Rétablir la liberté d’expression, XXXe Université annuelle du Club de l’Horloge les 15 et 16 novembre 2014. Texte n°2 : Introduction : la superclasse mondiale contre les libertés, par Jacques Violette, politologue.
« La liberté personnelle est une composante fondatrice de l’identité européenne qui distingue notre civilisation » a rappelé d’emblée Jacques Violette. Le terme « franc » signifie libre au sens où l’individu n’a pas à acquitter de tribut à un suzerain : il n’est pas un vassal. Mais, dans le monde occidental actuel, si le thème de la liberté d’expression est une référence omniprésente, l’invocation dissimule, en fait, une « réduction continue de nos libertés réelles ». Car la liberté d’expression « suppose de pouvoir exprimer des opinions contraires à celle de la majorité et des pouvoirs établis ». Elle est « l’un des critères qui distinguent la démocratie de la dictature ».
Les restrictions croissantes apportées à la liberté d’expression tiennent à un ensemble d’entraves qui interagissent. Ces restrictions, par leur ampleur, touchent à d’autres libertés fondamentales. Elles s’expliquent par certaines singularités de la société actuelle. Echapper à ce mouvement mortifère, voulu par l’oligarchie, requiert le rétablissement de libertés essentielles pour le citoyen et l’individu.
1. Les entraves à la liberté d’expression
La multiplication des contraintes borne sans cesse la liberté d’expression. Elle se trouve ainsi réduite par :
- le pouvoir médiatique, « devenu un instrument pour formater l’opinion »,
- la tyrannie du politiquement correct « qui impose partout ses tabous idéologiques »,
- les lois mémorielles qui obligent à « une vérité historique officielle absolue »,
- l’inflation répressive contre la liberté de parole qui « au prétexte de préserver les droits de telle ou telle minorité agissante, dresse en permanence de nouvelles barrières contre l’expression publique, voire privée »,
- les ligues de vertu et les groupes d’extrême gauche « qui organisent une terreur idéologique permanente ».
Comme toute idéologie s’estimant porteuse de la vérité et célébrant la liberté, la pensée dominante pratique la censure au nom du principe « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». « Les censeurs ne supportent pas la contradiction ». Selon l’habitude, cette prohibition touche d’abord les marges en mettant en exergue des propos et des comportements qui se situent aux limites comme ce fut le cas de Dieudonné.
Dans le monde présent, Internet représente le moyen privilégié de diffusion des idées et des opinions qui s’opposent au conformisme ambiant. Le contrôle de la « Toile » et des réseaux sociaux devient ainsi un enjeu essentiel. Pour éviter de heurter par sa flagrance, il chemine de manière subreptice. Ainsi, la lutte contre les « agissements des pédophiles » ou contre le terrorisme est aisément justifiable. Puis, l’interdit vise l’insulte et la haine au travers, d’abord, des propos antisémites ou des « thèses révisionnistes ». Comme le domaine ouvre la voie au subjectif, l’extension de ce registre sera alors possible.
2. L’atteinte à d’autres libertés fondamentales
Les restrictions apportées à la liberté d’expression s’inscrivent dans un mouvement plus large affectant des libertés essentielles, à savoir :
- la liberté de choisir ses lois du fait, d’une part de l’Union européenne qui impose la transcription de ses directives dans la législation des États membres (les traités internationaux priment la législation nationale aux termes de l’article 55 de la Constitution de la Vème République) et, d’autre part du basculement de l’État légal à l’État de droit qui conduit au gouvernement des juges, (« aujourd’hui ce sont les juges, les banquiers qui sont souverains et non plus les législateurs ni les États ») ; les peuples européens vivent ainsi « sous un régime de souveraineté populaire limitée et donc de liberté limitée puisque la souveraineté est le mot pour dire liberté des États » ;
- la liberté monétaire, c’est-à-dire la libre disposition de sa propriété est contrainte à la fois par les différentes mesures contrôlant et restreignant l’usage de la liquidité et par le montant des prélèvements fiscaux en augmentation continuelle ;
- la liberté de rester soi-même, c’est-à-dire la liberté de choisir et de préférer ; la multiplication des cas de discrimination susceptibles de poursuites judiciaires limitent sans cesse l’exercice de cette liberté ; par ailleurs, l’Union européenne en prohibant tous les obstacles à la libre circulation des biens et des personnes, considéré comme une discrimination, a fait prévaloir « le néo-libéralisme cosmopolite » ;
- le secret de la correspondance et de la vie privée, atteint dans sa forme présente par les dispositifs de contrôle des communications électroniques et téléphoniques mis au point par les agences d’espionnage américaines, et les rapprochements entre différents répertoires électroniques nationaux (« interconnexion des fichiers sociaux et fiscaux ») ; sans oublier toutes les obligations et les recommandations insistantes imposées aux citoyens (lutte « contre le tabagisme » ou la pollution, les précautions alimentaires…) ;
- la liberté d’accès limitée par différents contrôles et entraves qui, touchant à la libre circulation (multiplication des badges d’entrée et autres réserves, constituent en réalité autant de passeports intérieurs) ; sans compter l’introduction de « dispositifs discriminatoires » ou « discriminations positives » visant à favoriser la promotion des femmes ou des minorités ;
- la liberté de rire et de se moquer dont les limites sont illustrées par l’affaire Dieudonné quoique l’on puisse penser de ses propos ou par la sanction dont le député Julien Aubert a fait l’objet pour s’être adressé au président de séance à l’Assemblée nationale, une femme, en l’occurrence, en la nommant « Mme le Président » ce qui est strictement conforme à l’usage de la langue française.
On pourrait en étendre la liste dans la mesure où d’autres motifs ont représenté autant de prétextes à restreindre les libertés (sécurité, santé, écologie…).
Mais le plus important est la méthode suivie qui ne découle pas d’un « centre de décision unique » mais d’un « processus continu et progressif qui a pour effet de neutraliser toute réaction du corps social ».
3. Les causes du mouvement de réduction des libertés
La tendance constatée trouve son origine dans trois causes, principalement :
- une identité de plus en plus menacée,
- un gauchisme culturel qui a perverti la conception européenne de la liberté,
- des sociétés passées de la démocratie à la « post-démocratie ».
3.1 Une identité de plus en plus menacée
Comme il a été rappelé en introduction, la liberté personnelle est une caractéristique de l’identité européenne. Or celle-ci est mise en péril par l’immigration de peuplement. Cette immigration est porteuse, particulièrement l’islam, d’autres cultures aux conceptions différentes voire opposées. Par exemple, « l’islam ignore la distinction essentielle pour nous entre le spirituel et le temporel », « la culture africaine attribue un rôle dominant à la parenté et à l’ethnie » et « dans la culture chinoise, l’autorité, la tradition et la famille l’emportent sur l’individu ».
Au sein même du monde occidental, « une oligarchie cosmopolite qui cultive le mépris de l’exception française » érige les valeurs anglo-saxonnes en un modèle indépassable. Or ce modèle est avant tout hostile à l’État, à l’encontre de la tradition française.
3.2 Le gauchisme culturel a perverti la conception européenne de la liberté
Dans la tradition européenne, issue de la pensée grecque la liberté se rapporte à la souveraineté sous un double aspect de « souveraineté personnelle » que l’on pourrait définir comme « l’empire intérieur » et de « souveraineté collective », elle-même inséparable de la première comme la liberté de la cité ou de la nation.
De ce point de vue, la liberté se mérite. Elle relève de la vertu.
Or cet héritage a été successivement subverti par les Encyclopédistes du XVIIIème siècle et, deux siècles plus tard, par le gauchisme culturel né dans les années soixante.
3.2.1 La rupture imprimée par les Encyclopédistes
« Les encyclopédistes font de la liberté un état de nature, et non plus un état politique ». Cette approche entraîne deux conséquences : l’homme est apparu avant toutes les sociétés politiques ; la liberté est un attribut donc un droit individuel. Il devient ainsi « un créancier de l’ordre social ».
Les effets de cette vision révolutionnaire ont été pondérés par deux éléments :
- les droits de l’homme ne sont alors que des droits politiques limités (liberté, propriété, sûreté…) et la Révolution française s’est référée « à l’ancienne conception de la liberté comme souveraineté, en introduisant les notions de citoyenneté, de devoir et de vertu par référence à l’Antiquité » ;
- l’Europe du XIXème siècle a été marquée par une persistance de la tradition parallèlement à l’éclosion des philosophies holistes (socialisme, nationalisme).
3.2.2 Le gauchisme culturel de la seconde moitié du XXème siècle
Il a pour fondement un culte sans borne de l’ego. Individuellement, il conduit à la déformation des personnalités et collectivement, au chaos social.
Le gauchisme culturel, culte de l’ego
Le gauchisme culturel a inversé l’idée de liberté, en la rapportant non plus à un état politique mais en la transformant en une rébellion de l’ego contre les disciplines sociales. Comme l’indique, notamment, Christopher Lasch, « il s’agit de la révolution du narcissisme ».
L’homme s’affranchit ainsi « de la compagnie de l’Autre » pour s’affirmer dans un univers où Dieu est mort. Il verse dans un nihilisme nietzschéen en repoussant toutes les limites dans la mesure où il prétend même se libérer de sa nature comme le montre la théorie du genre.
Il en découle une « sorte de théologie de la libération » qui, marquant le « triomphe de l’ego », s’impose en fin de compte contre tout intérêt collectif. Cette théologie « a les juges comme clergé et les associations bien-pensantes comme laïcs ». Elle se traduit par l’addition continuelle « de droits accordés aux citoyens ».
À l’analyse, il apparaît que ces droits ne représentent pas les libertés réelles mais « au contraire des commandements narcissiques imposés à autrui ».
Le gauchisme culturel concourt à la « déstructuration » des personnalités.
Le gauchisme culturel pratique l’inversion des valeurs, par exemple, le délinquant devient une victime et il corrompt le cadre éducatif nécessaire à la construction de la personnalité de l’enfant qui doit être traité comme un adulte afin que le développement de sa personnalité ne soit pas bloqué.
L’observation d’un ensemble de phénomènes tend à montrer les effets délétères sur les personnalités de cette idéologie :
-
- une baisse sensible de la capacité d’attention et de concentration ;
- une « augmentation de la violence et de la turbulence à l’école » ;
- une partie des jeunes « inemployables à la sortie du système éducatif » ;
- le développement des familles monoparentales ;
- l’effondrement de la natalité ;
- l’augmentation des dépressions.
Au-delà de la seule recherche « d’une libération narcissique », l’affranchissement des mœurs au travers de la libération sexuelle et de la consommation de drogues sert de soupape par rapport à un processus d’abandon de la souveraineté nationale et à une économie déréglementée dans laquelle s’est développé le chômage de masse.
« L’homme libéré » est ainsi devenu un « homme frustré » qui, en fait, ne « dispose plus de la liberté de résister à ses passions ».
Le gauchisme culturel provoque l’extension du chaos social.
« La subjectivité individuelle » étant devenue « la mesure de toute chose », aucun ordre social pas plus qu’une morale collective ne deviennent possibles. S’instaure, alors, « le règne de la foule solitaire », marqué par « la concurrence des egos » avec, comme conséquence, le conflit permanent entre les individus. « La revendication incessante de droits de créance et le heurt des egos » vont de pair avec la multiplication des interdits.
Dans ces conditions, la répression devient, l’une des bases du fonctionnement social. L’extension de la population carcérale aux États-Unis en est une illustration.
Il n’en reste pas moins vrai que ce chaos social grandissant ne représente pas un mouvement autonome dans sa dynamique, il répond, en fait, à un projet de l’oligarchie qui y trouve ainsi le moyen d’asseoir son pouvoir.
3.2.3 Un repli des libertés, conséquence d’une mutation politique de la démocratie à la « post-démocratie »
L’École de Chicago, cet école monétariste dont la figure emblématique est Milton Friedman, qui inspira le nouveau paradigme économique néo-libéral des années soixante-dix, est à l’origine du « découplage » entre le libéralisme politique et le libéralisme économique, caractéristique de la « post-démocratie ».
La « post-démocratie » a ses sources théoriques dans « l’esprit des encyclopédistes » qui vantaient le recours à la coercition afin d’accéder à la vraie liberté et surmonter « la superstition ». Par cette « liberté imposée », véritable « contradiction dans les termes », les encyclopédistes avaient « la prétention de faire le bien des gens malgré eux ».
Suivant cet héritage, la « post-démocratie » instaure un totalitarisme « mou » bâti sur « un fonctionnement oligarchique destiné à supprimer toute alternative politique au système qu’elle prétend mettre en place ». Cela suppose de mettre à bas la souveraineté des États afin de soumettre les peuples. C’est ainsi qu’elle agit à deux niveaux, métapolitique et politique, pour la réalisation de son dessein.
À l’échelon métapolitique, au « gouvernement des hommes », suspecté d’engendrer l’abus du pouvoir, la « post-démocratie » privilégie le « gouvernement des choses » : « le libre jeu des intérêts individuels sur un marché libre » étant, par évidence, neutre relativement au choix des individus.
Au rang politique, l’élection n’a plus pour objet la désignation d’un législateur, « mais la capacité de donner l’onction démocratique apparente à une oligarchie cooptée par l’appareil médiatique, lui-même au service des oligarchies économiques et financières ».
Tout cela démontre que les restrictions apportées à la liberté d’expression ne relèvent pas de simples vicissitudes mais représentent « un des éléments fondateurs du projet post-démocratique ». C’est ainsi que les opinions dissidentes doivent ainsi être bridées, notamment en les discréditant par assimilation à des troubles médicaux (les « phobies ») ou en les pénalisant. Un nouvel ordre moral est, de cette façon, mis en place.
Cette ligne « post-démocratique » est appliquée dans toute l’Europe depuis les années quatre-vingt. Elle se traduit par la réduction du pouvoir des États au sein de l’économie qui perdent le contrôle de leur monnaie, voient disparaître leurs frontières et subissent « une explosion migratoire ». La population n’a senti aucun des bienfaits promis.
Au final, « le règne de la libération narcissique et sans limite a fait perdre le sens de la liberté réelle ». « Le Jouissons sans contrainte des soixante-huitards a été récupéré par le Système économique pour devenir le Consommons sans limite ».
Loin d’être libre, l’individu déraciné n’est que « le jouet de forces qui le dépassent et devient seulement une ressource humaine que le chaos économique et social a rendu docile, au service de l’oligarchie ». Cette oligarchie, propagatrice du gauchisme culturel use du chaos pour ébranler les États souverains et déstabiliser les peuples, leur imposant, à leur encontre, « des transformations radicales ». De surcroît, elle « pousse à l’immigration de peuplement à la fois par cosmopolitisme et par intérêt économique ».
Pour résister à ce qui constitue une oppression, trois libertés essentielles doivent être rétablies :
- « les droits et les devoirs de la citoyenneté »
- « la souveraineté de la nation »
- « la maîtrise de soi »
Pour cela, « une profonde révolution intellectuelle et morale est nécessaire » pour affronter le Système oligarchique. La fin du cycle libertaire rend possible cette révolution du fait « de la dissonance cognitive majeure entre le discours sur la libération (Jouissons sans contraintes) et la réalité de la coercition post-démocratique ».
Jacques Violette