Alexandre Latsa, journaliste, écrivain et consultant français résidant à Moscou, poursuit son entretien avec Pauline Betton qui se livre de façon très sympathique aux questions de notre contributeur. On relèvera, d’entrée de jeu, un passage intéressant, une sorte d’analyse du bashing, mot émis par l’horrible vocabulaire anglo-saxon dont nos « bobos » politico-médiatico-affairistes usent avec tellement d’appétit :
« Une technique pour démolir un adversaire retors ou qui refuse de se soumettre. » Polémia
Pourquoi d’après vous la presse française excelle-t-elle tant dans le Russia bashing ?
Le Russia Bashing – comme vous dites ! – n’est pas une expression de la langue française. C’est un vocabulaire qui provient directement des médias anglo-saxons. C’est une forme d’hystérie médiatique chronique. Il y a eu aussi le French bashing en 2003 au moment où le Président Jacques Chirac s’est vaillamment opposé devant les Nations unies, au nom de la France, à l’invasion militaire américaine en Irak. Il avait entraîné derrière lui, l’Allemagne, la Russie et la Chine… La suite a démontré que cette position était juste. Le bashing exploite l’émotion au détriment de la raison et ne se fonde sur aucune réflexion. C’est une puissante technique pour démolir un adversaire retors ou qui refuse de se soumettre. Les journalistes qui se livrent à cet exercice le font le plus souvent par paresse, par conformisme et aussi parfois sur commande. Lors de son passage à Moscou, la semaine dernière, le président Valéry Giscard d’Estaing a été reçu au Kremlin par le président Vladimir Poutine puis il a souligné devant un parterre d’étudiants de l’Université Lomonossov que les sentiments antirusses ont été artificiellement grossis en Europe car ce sont les États-Unis qui les ont semés dans les médias.
Il y a peut-être aussi chez une partie de la droite française des souvenirs ancrés dans l’époque soviétique de la lutte contre le communisme, sauf qu’aujourd’hui l’URSS n’existe plus et qu’il faut alors changer de lunettes. Le Russia bashing ne reflète donc nullement le sentiment profond du peuple français qui n’est naturellement pas hostile à la Russie.
7/ Vous avez choisi de soutenir une pétition initiée par des citoyens français appelant à la levée des sanctions et aussi à la livraison des Mistral à la Russie, quelles sont vos motivations
La France est un pays souverain et le président François Hollande est donc dans son rôle lorsqu’il décide de livrer ou non un matériel militaire. C’est une question principalement politique et non pas économique même si cela a un coût, naturellement ! En 2008, le président Nicolas Sarkozy avait choisi de réintégrer la France dans le commandement de l’OTAN dont le Général De Gaulle nous avait soustraits à la fin des années 1960. Ce contrat inédit avec la Russie pouvait alors démontrer aux détracteurs de cette réintégration, que la France – membre à part entière de l’Alliance Atlantique – conservait une politique étrangère indépendante. Depuis le début, les États-Unis n’ont jamais fait mystère de leur hostilité dans cette affaire que nous avions eu aussi beaucoup de mal à faire accepter au complexe militaire et industriel russe qui n’en voulait pas non plus ! Le Kremlin et l’Élysée avaient donc pris ensemble à l’époque une décision politique souveraine à contre-courant. Aujourd’hui la question de la signature de la France est posée… Si nous ne livrons pas, nous devons donc rembourser ce qui est dû et sans mégoter ! Si la non-livraison des Mistral était la clé de la réussite des accords de Minsk II pour ramener la concorde entre Russes et Ukrainiens alors la France pourrait mettre ce sacrifice dans la corbeille sans regret au nom de la paix et même s’en faire un mérite. Mais les choses malheureusement semblent plus tristes que cela. Espérons encore, espérons toujours… mais cela ressemble de plus en plus à un naufrage. Les Mistral ne sont soumis à aucune sanction internationale, ils pourraient donc être livrés. Le président de la République est le seul à pouvoir trancher cette question… En signant cette pétition nous avons simplement voulu lui donner du courage.
Pendant que nos journalistes s’en prennent à Poutine, au sud, un immense chaos semble gagner plusieurs États musulmans au sein desquels les chrétiens d’orient sont victimes des plus terribles exactions et menacés d’extermination. Quel regard portez-vous sur cette incroyable tragédie ?
Depuis Saint-Louis, la France est la protectrice des chrétiens d’Orient et elle a exercé depuis cette responsabilité à travers les siècles. Par l’éducation, grâce aux nombreuses institutions d’enseignement, essentiellement chrétiennes, la langue française reste notre principal vecteur d’influence dans cette région du monde. Elle continue d’être parlée couramment au Liban, en Israël et en Égypte et un peu aussi en Syrie… Les chrétiens sont indispensables en Orient. Protéger la vie de ces minorités, c’est donner une chance au dialogue entre juifs et musulmans. C’est contribuer à bâtir la paix. Cet hiver, Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, a fait un certain nombre de déclarations politiques très claires allant jusqu’à unir la défense des chrétiens d’Orient massacrés à celle des chrétiens d’Occident de plus en plus souvent victimes de discrimination. Pour rappel, les chrétiens sont les croyants les plus persécutés dans le monde et l’on assiste aujourd’hui à des déplacements massifs de populations et à la disparition de communautés millénaires. En France, un jour sur deux une église ou un cimetière sont vandalisés dans l’indifférence générale. En mettant au même niveau la lutte contre l’islamophobie, l’antisémitisme et la christianophobie, la Russie a sans doute pris une initiative très forte.
Aujourd’hui par la faute d’une politique étrangère gouvernée par des chimères idéologiques et non plus par la réalité, nous laissons la Russie prendre en Orient la place de la France que nous laissons vacante. Cet abandon est révoltant ! Sarkozy puis Hollande, en alignant leurs analyses sur celle du département d’État américain se sont lourdement trompés sur la Syrie, sans parler de la Libye. Sous le prétexte vertueux de lutter contre des dictateurs, ils ont permis l’émergence militaire de Daesh et accélérés chez nous, la radicalisation de certains de nos enfants musulmans.
En tant que jeune femme française, et élue, vous êtes très active dans la défense de la famille, que vous inspirent les dernières orientations du gouvernement à ce sujet ?
Depuis mai 2012, le régime socialiste déroule implacablement un projet de société très logique et totalitaire. Acquis à la loi du marché pour tous et pour tout il organise progressivement la production de petits êtres déracinés, hors-sol, sans identité, isolés, incultes – mais doté d’une connexion wifi et d’un numéro de compte bancaire – contrôlés par l’État qui assure leur confort et leur sécurité au prix de leurs libertés. Mariage homo, GPA, genre, réforme du collège, avortement comme droit fondamental et suppression du délai de réflexion, euthanasie, principe du prélèvement d’organe et non plus du don… Rien ne semble pouvoir les arrêter. L’opposition n’a pas de structure mentale réfléchie et opérationnelle. Rares sont les députés qui osent s’exprimer sur ces sujet contre la pensée dominante. Ils sauvent pourtant l’honneur de notre République. Ces hommes lucides et courageux sont encore dispersés… Il faut les aider à s’unir pour émerger. La droite au pouvoir s’est malheureusement montrée également complice de cette culture de mort envahissante, croyant encadrer des évolutions de la société soit disant pour en éviter les dérives. On voit le résultat de cette politique sans conscience, c’est une faillite morale, économique, sociale et culturelle. À mon sens, l’abrogation de la loi Taubira serait le signe fort qu’un changement est possible. Il faut opposer aux manipulations du lobby LGBT la souveraineté de la nation. Refuser de traduire politiquement le message clair et pacifique des millions de manifestants de 2013, c’est avoir peur de son ombre. Cette abrogation devrait être le signe qu’une révision profonde de tous les choix de société engagés depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing est possible avec la volonté de proposer des alternatives généreuses respectueuses de la liberté de chaque personne. Il s’agirait d’une manière enfin humaine d’envisager l’écologie et le développement durable. Le docteur Xavier Emmanuelli fondateur du SAMU social de la ville de Paris en 1994, qui aujourd’hui est présent dans les rues de Moscou, a écrit un jour : « une civilisation qui tue sa graine est vouée à la mort ».
Le retour de Nicolas Sarkozy et l’apparition des Républicains, le tandem Hollande/Valls, le Front National 2.0. La scène politique française semble en pleine mutation, comment vous situez-vous sur l’échiquier national et quel est votre regard sur la politique française ?
2017 approche et nous entrons déjà dans le temps de la campagne présidentielle qui reste le moment le plus passionnant de la vie politique française. Les partis politiques aujourd’hui comme hier offrent un spectacle bien pitoyable. Ils n’ont aucun intérêt en eux même, ce sont juste des machines de guerre. Néanmoins, avec quelques autres, j’ai adhéré à l’initiative de Sens commun pour porter les idées d’Ici Moscou au sein d’une grande formation politique. Cela nous a autorisés à soutenir la candidature d’Hervé Mariton à la tête de l’UMP. Nous n’avons pas gagné mais nous avons poussé Sarkozy à dire publiquement qu’il abrogerait la loi Taubira. Ce n’est déjà pas si mal. L’adoption du nom de Républicain, la composition de l’équipe dirigeante et les statuts de la nouvelle formation était soumise au vote des militants. Questions sans intérêt, il faut bien le dire… Le nom Républicains passe encore, mais pourquoi valider une équipe où les personnalités qui portent nos idées sont minoritaires quant aux statuts nous refusons d’instaurer le principe d’une primaire pour désigner un candidat du parti à la présidentielle. On ne vote jamais pour un parti mais pour un homme – et demain qui sait pour une femme ! Cette élection est singulière, car elle nous distingue des autres démocraties, c’est l’un des derniers grands leviers de souveraineté et de liberté dont nous disposons encore. Il me semble à cet égard que l’abandon du septennat pour le quinquennat est une évolution contraire à l’esprit du général De Gaulle. C’est mauvais ! L’usure rapide des présidents Sarkozy et Hollande ne tient pas seulement à leurs politiques ou à d’éventuelles failles de leur personnalités, c’est aussi un effet déplorable du quinquennat. Les politiciens qui ont poussé vers cette réforme sont des gens hostiles à la grandeur qui par un manque d’imagination tragique ne voient dans la France qu’une puissance moyenne.
Hollande est déjà en campagne et personne à gauche ne le menace vraiment. Valls est un policier ce qui ne séduit pas
les gens normaux. Le président sortant se prépare, il sait très bien que ce sera dur mais que rien n’est jamais perdu ! Il s’accroche à sa baraka gardant toujours à l’esprit l’incroyable mésaventure de DSK à New York qui lui a ouvert la route de l’Elysée contre toute attente.
Face à lui, il y a toujours Sarkozy qui a reconquis la présidence de l’UMP puis a réussi à maintenir son navire à flot aux « départementales ». Menacé de toute part, il continue néanmoins à tracer sa route dans le gros temps. Sauf morsure de vipère toujours possible, il apparait comme le candidat naturel de la droite. A côté de lui, Juppé est un homme aimable, c’est le chouchou des médias et il compte essentiellement sur la primaire ce qui ne suffira peut-être pas. Sauf morsure de vipère encore une fois !
Enfin il y a Marine Le Pen, la femme qui hante les nuits de Sarkozy et de Hollande, tour à tour de rêves dorés ou de cauchemars épouvantables. Abandonné dans sa solitude de Montretout, son vieux papa peut bien tonner contre la mauvaise influence qu’exercent les mignons qui entourent sa terrible fille, elle n’en a cure. Elle veut gagner, et comme elle possède un instinct très sûr, c’est la seule qui a déclaré avant tout le monde et sans le moindre état d’âme qu’elle abrogerait la loi Taubira. Elle seule a su capter la colère du peuple. Cette funeste colère qui enfle chaque jour et peut la propulser demain aux portes du pouvoir… et nos deux présidents sont convaincus que seul celui qui se retrouvera face à elle au second tour aura une chance de pouvoir lui interdire d’en franchir le seuil… Pari risqué !
Quel est le message que vous souhaiteriez faire passer aux Français qui n’ont plus confiance dans la politique et les politiciens ?
Cultivons-nous, pensons à la France toujours, aimons-là, imaginons, parlons-nous, soyons attentifs et veillons !…. Enfin le jour venu en âme et conscience nous voterons pour qui nous plaira, hors de toute consigne partisane. Vive la France et vive la Russie, notre pays d’accueil !
Entretien avec Pauline Betton mené par Alexandre Latsa
Source : fr.sputniknews.com
04/06/2015
Notes de la rédaction
- Ici Moscou : les Français parlent aux Français ! (1/2)
- Chrétiens d’Orient :
Liban : 1,5 million ; Israël : 150.000 ; Palestine : 60.000 ; Turquie : 80.000 ; Syrie : 850.000 ; Irak : 600.000 ; Iran : 150.000 ; Jordanie : 350.000 ; Egypte : entre 8 et 10 millions.
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