, et la pagaille est identique en Alsace où nul ne sait que faire ni où aller. Prélude à ce qui se passera pendant la « drôle de guerre », puis pendant la guerre tout court qui fauchera 120 000 hommes en quelques semaines. Et qui, tandis que les ministres du gouvernement Raynaud fuient Paris pour Bordeaux ou Alger, se soldera par des millions de prisonniers — tels l’écrivain qui ne retrouvera la liberté qu’en 1941 et nombre de ses camarades, en particulier Lucien Rebatet, dont la rage impuissante nourrira Les Décombres, pamphlet torrentueux et triomphe littéraire de l’Occupation. C’est mobilisé, puis prisonnier, que Brasillach rédige Notre avant-guerre — et trouve aussi l’inspiration de Six heures à perdre, où un officier libéré d’un Oflag fraternel s’immerge entre deux trains dans le Paris poisseux de l’Occupation, des trahisons, des trafics, du « confusionnisme des idées et des instincts ».
Quel intérêt ?
Oui, « on n’a pas coutume d’écrire ses Mémoires à trente ans », mais Brasillach avait déjà vu tant de choses qui allaient décider du siècle à venir, et il avait tant à raconter sur son époque, sur ce Paris tant aimé qui n’allait pas tarder à disparaître sous la pression conjuguée d’architectes et d’immigrés également destructeurs, sur les hommes et les influences, surtout, qui allaient conduire au désastre.
Dans sa préface, Peter Tame pose cette question rhétorique : « Quel intérêt trouver aujourd’hui dans ces Mémoires, vieux de quatre-vingts ans ? » La réponse s’impose : un intérêt majeur, tant ces Mémoires sont instructifs et sonnent vrai. « Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger », professait Blaise Pascal. Quatre ans après la publication de Notre avant-guerre, le témoin Brasillach allait, au fort de Montrouge et les fers aux pieds, affronter « la mort en face ».
Camille Galic
23/09/2020
(1) Brasillach : Notre avant-guerre, 460 pages avec iconographie et index, 26 euros, juillet 2020
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