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Interdit de rire. L’affaire Dieudonné vue par ses avocats, de David De Stefano et Sanjay Mirabeau

Interdit de rire. L’affaire Dieudonné vue par ses avocats, de David De Stefano et Sanjay Mirabeau

par | 21 décembre 2014 | Médiathèque

Interdit de rire. L’affaire Dieudonné vue par ses avocats, de David De Stefano et Sanjay Mirabeau

La police de la pensée n’en finit pas d’exercer ses ravages sur la France, et l’actualité quotidienne nous montre à quel point le Club de l’Horloge a eu raison de consacrer, en novembre dernier, sa XXXe Université annuelle au thème « Rétablir la liberté d’expression ».

La liberté d’expression bafouée, de A(nelka) à Z(emmour)

Dès le mois de mai, j’appelais l’attention sur la gravité du sujet, à l’occasion de la parution d’un fort intéressant ouvrage de Jean Bricmont, La République des censeurs. L’auteur y relatait les atteintes successives portées en France à cette liberté fondamentale, à travers la législation, de loi Pleven en loi Gayssot, Perben ou Taubira, mais aussi à travers d’iniques décisions jurisprudentielles, doctrinales ou réglementaires. Il achevait son panorama historique par « l’affaire Dieudonné », qui était alors toute récente.

Si l’affaire Dieudonné a quitté – provisoirement ? – la une des quotidiens et les heures de grande audience télévisuelles et radiophoniques, la campagne médiatique contre Éric Zemmour connaît de multiples rebondissements, depuis la parution en octobre de son Suicide français, tant cet ouvrage a eu le malheur de mettre le doigt « là où ça fait mal ».

Dernier épisode en date : un entretien accordé par Éric Zemmour à un journaliste du quotidien italien Corriere della Sera, le 29 octobre. Les propos incriminés sont, d’après les relations qui en sont faites sur les sites de presse les plus courants, les suivants :

« Nous sommes le pays avec la première communauté musulmane d’Europe (…) Les musulmans ont leur propre code civil, à savoir le Coran. Ils vivent entre eux, en périphérie. Les Français sont contraints de s’en aller. »

Le journaliste lui demandant ce qu’il propose pour porter remède à ce problème, Éric Zemmour aurait répondu qu’une « déportation » des cinq millions de musulmans de France serait « irréaliste », mais que :

« l’histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 qu’un million de pieds-noirs quitteraient l’Algérie pour rentrer en France vingt ans plus tard ? Ou qu’après la guerre, cinq ou six millions d’Allemands quitteraient l’Europe centrale où ils vivaient depuis des siècles? »

Il enchaîne ensuite :

« Je pense que nous allons vers le chaos. Cette situation d’un peuple dans le peuple, de musulmans à l’intérieur des Français, mènera au chaos et à la guerre civile. Des millions de personnes vivent ici, en France, et ne veulent pas vivre à la française. »

Vivre à la française, c’est « donner à ses fils des noms français, être monogame, s’habiller à la française, manger à la française, du fromage par exemple. Plaisanter aux terrasses des cafés ou faire la cour aux jeunes filles ». Et de conclure : « Je ne me place pas sur le terrain des partis, ma dimension est celle des idées. Je conduis une guerre culturelle, comme Gramsci. »

C’est le terme « déportation » qui a servi de catalyseur à la nouvelle campagne qui touche le polémiste. Et pourtant, ce mot n’a pas été prononcé lors de l’interview au Corriere della sera. Selon le site de La Libre Belgique, « le journaliste, auteur de l’article, a lui-même avoué qu’il avait utilisé ce terme lourd de sens pour résumer (sic) le propos de Zemmour sur l’idée d’un départ des 5 millions de musulmans de France. »

Mais peu importe la vérité, tous les prétextes sont bons dès qu’il s’agit de museler Éric Zemmour, qui soit dit en passant ne s’est pas beaucoup aidé en prenant, dans le même entretien, ses distances vis-à-vis du FN, qu’il a jugé « trop à gauche » sur le plan social et pas assez engagé contre le mariage homosexuel…

La première salve viendra de Jean-Luc Mélenchon, toujours avide de figurer sur les estrades, mais qui attendra tout de même le 15 décembre pour condamner les propos zemmouriens, soit un mois et demi après l’entretien. Bien évidemment, toute la sphère médiatique va s’empresser de relayer cette vertueuse indignation.

Et la mécanique bien huilée va en quelques jours se mettre en place, selon le processus que l’on avait pu observer à loisir pour Anelka et sa « quenelle » et pour Dieudonné et son spectacle de Nantes. Elle va se développer dans plusieurs directions, dont les protagonistes ne jouent à aucun moment leur rôle à contre-emploi.

La première orientation débouche sur une « Lettre ouverte au président du CSA » du 18 décembre. Ce document est un morceau d’anthologie. En voici la teneur, telle qu’elle figure sur le site du Huffington Post (*) (les extraits en gras sont de Polémia) :

« Monsieur le Président,

« Nous vous écrivons cette lettre collective afin de porter à votre attention une requête.

« Les missions du CSA incluent notamment le respect que ne soient pas diffusés des messages de haine dans les médias audiovisuels pour incitation à la discrimination raciale. Or, nous constatons, comme téléspectateurs ou/et auditeurs, qu’aujourd’hui en France un personnage à l’idéologie ouvertement raciste et anti-égalitaire peut répandre ses thèses dans un grand nombre de médias audiovisuels sans que cela ne semble émouvoir outre mesure.

« Ce personnage, c’est M. Éric Zemmour. Après s’être présenté comme un analyste impertinent de la société française, ce personnage a évolué vers la délivrance de plus en plus affirmée de paroles de stigmatisation envers les immigrés et leurs enfants, avec une mention toute particulière pour les musulmans. Ces propos lui valurent d’ailleurs d’être condamné par la justice de notre pays en 2011.

« Ces derniers mois auront vu ce même personnage bénéficier d’une exceptionnelle promotion radiophonique et télévisuelle d’un ouvrage dont les thèses consistaient à imputer les maux de notre pays aux immigrés, à leurs enfants, aux homosexuels et aux femmes.

« Enfin, et même si cela n’a pas été exprimé sur des ondes françaises, ce même personnage, à l’occasion d’une interview donnée le 29 octobre de cette année au quotidien italien, le Corriere della sera, a tenu des propos relayés dans les médias français, laissant très clairement penser qu’il était favorable à l’expulsion de plusieurs millions de personnes en raison de leur appartenance religieuse (en l’occurrence, l’appartenance à la religion musulmane, dont découleraient des comportements d’oppression et de sédition).

« Nous précisons en outre ce qui ne vous aura sans doute pas échappé, à savoir que le fait d’être musulman semble chez Éric Zemmour se révéler incompatible avec la qualité de Français.

« La très large exposition médiatique de ce personnage est déjà en soi inquiétante tant elle permet de propager des idées qui visent de plus en plus clairement à susciter la haine de nos concitoyens envers une partie de la population. Mais elle l’est encore un peu plus au regard de la position particulière qu’il occupe dans plusieurs médias dont il peut se prévaloir de la légitimité en tant que collaborateur régulier.

« C’est pourquoi nous vous demandons d’user de vos prérogatives afin de faire cesser cette diffusion de la haine sur les médias français.

« Dans l’attente d’une réponse de votre part, nous vous prions, Monsieur le Président, … »

 Cette lettre ouverte rassemble une quarantaine de signataires (*), dont la plupart sont d’illustres inconnus (allant du « spécialiste de l’islam » au « citoyen engagé ») ou des représentants d’improbables associations dont, comme on le disait à une époque du Parti radical, l’assemblée générale doit pouvoir se tenir dans une cabine téléphonique. Mais figure en tête de liste tout le « Gotha » de la bien-pensance :

  • SOS Racisme, l’UEJF, le CRAN, la FIDL, Terra nova, SOS Homophobie, France Terre d’asile, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé), etc. ;
  • des élus « issus de la diversité » ;
  • les « artistes » de service (Josiane Balasko, Yvan Attal, Michel Boujenah, …) ;
  • et, bien sûr, l’incontournable Pierre Bergé, sobrement qualifié d’« entrepreneur » !

En second lieu, parallèlement à ces actions d’intimidation tendant à priver Zemmour de sa liberté de s’exprimer dans les médias – et qui semblent au moins en partie porter leurs fruits puisque la chaîne iTélé a annoncé le 20 décembre qu’elle mettait fin à sa collaboration avec le chroniqueur – plusieurs des associations citées ci-dessus (SOS-Racisme, le CRAN) ainsi que la LICRA ont annoncé leur intention de déposer plainte pour incitation à la haine raciale. L’Express signalait également que « l’entretien au Corriere a provoqué l’indignation de l’Observatoire national contre l’islamophobie, qui dépend du Conseil français du culte musulman (CFCM), l’instance représentative de l’islam de France. »

Enfin, on notera l’implication du pouvoir socialiste dans cette nouvelle « affaire Zemmour ». Le patron du groupe PS à l’Assemblée nationale Bruno Le Roux a appelé dans un communiqué à faire « cesser les propos » d’Éric Zemmour sur les plateaux télé et dans les colonnes de journaux. Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a condamné « avec une extrême fermeté » les propos de Zemmour sur les musulmans de France, qu’il a jugés « odieusement attaqués ». Ce n’est certes pas une surprise alors que François Hollande, qui dit vouloir reconquérir une opinion publique – et des électeurs – qui lui font quelque peu défaut, commence sa « Reconquista à rebours » par les cités des banlieues…

La « nef des fous » du « doux totalitarisme » prend l’eau

Au moment où se déroulent ces grandes manœuvres de la police de la pensée, un ouvrage vient de paraître, qui nous rappelle fort opportunément dans quelles conditions se déroulent les nouveaux procès en sorcellerie. Intitulé Interdit de rire, il s’agit d’une narration des épisodes de l’affaire Dieudonné de début 2013 par les avocats de l’humoriste.

Le lecteur trouvera probablement que les arguments exposés ne sont pas toujours empreints d’une totale bonne foi, encore qu’il n’y ait rien d’anormal à ce que des avocats utilisent des arguments de prétoire… Mais l’intérêt principal du livre n’est pas dans la plaidoirie : il est de montrer par le menu les enchaînements et les complicités qui se sont mis en œuvre dans cette affaire – collusion des médias et du politique, action des associations, acharnement tous azimuts, interprétations fallacieuses des propos écrits ou verbaux, sectarisme des magistrats, parti pris du Conseil d’État, etc. – et qui sont transposables mutatis mutandis à toutes les formes d’entrave à la liberté d’opinion et d’expression.

Le livre de Maîtres De Stefano et Mirabeau n’égale pas en profondeur les analyses de Jean Bricmont, ou celles qui ont été présentées au Club de l’Horloge, mais c’est le point de vue de praticiens qui voient bien où nous conduit la prolifération des lois « mémorielles », et plus généralement celle des textes qui veulent restreindre la liberté d’expression.

Et nos auteurs de proposer, pour en sortir, « la loi Gayssot pour tous », qui consisterait à rédiger son article 9 comme suit :

« Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou de plusieurs crimes contre l’humanité, d’un ou plusieurs génocides, d’un ou plusieurs massacres. »

Ce qui permettrait enfin de « nous ouvrir au souvenir des autres crimes contre l’humanité encore ignorés par la loi française », des massacres de la Saint-Barthélemy à ceux de la Terreur de 1792, et de ceux des aborigènes d’Australie à ceux des Tibétains ! Nos deux avocats montrent ainsi que leur sens de l’humour ne cède en rien à celui de leur client.

Mais revenons au sujet de fond, qui est celui de la liberté d’expression. La situation de la France à cet égard paraît peu enviable. Pourtant, il y a à tirer de l’affaire Dieudonné comme de l’affaire Zemmour des leçons d’optimisme plus que des craintes pour l’avenir, et ce pour plusieurs raisons :

  • Tout d’abord, ces affaires illustrent la fracture béante entre l’opinion majoritaire et les apôtres de la pensée dominante. De ce point de vue, le surcroît d’activisme débridé des associations, des pouvoirs publics et des médias est un aveu de faiblesse plus que de puissance. A l’évidence, la « nef des fous » du « doux totalitarisme » prend l’eau de toute part, et ceux qui sont à bord se rendent compte que leur discours ne prend plus. Il n’est d’ailleurs pour s’en convaincre que de lire les commentaires à propos de la conduite à tenir vis-à-vis d’Éric Zemmour. A côté des porte-voix institutionnels du « tout-répressif », des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour mettre l’accent sur les conséquences contre-productives des politiques de « victimisation ». Il est de fait que la « chasse au Dieudonné ou au Zemmour » n’a pas empêché le polémiste et l’humoriste d’avoir qui des lecteurs, qui des spectateurs, et probablement plus que s’ils n’avaient pas été cloués au pilori de la bien-pensance. D’autres voix vont droit au but et profitent de ces occasions pour prendre la défense de la liberté publique fondamentale qu’est la liberté d’expression : il en va ainsi de l’avocat Me Gilles-William Goldnadel qui affirme que c’est à la justice de trancher et que « ce n’est pas à SOS Racisme de décider qui doit passer à la télévision, qui ne doit pas passer ». Dans un registre probablement non dépourvu d’arrière-pensées de politique politicienne, Claude Goasguen, député UMP de Paris, déclare, parlant de Zemmour : « Il est très important de garantir sa liberté d’expression… Bruno Le Roux devrait se taireNous sommes une démocratie, pas un État socialiste. »
  • En second lieu, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour constater qu’à l’ère du multimédia, où l’information circule de plus en plus vite, les marins embarqués sur la « nef des fous » en sont réduits à écoper avec une louche les vagues du grand dessinateur japonais Hokusai. C’est d’ailleurs ce que font remarquer certains des participants aux débats de ces derniers jours. FranceTVInfo remarque ainsi que :

« (…) dans tous les cas, le CSA, qui a été saisi à plusieurs reprises, n’a d’autorité que sur les médias audiovisuels, soit la télévision et la radio. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel n’a donc pas de prise sur la presse écrite ou encore les sites internet. Même si Éric Zemmour était privé d’antenne, le polémiste aurait toujours la possibilité d’être invité dans d’autres médias. Par ailleurs, à l’instar de Dieudonné, Éric Zemmour pourrait très bien choisir d’enregistrer ses propres vidéos. En les postant sur des plateformes comme YouTube, le polémiste s’assurerait encore de toucher un large public. »

Les partisans de la restriction de la liberté d’expression sont ici dans l’impasse, sauf à préconiser des mesures tellement drastiques qu’elles apparaîtraient aussitôt comme dignes de la Corée du Nord de Kim-Jong-Il ou de l’Union soviétique sous Staline !

  • Enfin, et accessoirement, il ne faut pas perdre de vue que le complexe médiatique, même s’il est acquis à l’idéologie dominante, est en dernier ressort tributaire des recettes publicitaires, et que dans la logique d’un système marchand reposant sur la maximisation des profits, ces recettes vont là où vont les fortes audiences et les meilleures ventes. Si les ouvrages d’Éric Zemmour se vendent mieux que ceux de SOS Racisme – à supposer que ces derniers existent ! – et si les spectacles de Dieudonné attirent plus de monde que les pièces de Bernard-Henri Lévy, gageons que les annonceurs, pour acquis qu’ils soient, eux aussi, à l’utopie égalitaire et au cosmopolitisme, finiront par faire prévaloir leur intérêt économique bien compris sur leur appétence pour les sujets « sociétaux ».

Interdire de match, interdire de scène, interdire d’antenne : ceux qui mènent ce combat douteux seront vaincus tôt ou tard.

Bernard Mazin
20/12/2014

David De Stefano et Sanjay Mirabeau, Interdit de rire. L’affaire Dieudonné par ses avocats, Éd. Xenia, décembre 2014, 155 pages.

Note

(*) La liste complète des signataires, qui mérite le détour, peut être consultée sur le site du Huffington Post.

Notes de la rédaction

Bernard Mazin

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