Par Camille Galic, journaliste et essayiste ♦ Comme un arbre peut en cacher un autre, les affrontements, avec grèves et maxi-manifs (ponctuées de violences commises par les Black Blocs, cependant qualifiées d’« incidents minimes et sporadiques » par l’audiovisuel d’État toutes antennes confondues) sur le report de l’âge de la retraite ont occulté une crise qui affole aussi bien le Pouvoir que le Tout-Pourri : celle provoquée par le remplacement de Jack Lang à l’Institut du Monde arabe (IMA). Serait-il raisonnable et séant d’octroyer un quatrième mandat à un senior de 83 printemps ou plutôt de 83 hivers sibériens tant, défiguré par un recours intensif au botox, il apparaît décati ?
Justement, l’un de ses camarades socialistes également dans les petits papiers de la Macronie brigue cette sinécure ; Jean-Yves Le Drian, qui, ancien ministre de la Défense puis des Affaires étrangères, a pris goût aux mondanités et aux voyages tous frais payés, et auquel son activité à la tête de Breizh Lab, dont Jacques Attali fut récemment l’invité, ne suffit visiblement pas bien qu’il ne soit pas lui aussi de la première jeunesse — 75 ans.
Jack Lang, ministre perpétuel de la Culture et plaie d’Égypte
Devant cette candidature imprévue aussi bien que (potentiellement) mortelle, le sang de Lang n’a fait qu’un tour : « C’est une plaisanterie ? Je n’accepte pas ce que vous dites… Ça ne m’intéresse pas, ce n’est pas mon sujet », a-t-il riposté furieux le 2 février au journaliste Paul Larrouturou qui l’interrogeait pour LCI en précisant que lui-même n’était « candidat à rien du tout. ». Ce qui ne devait pas l’empêcher de déclarer au Monde : « C’est une mission que j’assume depuis longtemps et pour longtemps encore… Quand je suis quelque part, j’y suis pour l’éternité. » Ainsi, comme l’Académie française a un secrétaire perpétuel, la France a depuis 1981 et son passage, grâce à l’élection de François Mitterrand, « des ténèbres à la lumière », un ministre perpétuel de la Culture. Statut que lui reconnaît sans doute Elizabeth Borne puisque, le 30 janvier, elle avait choisi l’IMA pour annoncer en fanfare, et sous l’égide d’un Lang épanoui son nouveau (et triennal : 2023-2026) « plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine ». Plan, comprenant l’obligation de testings dans les entreprises pour les rendre plus « inclusives », qui restreindra encore le champ si rabougri de nos libertés.
Pur hasard, le duel entre les deux hiérarques socialistes a commencé quelques jours après la publication chez Plon de 682 jours — Le Bal des hypocrites (288 pages avec annexes, 20,90 €), journal de bord partiel et souvent partial de Roselyne Bachelot sur son passage rue de Valois — « Valois », pour les initiés — où l’ancienne Excellence évoque longuement son prédécesseur que, paraît-il, elle « aime bien », hormis le fait « qu’avec l’âge il est devenu sourd comme un pot et refuse de se faire appareiller ». Mais elle cite un autre prédécesseur, qui l’avait prévenue : « Attention! Lang, c’est une variante des dix plaies d’Égypte. Tu auras tous les deux jours un courrier te réclamant une subvention, une décoration ou une nomination. » De fait, le commandeur exigera d’elle une rallonge de 600 millions d’euros pour la réfection de l’IMA qui, édifié à grands frais, inauguré en 1987 par François Mitterrand et en « quasi cessation de paiement » depuis la défaillance des pays de la Ligue arabe en théorie chargés le financement de l’Institut à hauteur de 40 %, tomberait en ruine.
Comme, du reste, la plupart des « grands travaux » mitterrandiens, et dont l’initiative revenait à Lang, tels l’Opéra-Bastille avec les dalles de sa façade dégringolant sur la chaussée au risque de causer morts d’homme et, dans la cour du Palais-Royal, les colonnes de Buren que Roselyne « adore », mais où « toutes sortes de malfaçons se déclarent, l’eau s’infiltre dans les locaux de la Comédie-Française en sous-sol, le plan d’eau cesse de fonctionner et la partie souterraine se salit massivement, les colonnes sont soumises à̀ trop d’agressions, il n’y a plus d’électricité ». Coût de la restauration : 3,2 millions d’euros. Merci Jack ! Alors que, constate à juste titre la diariste, l’entretien des bâtiments anciens, un château du XVIème siècle par exemple, est infiniment moins onéreux.
Autre reproche fondé fait à Jack Lang, sa promotion forcenée des cultureux, qui depuis des décennies entretiennent la sienne propre, et estiment que tout leur est dû. Très mielleux avec leur ministre de tutelle quand ils viennent quémander des subsides — généralement obtenus —, ils se déchaînent ensuite en public, cas du chanteur Benjamin Biolay par exemple, contre leur bienfaiteur-trice.
Une sexflèche en or pour Notre-Dame
« Au-delà des personnalités emblématiques d’André Malraux et de Jack Lang », et d’une « politique historiquement parisiano-centrée considérablement amplifiée durant la présidence de François Mitterrand », créant des « inégalités insupportables entre les régions », et productrice de « féodalités sur lesquelles il est impossible de revenir sauf à provoquer la fureur des gardiens du Beau et du Bien », Bachelot a raison de rendre hommage à̀ « l’ensemble des vingt-trois ministres de la Culture qui [l]’ont précédée et dont nos concitoyens ont pour la plupart oublié les noms ». Et aussi de rappeler que, sous l’Ancien Régime, nos monarques qui faisaient de la culture comme M. Jourdain faisait de la prose furent de remarquables impulseurs et mécènes. Les pensions accordées aux artistes ou écrivains boudés ou vieillis n’annonçaient-elles pas le statut des intermittents du spectacle qui faisait dire à une cantatrice québécoise qu’à cet égard, la France était un pays de Cocagne ?
De même, après l’incendie de Notre-Dame de Paris, ne peut-on que féliciter l’égérie des « Grosses têtes » d’avoir repoussé le projet à elle soumis par Brigitte Macron (dont L’Express nous apprend qu’elle « entend elle aussi laisser un bilan ») car « l’Élysée rêvait d’un « geste architectural » fort : à savoir une nouvelle flèche « culminant avec une sorte de sexe érigé, entouré à sa base de boules en or » ! Si ce projet insane avait été adopté, on imagine la stupeur et la consternation des fidèles, les ricanements de l’étranger, mais aussi la satisfaction des islamistes devant les Infidèles se livrant à une telle profanation.
Sus à Bellamy et à Le Pen !
Mais pourquoi faut-il que les décisions et propos de bon sens de l’ex-dame de « Valois » soient obscurcis par ses opinions politiques, que pourrait professer Jack Lang ? L’ancienne RPR déplore ainsi de voir « LR, héritier des différents avatars du parti gaulliste, s’abîmer de plus en plus dans une course effrénée avec la droite extrême, concrétisée par le choix de François-Xavier Bellamy pour conduire la liste du parti aux élections européennes de 2019 ». « Bellamy est certes un homme estimable et intelligent, mais il était frontalement opposé à tous les combats sociétaux que je menais depuis quarante ans. L’adhésion par défaut qui m’avait fait voter Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle de 2017 était alors devenu un choix de conviction », ajoute-t-elle pour légitimer son retournement de veste (rose fluo).
Autre cible, Marine Le Pen dont elle dénonce le « programme culturel liberticide qui veut mettre au pas les artistes, les journalistes et les responsables des structures culturelles. Son admiration sans bornes pour les autocrates corrompus de l’Europe de l’Est doit toujours sonner l’alerte. Ses modèles s’attaquent à la liberté́ de la presse, à la liberté́ de création sans jamais susciter de sa part la moindre condamnation. Derrière une façade de fausse respectabilité́, les élus locaux RN mènent des politiques d’oppression contre la culture. Partout, ses élus dévoilent le visage d’une organisation brutale au service d’un clan qui ne recule devant rien pour conforter son pouvoir. » Philippique d’ailleurs reprise le 9 février sur France Inter, au micro de sa compatriote Léa Salamé, par la Libanaise Rima Abdal Malek, conseillère à la culture de Macron qui l’a propulsée à « Valois » après la formation du gouvernement Borne. A croire, comme l’affirmait Le Monde le même jour, que « la Macronie est tétanisée face à Marine Le Pen » qu’elle considère comme « une présidente de la République en puissance »…
Quand un ministre s’enorgueillit d’aliéner le patrimoine
En revanche, Bachelot n’a qu’éloges pour Serge et Beate Klarsfeld et « [s]on cher Haïm Korsia », le grand rabbin de France, qui lui prêta un bras secourable lors « d’un pèlerinage mémoriel tragique à Auschwitz-Birkenau » où, bouleversée par « les vestiges entassés, cheveux, chaussures, valises, les photos avec ces visages souriants d’enfants assassinés » et « les fantômes des pauvres hères » dont les « yeux creux [la] scrutent », elle accompagne le Premier ministre Castex et ses collègues Emmanuelle Wargon et Clément Beaune. « Personne ne peut nier que l’antisémitisme est un fléau criminel qui a miné toute l’Europe depuis l’Antiquité́ gréco-romaine », assène-t-elle.
Pourquoi attaquer la seule Antiquité gréco-romaine ? La très cultivée Roselyne, ancienne du collège La Retraite-Sacré-Cœur à Angers, ignore-t-elle que c’est la persécution des Juifs par un pharaon égyptien au IIe millénaire avant notre ère, donc des siècles avant l’Iliade chantée par Homère, que relate L’Exode, deuxième livre de la Bible ? Mais il lui faut sans doute justifier le grand œuvre de sa mandature : la loi du 21 février 2022 abolissant le principe d’inaliénabilité́ des œuvres détenues par les musées publics français et permettant donc la restitution desdites œuvres « pillées pendant la colonisation » et surtout des biens juifs saisis et même vendus par leurs propriétaires sous l’Occupation. Cas de Rosiers sous les arbres, « seul tableau de Gustav Klimt détenu dans une institution publique française, le musée d’Orsay », qui l’avait d’ailleurs « acheté en toute bonne foi à la galerie Nathan de Genève ».
Covid : Roselyne pas coupable mais en partie responsable
Comment Jack Lang aurait-il géré son ministère pendant la crise du Covid dont la gestion erratique entraîna entre autres l’interminable fermeture des lieux de culture ? Docteur en pharmacie, Bachelot défend pied à pied son bilan et s’insurge (avec retard) contre la « tyrannie sanitaire », rappelant avec fierté que, ministre de la Santé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, elle avait commandé des millions de masques, ceux qui manquèrent si cruellement quand le Covid pointa son nez, ce qui provoqua une paralysie générale. Mais elle oublie de mentionner que, ministre de la Santé, c’est elle aussi qui défendit la loi du 22 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital. En donnant une autorité souveraine aux Agences nationale et régionales de santé et en réduisant drastiquement le nombre des lits d’hôpitaux et donc de soignants, cette loi eut les conséquences qu’on sait : la pénurie de lits et de personnel qui s’ensuivit contribua au premier chef au désastre de 2020-2021, dont notre pays ne s’est toujours pas remis.
« Valois » est décidément un repaire de démolisseurs et d’imposteurs.
Camille Galic
11/02/2023
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