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Impasse Gramsci. Quelques réflexions sur notre incapacité politique

Impasse Gramsci. Quelques réflexions sur notre incapacité politique
Impasse Gramsci. Quelques réflexions sur notre incapacité politique

La vague d’attentats islamistes et la conflictualité croissante des sociétés européennes valident amplement les thèses identitaires : la société multiculturelle génère des tensions et des fractures qui en menacent les fondements mêmes. Toutefois, cette victoire intellectuelle ne semble pas se concrétiser en victoire politique : les mouvements patriotes ou identitaires peinent à franchir les derniers pas qui les séparent du pouvoir, tandis que la majorité qui les soutient demeure désespérément silencieuse. La victoire des idées restera vaine si elle n’est pas prolongée par une véritable stratégie de prise du pouvoir.

Ces dernières semaines ont été marquées par un de ces puissants mouvements qui voient l’Histoire s’accélérer, ou plus exactement aboutir, se réaliser après une lente fermentation que seuls les observateurs les plus sensibles ont pu percevoir. Comme en physique, l’accumulation des forces est lente, mais leur libération brutale. Nous voilà donc au moment de la détonation majeure, de la secousse du « grand magma islamique » (Ortega y Gasset) qui annonce le « Grand Djihad » global de Dantec. Le point de convergence est atteint, où les forces souterraines émergent, se rencontrent et se dévoilent. La gnose des Droits de l’Homme, progressiste et égalitaire, ne saurait survivre bien longtemps à ce dévoilement inouï des lignes de fracture qui traversent les sociétés occidentales. Dévoilement se dit en grec « Apocalypse », qui peut aussi signifier « Révélation ».

La vague djihadiste. L’amer triomphe des thèses identitaires

Plus personne ne se moque des oiseaux de mauvais augure. Le thème de la guerre civile – l’actualité littéraire et intellectuelle le montre – est devenue un topos, alors que son évocation vous faisait encore passer pour un aliéné à fortes tendances schizophréniques il y a quelques années. Cassandre est enfin crue, et la bataille est gagnée au plan intellectuel : la promotion de la « diversité » ne se fait plus que sur un mode défensif (l’anti-racisme agressif et accusatoire) et avec des arguments pragmatiques (il faut prendre acte du fait accompli). En revanche, l’idéal multikulti a cessé d’en être un ; il a perdu toute positivité et ne se décline plus sur le mode de l’utopie. Dans la décennie à venir, aucun homme politique européen ne remportera une élection nationale sur un projet d’immigration débridée et de multiculturalisme (mais localement, dans les grandes métropoles apatrides, c’est le contraire qui commence et qui va se généraliser d’ici là).

Voilà qui ne peut que réjouir un camp patriote acquis aux thèses gramscistes. Nous assistons cependant à un net démenti de celles-ci dans les faits : alors que le mouvement de fond nous est largement favorable, aucune traduction concrète ne vient accorder la gestion des affaires publiques au sentiment majoritaire, de plus en plus conservateur, identitaire et sécuritaire. La faute, peut-être, à une trahison des élites et à un système parlementaire insuffisamment représentatif. Mais l’explication est insuffisante : l’expérience nous montre que les élites sont prêtes, pour conserver le pouvoir, à toutes les contorsions idéologiques. Mais alors, que ne le font-elles pas ? Pourquoi nos dirigeants persistent-ils dans leur autisme ?

Cette question doit en réalité être retournée : plutôt que d’accuser nos élites de nous ignorer, demandons-nous plutôt ce que nous ne faisons pas pour les contraindre à nous suivre. Ne croyant guère au hasard, je verrais volontiers dans l’affaire Adama Traoré un contrepoint providentiel qui éclaire la profondeur de nos incapacités. Alors que la cause défendue par le mouvement « Justice pour Adama » était manifestement illégitime (l’autopsie est très claire), un groupe constitué de jeunes afro-musulmans encadré par l’ultra-gauche a réussi à tenir la dragée haute à l’État, mobilisant des forces de l’ordre pourtant déjà très sollicitées en ce moment. Bilan : à l’avenir, tout sera fait pour éviter les « bavures » en banlieue, et de nouvelles concessions seront bientôt faites aux « quartiers » (impunité accrue, subventions diverses etc) pour éviter la jonction explosive, mais à terme inévitable, entre terrorisme et émeutes de type 2005.

Un peuple en miettes, une civilisation désarticulée. Les raisons de notre impuissance

Pourquoi une telle efficacité ? L’explication tient à la fois aux modalités d’action – la violence – et à la sociologie de ce mouvement – une population jeune, nombreuse, regroupée et solidaire – tout autant qu’aux considérations idéologiques – sentiment d’appartenance à fondement identitaire, objectifs clairement définis. On voit donc apparaître en négatif tout ce qui explique l’apathie des Européens.

Il y a d’abord chez nous une incapacité presque atavique à la violence, même verbale et symbolique. On pourrait se réjouir de ce fait de civilisation s’il était compensé par le maintien d’un instinct de survie défensif, permettant de conserver un « horizon de guerre » (D. Venner) au sein d’un monde d’où la conflictualité ne saurait être définitivement expurgée. Sans rentrer dans les détails (d’autres l’ont déjà fait, et mieux que je ne le pourrais), cette incapacité tient au déploiement intégral de la logique moderne, le triptyque rationalisme – individualisme – universalisme qui empêche de voir des ennemis, surtout s’ils sont collectifs. En effet, un mouvement à fondement religieux est forcément « irrationnel » (il ne faut donc pas la prendre au sérieux) et l’adhésion d’individus à celui-ci est forcément d’essence mythologique (au lieu de combattre, il faut déconstruire, éduquer, favoriser l’insertion sociale individuelle) ; on comprend dès lors combien il est difficile aux modernes-malgré-nous que nous sommes de légitimer l’usage, même tempéré, de la violence.

Les explications de ce type ne sont toutefois pas suffisantes. Il y a aussi des réalités de nature sociologique, géographique ou urbanistique qui confinent à l’apathie. La structure par âge de la population (vieillissante), la faible taille des fratries, l’affaiblissement de la sociabilité (démantèlement de la famille, désaffection religieuse, syndicale etc) et la forte dispersion de l’habitat (périurbanisation) ne favorisent pas la mobilisation populaire sur le terrain. En outre, la promotion sociale qui a fait accéder aux classes moyennes une grande partie de la population autochtone depuis les Trente Glorieuses a fait de nous un peuple de petits-bourgeois, conservateur au sens le plus petit du terme, et qui se réfugie dans de dérisoires tours d’ivoire (quartiers sécurisés, lotissements pavillonnaires, arrondissements chics des métropoles etc).

Enfin, la comparaison avec les groupes qui nous menacent révèle une autre faiblesse, peut-être la principale : nous sommes passifs car nous ne savons plus qui nous sommes ni où nous allons. C’est sans doute l’effet le plus délétère de la sortie de la religion, mouvement dans lequel la France a joué un rôle pionnier depuis le XVIIIe siècle. L’absence de transcendance a pu être compensée – partiellement et temporairement – par des religions de substitution (culte du progrès, nationalisme civique et républicain, communisme et droit-de-l’hommisme) mais aucune d’elle n’a tenu la distance ; surtout, aucune n’a pu asseoir un sentiment d’appartenance assez solide pour fonder un véritable projet politique. On ne s’improvise pas prophète, on ne décrète pas le sacré, on ne dompte pas le temps avec de l’esprit.

***

De ce constat, le lecteur saura déduire les réponses possibles au choc historique que nous subissons. Le combat culturel est essentiel mais ne suffit pas : nous devons certes repenser et reconstruire notre civilisation, mais il nous faut également développer nos capacités pratiques. L’urgence est de compenser notre émiettement sociologique et géographique par un surcroît d’organisation et de sociabilité. Patriotes de toute l’Europe, unissez-vous !

Cédric Lesieur

Correspondance Polémia : 25/07/2016

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