Paul Tormenen poursuit son rigoureux et salutaire travail d’exploration des méandres administratifs français relatifs à la question de l’immigration. Il s’est récemment interressé au dernier rapport de la Cour des comptes rendu public le 5 mai sur la gestion par l’État de l’immigration.
Après avoir fait une présentation générale du rapport, analysé les différents dispositifs étatiques pour gérer l’immigration légale, fait le constat que la France est un pays de cocagne pour les immigrés clandestins, passé en revue la « gestion » de l’immigration illégale et étudié la gestion de l’intégration des étrangers à la société française, Paul Tormenen achève son analyse critique du rapport de la Cour des comptes en abordant l’accès aux droits sociaux des immigrés et le contrat d’intégration républicaine.
Polémia
L’accès des étrangers non communautaires aux droits sociaux
Le terme de « droits sociaux » recouvre pour la Cour des comptes (CC) les nombreuses aides sociales de toutes natures, financées par l’impôt et les cotisations sociales, accessibles aux étrangers non communautaires : RSA, allocation de solidarité aux personnes âgées, allocation adulte handicapé, hébergement et aides au logement, allocations familiales, protection santé, aide au transport… L’accès au marché du travail fait également partie des droits sociaux des étrangers non communautaires en situation régulière.
Constats de la Cour des comptes – La Cour des comptes fait le constat que « les étrangers en situation régulière n’ont pas accès à tous les droits sociaux dans les mêmes conditions que les citoyens français ».
Le tableau synthétique des conditions d’accès aux droits sociaux pour les ressortissants étrangers non communautaires contenu dans le rapport fait effectivement ressortir pour certaines catégories administratives d’étrangers une condition de durée de séjour en France (page 168).
Préconisations – La Cour des comptes ne fait pas de préconisations en la matière.
Commentaires – Plusieurs éléments saillants du tableau recensant les conditions d’accès aux droits sociaux des ressortissants étrangers non communautaires peuvent être soulignés :
- De nombreuses prestations sont accessibles à des extra-européens, indépendamment de toute condition de durée de séjour et de cotisation en France. C’est le cas des « réfugiés » bénéficiant d’une carte de résident d’une durée de 10 ans, qui peuvent avoir accès immédiatement aux 903 euros mensuels de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), au RSA, à l’Allocation Adulte Handicapé (AAH), aux aides au logement, aux allocations familiales, etc.
- Les étrangers extra-européens détenteurs d’un titre de séjour ont accès aux mêmes prestations que les français :
– dès leur arrivée en France en ce qui concerne l’AAH, les aides aux logement, les allocations familiales, le RSA pour les détenteurs d’une carte de résident,
– après un durée plus ou moins longue de séjour en France dans certains cas : 5 ans pour le RSA pour les titulaires d’un titre de travail, 10 ans pour l’ASPA pour les détenteurs d’un titre de séjour.
Il est utile de rappeler une des conditions définies pour obtenir le statut de résident de longue durée posée par la Directive européenne 2003/109/CE :
« Afin d’acquérir le statut de résident de longue durée, le ressortissant de pays tiers devrait prouver qu’il dispose de ressources suffisantes et d’une assurance maladie, pour éviter de devenir une charge pour l’État membre » (1). Le gouvernement français dispose donc de fondements juridiques pour restreindre l’accès des étrangers non communautaires aux aides sociales. Mais encore faudrait-il qu’il ait le courage de les utiliser pleinement, et non d’en faire une interprétation laxiste, comme c’est le cas actuellement et comme le met en avant une étude comparative réalisée en 2011 par la Commission européenne (2).
Le tableau synthétique réalisé par la Cour des comptes permet de constater que de multiples aides sociales sont accessibles à des étrangers non communautaires, indépendamment de toute contribution (impôts, cotisations sociales) au système redistributif français. Un système redistributif qui est par contre fortement sollicité. Un magistrat estimait récemment que « 42 % des allocataires des caisses d’allocations familiales seraient nés à l’étranger » (3).
Le tour d’Europe du grand remplacement publié l’année dernière sur le site de Polémia a permis de constater que des politiques sociales moins généreuses ont permis à plusieurs pays de faire baisser tant le nombre de demandes d’asile que l’immigration irrégulière (4). Mais cela n’interpelle visiblement pas les conseillers de la Cour des comptes.
Compte tenu du nombre croissant de demandeurs d’asile et de clandestins affluant en France, un comparatif des conditions d’accès aux prestations sociales avec les autres pays européens aurait permis de trouver quelques explications au « succès » de notre pays. À aucun moment les conseillers de la Cour des comptes ne s’interrogent sur la viabilité d’un modèle social ouvert à tous vents et qui place la France parmi les pays qui ont les prélèvements obligatoires les plus élevés d’Europe.
Pour quelles raisons la France est-elle désormais le pays recevant, en nombre absolu, le plus de demandes d’asile en Europe ? Pour quelles raisons les clandestins appelés pudiquement « étrangers sans titres de séjour » se maintiennent-ils sur le territoire français, plutôt que d’aller tenter leur chance dans un autre pays européen ? Ces questions sont visiblement taboues pour la Cour des comptes, alors que l’État français consacre des sommes considérables et croissantes tant à la gestion de l’immigration qu’aux dépenses sociales.
L’intégration des étrangers soumis à un titre de séjour : le contrat d’intégration républicaine
Constat – La Cour des comptes précise que « des mesures spécifiques visent à répondre à un objectif d’accueil et de première intégration. Elles reposent sur le contrat d’intégration républicaine et sur des actions facultatives ouvertes à tous ».
Le contrat d’intégration républicaine (CIR) a comme objectif l’acquisition des valeurs de la République et de la société française et des bases du français. Ce dispositif s’adresse aux personnes majeures relevant de la politique d’asile, d’immigration familiale et professionnelle, ainsi que celles arrivées en France entre 16 et 18 ans. Son coût est passé de 65 millions d’euros en 2011 à 105 millions d’euros en 2019, soit une augmentation de 62 %.
Les statistiques sur les bénéficiaires du CIR permettent d’avoir un portrait de l’immigration « durable » qui arrive en France. Tout en soulignant que les étudiants et les titulaires de passeports talent sont dispensés du CIR, la Cour des comptes fait le constat que « le niveau de scolarisation initiale des bénéficiaires est faible : si 29,6 % étaient diplômés de l’enseignement supérieur, 20,5 % n’avaient pas été scolarisés ou ne disposaient pas d’un diplôme équivalent à la fin du primaire ». Les trois premiers pays d’origine des 107 402 bénéficiaires du CIR en 2019 sont le Maroc, l’Algérie et la Tunisie.
Bien que la seule obligation soit l’assiduité aux formations, la Cour des comptes constate qu’il est « impossible de corréler le non-respect du CIR à la non-délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle », en raison d’un formulaire non rempli par l’administration dans 45 % des cas !
La Cour des comptes conclut en déplorant qu’il n’y a pas « de sanction clairement définie et appliquée de manière identique sur tout le territoire, ce qui est dommageable si le CIR est conçu comme une première étape indispensable à l’intégration ».
Préconisations – La Cour des comptes préconise de confier la gestion financière et opérationnelle du CIR à l’OFII afin d’en améliorer le suivi. La mise en place d’un CIR adapté à Mayotte est également préconisée, compte tenu du « climat social tendu » entre Français et étrangers.
Commentaires – En dépit du coût croissant du CIR pour la collectivité, le gouvernement n’impose pas d’exigences minimales et une obligation de résultat aux étrangers s’installant durablement en France. La délivrance des titres de séjour n’est conditionnée qu’à la seule assiduité aux formations suivies dans le cadre du CIR, une assiduité qui n’est souvent pas contrôlée par l’administration !
On peut également s’interroger sur la façon dont est vérifiée l’autre obligation issue du code d’entrée et de séjour des étrangers : ne pas « manifester de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République » (5). Le législateur, encadré par les directives européennes, n’a pas osé exiger des étrangers qui arrivent durablement dans notre territoire d’adhérer pleinement aux valeurs de la société française. Quel singulier manque d’ambition et de confiance en notre culture !
On peut également s’étonner que la Cour des comptes ne préconise pas une participation aux frais de formation au français, afin de responsabiliser les bénéficiaires. Bienvenue dans l’État providence français !
On ne peut pas dire que l’on découvre les carences du CIR. Un rapport sénatorial rédigé en 2017 en pointait déjà de nombreuses :
- un faible niveau théorique de maitrise du français, qui n’est acquis à l’issue de la formation que par la moitié des bénéficiaires,
- l’absence de lien entre la formation linguistique et la politique de délivrance des titres de séjour ;
- une formation civique qui ne donne lieu à aucune évaluation de l’acquisition des connaissances par les immigrés (6).
Le contenu et les objectifs du CIR posent plus globalement la question de l’exigence qu’a – ou n’a pas – la société française vis-à-vis de ceux qui s’installent en France. Dans le cas présent, ce manque d’exigence permet à des individus maitrisant mal le français et n’adhérant pas à nos mœurs de s’installer durablement en France.
Autre constat non moins important : le recensement des bénéficiaires du CIR permet de constater que les étrangers qui s’installent en France ont pour une grande partie d’entre eux un très faible niveau scolaire de base et sont pour beaucoup musulmans. Nos dirigeants continuent de refuser de regarder la dimension culturelle de l’immigration et le fossé culturel qui se creuse dans le pays.
Sur le plan économique, la France n’a plus besoin depuis longtemps de « bras », à l’heure où les effectifs de l’industrie ne font que baisser et où les plans sociaux se multiplient. Sauf à vouloir satisfaire encore et toujours les revendications d’un patronat en recherche permanente de main d’œuvre corvéable et à vouloir relancer artificiellement la demande intérieure avec force allocations financées par la dette…
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En raison du niveau de vie qu’elle offre, la France est une destination privilégiée pour de nombreux extra-européens. Mais l’immigration en France n’a cette ampleur que parce que trois conditions sont réunies :
- L’existence d’un important corpus de droits, qui permet à de nombreux clandestins de prendre pied en France en faisant valoir la qualité de réfugié, de mineur, etc., voire en sollicitant une régularisation après quelques années de présence sur le sol français. En cas de refus de leur demande, les clandestins peuvent compter sur les très nombreuses associations immigrationnistes pour les aider dans leurs recours contre l’État ou les Départements, ce qui permet de prolonger le séjour en entrant dans une catégorie administrative.
- L’accès immédiat ou différé à de très nombreuses prestations sociales, attribuées souvent sans conditions de durée de cotisation au système redistributif, qui permettent de subsister sans travailler.
- Le très faible nombre d’éloignements du territoire des clandestins.
La lecture du rapport de la Cour des comptes sur la gestion par l’État de l’immigration a au moins un intérêt, outre les informations purement factuelles qui y sont présentes : connaitre l’idéologie ambiante dans les hautes sphères dirigeantes. On y trouve la confirmation que cette élite qui mène la France dans le mur considère les innombrables droits, qui rendent notre pays si attractif pour de nombreux extra-européens, comme un socle intangible.
Que ce soit dans la gestion de l’immigration légale ou illégale, nos gouvernements se sont consciencieusement privés, année après année, mesure après mesure, de tous les outils nécessaires à sa maitrise. À tel point que l’immigration sur laquelle ils ont une prise, l’immigration de travail, représente une infime partie des flux qui arrivent dans notre pays (7). Il reste peu d’échéances électorales avant que notre pays atteigne un point de non-retour, où les français de souche ne seront qu’une communauté parmi d’autres, que l’on regardera avec l’ironie que l’on a vis-à-vis de ceux qui ont regardé sans réagir leur propre déclin.
Paul Tormenen
26/08/2020
(1) Directive 2003/103 CE du 25 novembre 2003
(2) Report from the commission to the european parliament and the council on application of Directive 2003/103/EC. 28 septembre 2011
(3) « Charles Prats : la fraude sociale, c’est 30 milliards d’euros par an ». Le Figaro. 30 avril 2020
(4) « Crise des frontières : la France, pays le plus attractif pour les migrants extra-européens ? » Polémia. 9 décembre 2019
(5) Article L.313-17 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
(6) « Migrants : les échecs de l’apprentissage du français et des valeurs civiques ». Rapport d’information de M. R. Karoutchi. Sénat. 19 juillet 2017
(7) « Grand débat : Macron verrouille la question de l’immigration ». Polémia. 19 janvier 2019