Polémia prend ses quartiers d’été, tout en gardant un œil attentif sur l’actualité. En attendant la rentrée, la publication de textes inédits se poursuit mais vous retrouverez également chaque jour l’un des articles les plus consultés depuis l’été dernier sur Polémia. Aujourd’hui, retour sur un dossier de l’excellent Paul Tormenen qui revient sur un rapport sénatorial dédié à la question de l’immigration.
Par Paul Tormenen, juriste et spécialiste des questions migratoires ♦ Le 10 mai, une commission sénatoriale a rendu public un rapport d’information sur la gestion de l’immigration par les pouvoirs publics. Le document de 143 pages est une mine d’informations qui aide à mieux comprendre la situation catastrophique de la France en la matière.
Le rapport met en lumière une administration française qui plie sous le poids d’une immigration croissante et d’un droit complexe. Pourtant, en dépit de ce constat alarmant, auquel on aurait pu ajouter la fragmentation de la société française, les membres de la commission d’information prônent des mesures qui ne feraient qu’augmenter l’immigration extra-européenne. Les préconisations en matière de droit d’asile et d’éloignement des étrangers en situation irrégulière sont également loin de prendre la mesure de la gravité de la situation.
Une mission d’information transpartisane
La commission sénatoriale à l’origine du rapport présenté le 10 mai était présidée par Monsieur Jean-Noël Buffet (LR) (1). Elle était composée de représentants de chaque groupe politique présent au Sénat, des Républicains aux communistes.
On peut à ce stade s’interroger sur la pertinence du consensus obtenu entre des élus de la République de différents bords politiques, qui a permis de parvenir à un diagnostic et à un plan d’actions partagés en la matière. La gestion de l’immigration par les pouvoirs publics et le droit applicable sont des sujets éminemment politiques, qui ne peuvent se résumer à adapter les moyens de l’administration à des flux migratoires croissants. Voilà qui en dit long sur l’impossibilité pour l’oligarchie de remettre en cause la logique folle que nous connaissons depuis des décennies.
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Le rapport de la mission d’information comporte 4 parties qui concernent :
1- le traitement des demandes de titres de séjour ;
2- le contentieux des étrangers ;
3- le traitement des demandes d’asile dans le contexte du droit communautaire ;
4- la politique de retour des étrangers en situation irrégulière dans leur pays.
Pour chacun de ces sujets, des recommandations sont faites afin d’améliorer la gestion publique de l’immigration. Nous en livrons une lecture critique dans deux articles :
- le premier est consacré au traitement des demandes de titres de séjour et au contentieux des étrangers ;
- le second article aborde les demandes d’asile dans le contexte du droit communautaire et la politique de retour des étrangers en situation irrégulière.
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Juste milieu ou paralysie ?
Le rapport indique en introduction qu’il vise à établir un bilan de l’efficacité des politiques publiques pour faire face à « une pression migratoire forte, continue et croissante ». Les rédacteurs tiennent d’emblée à afficher leur attachement à un juste milieu, qui éviterait soigneusement deux types de postures :
- « une posture fataliste (…) qui tend à considérer la présence sur le sol français d’étrangers en situation irrégulière comme une donnée avec laquelle il conviendrait de composer » ;
- « une posture (…) dangereuse et vaine, qui voit dans la fermeture des frontières et le refoulement systématique des personnes la réponse unique à la pression migratoire qui s’exerce aux frontières de l’Union européenne et sur notre territoire ».
Le cadre posé écarte donc soigneusement de remettre en cause les nombreux droits permettant aux étrangers issus de pays tiers à l’U.E. à s’installer en France. Les préconisations contenues dans le rapport sont à l’avenant. Comme nous le verrons, en dépit de quelques propositions de bon sens, la position d’équilibre revendiquée s’inscrit bel et bien dans la continuité de la politique calamiteuse des gouvernements qui se sont succédés au pouvoir et qui nous a conduit dans l’impasse actuelle.
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Le traitement des demandes de titres de séjour
Constats :
- Le nombre total de demandes de titres de séjour déposées auprès de l’administration « n’est pas connu en tant que tel ».
- Le nombre de titres de séjour délivrés pour la première fois est en forte augmentation : + 21% entre 2017 et 2021, année au cours de laquelle 271 675 titres ont été délivrés. Une échelle de temps plus longue aurait montré l’ampleur de cette folle progression.
- Le délai moyen de traitement des demandes d’admission au séjour est supérieur à la cible de 90 jours, en dépit de l’augmentation des effectifs de l’administration dédiés à cette mission.
- Les difficultés d’accès au guichet électronique des demandes de rendez-vous avec l’administration entrainent de nombreuses procédures devant le tribunal administratif.
Ainsi, au tribunal administratif de Montreuil, 21 % des affaires enregistrées en contentieux des étrangers relèvent de ce type d’action en justice. Celles-ci sont engagées à Paris essentiellement par des étrangers en situation irrégulière. - Certains étrangers présentent plusieurs demandes de titres de séjour à la suite, sur différents, fondements, « nourrissant d’autant le contentieux en cas de réponses successives défavorables ».
Préconisations :
- L’accompagnement des demandeurs de titres de séjour doit être renforcé, suite à la dématérialisation des démarches.
- Un délai maximal pour accorder un rendez-vous en préfecture doit être fixé à l’administration par voie règlementaire.
- Davantage de moyens aux services chargés du séjour des étrangers doivent être affectés au sein des préfectures.
- L’administration saisie d’une demande de 1er titre de séjour doit l’instruire à « 360° ». Pour chaque demande, l’ensemble des motifs qui pourraient fonder la délivrance d’un titre de séjour doit être étudié.
Commentaires :
Les préconisations de la commission sénatoriale visant à affecter plus de personnel à l’instruction des demandes de titres de séjour et à fixer une durée limite pour fixer un rendez-vous en préfecture ne sont aucunement de nature à contenir la progression du nombre de dossiers à traiter. Or, en matière d’immigration, l’objectif doit-il être quantitatif ou qualitatif ?
Les immigrés qui arrivent en France sont non seulement très (trop) nombreux. Ils sont majoritairement moins formés que les Français de souche et éloignés de la culture autochtone (2). Les ressortissants de pays tiers sont également surreprésentés parmi les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires d’aides sociales (3). Accepter plus d’immigration subie n’est ni souhaitable ni soutenable. Pourtant, à aucun moment les rapporteurs n’évoquent la piste d’un strict contingentement du nombre de titres de séjour accordés chaque année, tous motifs confondus, adapté tant aux capacités de l’administration qu’aux possibilités d’insertion dans la société française, qui semblent avoir été dépassées depuis longtemps.
La préconisation de l’instruction à 360° des demandes de titres de séjour est également problématique. Cette recommandation du Conseil d’État, reprise à son compte par la commission sénatoriale, vise à « examiner le droit au séjour plutôt qu’à un titre de séjour ». Il s’agirait d’étudier toutes les possibilités pour délivrer un titre de séjour aux ressortissants de pays tiers à l’U.E. souhaitant s’établir en France.
Le rapport nous apprend que certaines préfectures expérimentent déjà cette procédure. Mais rassurez-vous : « Les cas de potentiels refus de titres où elle trouverait à s’appliquer restent rares ( plus de 90 % des demandes traitées par la préfecture du Rhône connaissent par exemple une issue favorable ) ». Encore mieux : « cette instruction à « 360° » ne ferait (…) pas peser de charge excessive sur les services ». Forcément, car les instructeurs sont moins mobilisés à préparer la défense devant le tribunal administratif des recours contre les refus par l’administration de titres de séjour.
Ainsi, l’administration se verrait assigné l’obligation, afin de limiter le nombre de recours contentieux, d’étudier toutes les possibilités de donner une réponse positive aux demandes des étrangers à s’installer en France, y compris la très contestable procédure d’admission exceptionnelle dont l’ancien Préfet Patrick Stefanini a souligné récemment l’opacité (3). On croit rêver ! Vous voulez vous installer en France ? L’administration fera tout pour vous aider à y parvenir…
Le contentieux des étrangers
Constat :
- Les décisions prises par l’administration donnent lieu « à un contentieux croissant, massif et protéiforme, qui sature les juridictions administratives ». En 2021, 100 000 requêtes ont été introduites devant les juridictions administratives, où le contentieux des étrangers représente désormais plus de 40 % de l’activité.
- Les recours contre le refus du statut de réfugié sont également nombreux. Le nombre de saisines de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est ainsi passé de 20 143 en 2009 à 68 243 en 2021.
- Ce contentieux est fréquemment lié à des « difficultés rencontrées par les préfectures à faire face à la masse de demandes auxquelles elles sont soumises », bien plus qu’à des questions de fond.
Les rapporteurs soulignent que « l’ensemble de ces affaires a également un impact important sur l’activité des bureaux d’aide juridictionnelle, la plupart des requérants étant éligibles à cette dernière ». - L’étranger engageant un recours contre une décision lui faisant grief peut se trouver dans plus de trente situations différentes, que celles-ci concernent le délai de recours contentieux, le délai de jugement, le caractère suspensif ou non du recours, la formation de jugement, l’éventuelle dispense de conclusions du rapporteur public, le délai pour faire appel ou la possibilité de solliciter le juge des référés, etc.
Préconisations :
- Le nombre de procédures applicables en contentieux des étrangers doit être ramené à trois (une normale et deux d’urgence), au lieu d’une douzaine à l’heure actuelle.
- « Les modalités d’organisation de la défense de l’administration devant les juridictions administratives, doivent être revues afin de permettre à ces dernières de disposer de l’ensemble des éléments pertinents pour prendre leurs décisions, et, corrélativement, d’encourager le juge administratif à faire un usage plus systématique de ses pouvoirs d’injonction et d’astreinte ».
- L’OFII devrai pouvoir défendre ses avis médicaux dans les litiges relatifs à des refus de titres de séjour pour raisons de santé.
Commentaires :
La préconisation de simplifier et de réduire le nombre de procédures applicables en contentieux des étrangers est évidement à saluer. Gageons qu’elle se concrétise.
On peut par contre s’étonner qu’à aucun moment, le bénéfice de l’aide juridictionnelle ne soit remis en cause pour les étrangers souhaitant obtenir un titre de séjour. Le contribuable français finance ainsi des recours contre les décisions de l’administration et de la CNDA !
Si elle était retenue, la préconisation de permettre au juge administratif d’assortir d’une astreinte financière (donc payée par le contribuable) l’injonction à l’administration de délivrer un titre de séjour « lorsqu’aucun élément ne paraît s’opposer à la délivrance du titre demandé par l’étranger » serait une nouvelle contrainte, parmi tant d’autres, imposée à l’administration. Est-il besoin d’en rajouter ?
S’agissant des conditions de la défense de l’Etat dans le contentieux lié aux refus de titres de séjour « étrangers malades », la préconisation de permettre la transmission au Préfet de l’avis du collège de médecins du service médical de l’OFII lorsqu’un refus de titre pour motif médical est attaqué devant la juridiction administrative est évidemment souhaitable. Comme le soulignent les rapporteurs, elle permettrait au Préfet « d’avoir des éléments de contradiction nécessaires permettant d’étayer son refus ».
Mais, au-delà de cette mesure, qui ne serait qu’une simple application du principe du contradictoire, n’est-ce pas la possibilité d’admission en France des ressortissants de pays tiers à l’U.E. pour se faire soigner gratuitement qui doit purement et simplement être remise en cause ?!
« L’été va être atroce, du jamais vu » dans les hôpitaux, indiquait récemment le président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (4). Comme pour d’autres sujets, le gouvernement fait l’autruche en professant une solidarité qu’il n’applique qu’avec parcimonie à ses propres concitoyens. A suivre.
Paul Tormenen
Article initialement publié le 26/05/2022
(1) « Services de l’Etat et immigration : retrouver sens et efficacité ». Rapport d’information du Sénat. 10 mai 2022
(2) « L’immigration qualifiée, un visa pour la croissance ». Conseil d’analyse économique. 9 novembre 2021
(3) « Grand remplacement en Europe : la France en voie de submersion ». Polémia. 28 octobre 2019
(4) « L’été va être atroce, du jamais vu ». Patrick Pelloux dénonce une situation catastrophique dans les hôpitaux. BFM TV. 19 mai 2022