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« Jean Lartéguy. le dernier centurion » de Hubert Le Roux

« Jean Lartéguy. le dernier centurion » de Hubert Le Roux

par | 2 novembre 2013 | Médiathèque

« Jean Lartéguy. le dernier centurion » de Hubert Le Roux

« Incontournable pour ceux qui souhaitent une bonne introduction à la vie et à l’œuvre du dernier centurion, ce livre plaira et peut-être même régalera les connaisseurs les plus exigeants. »

Dans son livre Jean Lartéguy. Le dernier Centurion Hubert Le Roux présente Jean Lartéguy comme un historien, un romancier – deux personnages qui souvent s’opposent – un sociologue, un peintre et un philosophe. Jean Lartéguy aura été un grand spécialiste de « l’aventure militaire » et, surtout, il aura œuvré tout au long d’une période unique en son genre où l’ensemble de l’armée française a mené le combat au feu, qu’il s’agisse des professionnels ou d’appelés du contingent, dans ce qu’on a appelé vulgairement les guerres coloniales.
Cette période est unique car ces guerres furent menées à la fois par des opérations strictement militaires comme on l’avait connu précédemment mais aussi par des actions psychologiques engagées auprès des populations et pas seulement contre l’armée ennemie, ce que Lyautey avait « rêvé » et réussi au Maroc.
Ce livre de Hubert Le Roux devrait être lu par les toutes nouvelles générations, – Arnaud Imatz les y incite vivement – celles d’après 1962. Il leur apprendrait ce qu’était une armée décidée à défendre les intérêts de sa patrie sans tomber dans le grandiloquent d’un président Hollande qui, le 26 mars, dans un stade de Bamako annonçait : « Nous avons gagné cette guerre, nous avons chassé les terroristes, nous avons sécurisé le Nord… », alors que nous avons toujours trois mille hommes sur place et qu’aujourd’hui même on annonce l’exécution de deux journalistes de Radio France internationale en reportage dans le nord-est du Mali, après avoir été enlevés par des hommes armés.
Polémia

Jean Lartéguy, de son vrai nom Lucien Pierre Jean Osty (1920-2011), est sans doute l’un des écrivains français qui ont le plus marqué le grand public de l’après deuxième guerre mondiale. Les Mercenaires, Les Prétoriens, Le Mal jaune, et tant d’autres romans captivants de ce célèbre et fascinant correspondant de guerre, restent inscrits à jamais dans la mémoire d’au moins deux générations. Les histoires qu’il raconte sont fort proches de celles des films de son ami Pierre Schoendoerffer. A partir de 1954 et pendant plus de quarante ans, le succès de Lartéguy ne s’est jamais démenti. Les Centurions, son livre le plus connu, a même atteint le chiffre record de 2 millions d’exemplaires vendus. En 1966, le réalisateur canadien, Mark Robson, en a fait une libre adaptation cinématographique avec pour interprètes Anthony Quinn (dans le rôle du lieutenant-colonel Raspéguy inspiré de Marcel Bigeard), Alain Delon, Michèle Morgan, Claudia Cardinale et Maurice Ronet.

L’œuvre de Lartéguy est avant tout une réflexion sur la guerre et la paix, une méditation sur la légende de Caïn et Abel, l’un des grands mythes fondateurs de l’humanité. Lartéguy, c’est le récit de l’aventure militaire, l’histoire de ces jeunes soldats victimes de la duplicité de la classe politique, sacrifiés sur l’autel de l’ordre bourgeois. Lartéguy, c’est la célébration de l’engagement, de l’honneur, du devoir et de la fidélité. C’est la défense du meilleur de la colonisation, le rêve du maréchal Lyautey, celui de la rencontre respectueuse et désintéressée entre civilisations complémentaires. C’est l’analyse et la description de la guerre psychologique, de la guerre subversive, révolutionnaire, « ne pas tuer mais conquérir la population », le combat contre l’ennemi avec ses propres armes théorisé en 1961 par le colonel parachutiste Roger Trinquier : une forme de lutte découverte par les officiers français en Indochine lors de l’affrontement avec les nationalistes-marxistes du Viet Minh.

Lartéguy, c’est le peintre sans concession de la léthargie française, le messager du déclin de l’Europe, l’annonciateur de la fin des empires et de la civilisation occidentale dont la décolonisation ne représente qu’un des aspects les plus perceptibles. De la France des années 1950 il écrit avec amertume : « [Elle] redoute tout ce qui pourrait la tirer de son sommeil ». « [Elle capitule] par égoïsme, par paresse, pour qu’elle puisse s’endormir dans une douillette décadence ». Des Français il fait un constat implacable : « [Ils] ne pensent plus qu’à s’enfermer dans leur petit pays, leurs petites villes, leurs petites maisons et, comme des vieillards, ils ne regardent plus le monde qu’à travers leurs fenêtres, en écartant un peu les rideaux […]. Ils veulent leur retraite, toucher des pensions et qu’on les laisse épousseter leurs vieilles gloires ». Et encore : « Les Français sont devenus trop matérialistes, trop sceptiques, trop désabusés. Ils vivent dans les décombres moisis de leur vieille Révolution de 1789 ».

Hubert Le Roux, biographe récent de Lartéguy, ne s’est pas laissé piéger par les habituelles semi-vérités et approximations de l’historiographie officielle. Son livre, très documenté, nous présente un personnage subtil et nuancé. Anticommuniste, réputé « machiste », Lartéguy a été marié, pendant plusieurs années, avec une marxiste-castriste, une véritable pasionaria féministe dont il divorça avant de connaître la véritable compagne de sa vie, Thérèse Lauriol. Antigaulliste notoire, Lartéguy critique avec véhémence et férocité les socialistes au pouvoir (dont le chef du gouvernement, Guy Mollet, et son garde des Sceaux, François Mitterrand). Ne sont-ils pas responsables de la décision d’envoyer le contingent et d’avoir donné les pleins pouvoirs à l’armée dans la lutte contre le terrorisme des nationalistes algériens ? Favorable au maintien de la présence française en Algérie, Lartéguy voit son appartement parisien plastiqué par l’OAS pour avoir refusé sans ambages les solutions maximalistes. Rebelle, individualiste et antiautoritaire, il se révèle avant tout attaché à la tradition, au terroir, aux rites, aux enseignements transmis de génération en génération. En 1968, il fustige les contestataires ce « troupeau d’enfants perdus, fumeurs de hasch, et gratteurs de guitare entre deux épouillages ».

Le Roux rappelle que Lartéguy dédia Les Centurions à son ami, le célèbre commandant Jean Pouget, un ancien résistant qui avait sauté volontairement en parachute sur l’enfer de Dien Bien Phu. Il souligne aussi qu’il plaça opportunément en exergue de ce livre la lettre de Marcus Flavinius, centurion de la 2e cohorte de la légion Augusta, à son cousin Tertullius à Rome, une pièce d’anthologie qui mérite d’être citée dans son intégralité tant son contenu fut prémonitoire :

« On nous avait dit, lorsque nous avons quitté le sol natal, que nous partions défendre des droits sacrés que nous confèrent tant de citoyens installés là-bas, tant d’années de présence, tant de bienfaits apportés à des populations qui ont besoin de notre aide et de notre civilisation. Nous avons pu vérifier que tout cela était vrai, et, parce que c’était vrai, nous n’avons pas hésité à verser l’impôt du sang, à sacrifier notre jeunesse, nos espoirs. Nous ne regrettons rien, mais alors qu’ici cet état d’esprit nous anime, on me dit que dans Rome se succèdent cabales et complots, que fleurit la trahison et que beaucoup, hésitants, troublés, prêtent des oreilles complaisantes aux pires tentations de l’abandon et vilipendent notre action. Je ne puis croire que tout cela soit vrai et pourtant des guerres récentes ont montré à quel point pouvait être pernicieux un tel état d’âme et où il pouvait mener. Je t’en prie, rassure-moi au plus vite et dis-moi que nos concitoyens nous comprennent, nous soutiennent, nous protègent comme nous protégeons nous-mêmes la grandeur de l’Empire. S’il devait en être autrement, si nous devions laisser en vain nos os blanchis sur les pistes du désert, alors, que l’on prenne garde à la colère des légions ! »

On comprend que cette lettre ait pu stupéfier à l’époque des centaines de milliers de lecteurs. Elle avait été remise à Lartéguy par Jean Pouget qui la tenait pour un document historique authentique. Mais en fait, explique Hubert Le Roux, il s’agissait d’un faux, qu’un proche de Jacques Soustelle, Roger Frey, avait forgé de toutes pièces, en mai 1958, pour réveiller l’ardeur de l’armée contre l’impuissance du gouvernement de Paris. Frey évoluera par la suite et deviendra l’un des principaux barons du gaullisme. Il occupera divers portefeuilles ministériels, pendant treize ans, dont ceux de l’information et de l’intérieur, avant d’être président du conseil constitutionnel durant près de dix ans.

Selon Hubert Le Roux, Lartéguy envisageait de publier un ultime roman, une sorte de testament. Ce manuscrit inachevé devait avoir pour titre Le Prince des années mortes. On peut y lire des propos désabusés : « Les civilisations sont comme des reptiles qui abandonnent leur peau quand ils muent. De la nôtre il ne restera bientôt plus qu’une peau morte accrochée aux épines du chemin. Libre à toi de croire que le serpent a survécu à sa dernière mue et qu’il en connaîtra d’autres. Libre à moi d’en douter. »

Réaliste et volontariste, Dominique Venner disait, lui aussi, que l’Europe pouvait sombrer définitivement dans la dormitio ou sortir de sa léthargie et se régénérer. Mais lui croyait en l’Europe éternelle, en sa capacité de se réveiller et de se reproduire semblable à elle-même. On imagine sans peine le fructueux débat que le « dernier centurion » et le « dernier samouraï » auraient pu avoir : un débat qui nous hante tous et dont nous savons désormais avec certitude qu’il ne tardera plus longtemps à être tranché.

Réjouissons-nous donc de la publication de cette première biographie de Jean Lartéguy. Incontournable pour ceux qui souhaitent une bonne introduction à la vie et à l’œuvre du « dernier centurion », ce livre plaira et peut-être même régalera les connaisseurs les plus exigeants malgré les carences ou imperfections qu’ils pourraient y trouver. Quant aux autres, les amateurs de discours formatés, invitons-les à passer leur chemin.

 Arnaud Imatz
25/10/2013

Hubert Le Roux, Jean Lartéguy, le dernier centurion, Tallandier, 2013, 347 pages.

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