Pour le 130e anniversaire de la mort de Victor Hugo ce 22 mai, maints hommages sont en préparation, dans les théâtres (Béatrice Dalle est en tournée dans un improbable Lucrèce Borgia) et les maisons d’éditions. Côté livres, c’est un petit mais délectable volume qui ouvre le bal : Hugothérapie, que Pierre-Antoine Cousteau (« PAC »), journaliste de Je suis Partout condamné à mort en 1946 en même temps que Lucien Rebatet pour intelligence avec l’ennemi et gracié en avril 1947 par le président Auriol, écrivit en prison.
« Plus Hugo pense juste et plus il écrit fort. Plus il pénètre au cœur de la démocratie, et plus ses antithèses s’accusent, plus la ménagerie de ses métaphores s’enrichit, plus ses personnages s’écartent de la vulgaire vraisemblance ».
La rédemption d’un maudit par la lumière hugolienne
On a des loisirs quand on a pris perpète… À l’époque, initié par Rebatet à l’auteur de La Recherche, « immense artiste de la prose française, observateur génial de la vie intérieure aussi bien que de la vie en société, humoriste magnifique » selon l’auteur des Décombres, Cousteau a dévoré toute l’œuvre du maladif Marcel et en a tiré un Proust Digest (1), recueil de maximes et d’aphorismes regroupés par thèmes. S’étant replongé dans l’univers du père Hugo, parcouru dans son enfance, il songe à récidiver avec un Hugo Digest.
Mais plus il progresse dans son dessein (herculéen), plus la matière lui paraît touffue. Et, surtout, comme Cousteau s’en explique dans une lettre à sa femme, cette lecture lui paraît une parfaite occasion de rédemption :
« J’étais un misérable profondément corrompu, j’avais perdu la notion du bien et du mal, j’errais sordidement dans les ténèbres. Soudain j’ai rencontré Victor Hugo et ce fut la lumière. Ma conscience s’est aussitôt redressée et mon amendement est devenu une rayonnante réalité. »
C’est le cheminement des ténèbres collabos à la lumière humanitariste que le frère aîné du fameux commandant Cousteau, spécialiste de l’humour au second degré, retrace avant tout dans une longue et hilarante introduction titrée « Mode d’emploi ».
Mais le journaliste, à qui il arrivait auparavant « de dire que Dresde et Hiroshima étaient des bourgades légèrement plus peuplées qu’Oradour et de mettre dans le même sac les crématoires et l’area bombing », ne se contente pas de raconter sa quête du Graal personnelle. Ayant dépiauté Hugo le crayon à la main, il exalte le « génie du Maître », qui croît avec son allégeance aux Immortels Principes :
« Plus Hugo pense juste et plus il écrit fort. Plus il pénètre au cœur de la démocratie, et plus ses antithèses s’accusent, plus la ménagerie de ses métaphores s’enrichit (2), plus ses personnages s’écartent de la vulgaire vraisemblance. Les Odes, Les Ballades, Les Orientales avaient encore une sobriété pénible et la zoologie de Notre-Dame de Paris reste étriquée. Mais dès que Hugo est touché par la grâce, la chorée verbale se déchaîne, le guignol devient épique et le flot des mots entrechoqués s’enfle superbement. »
André Gide, auquel on demandait quel était selon lui le plus grand poète français, répondit : « Victor Hugo, hélas ! » et il est vrai que, par sa formidable production parsemée d’éclairs, le poète reste un géant de notre littérature malgré ses boursouflures. Mais, pour Léon Daudet qui le qualifiait de « pervertisseur d’intelligence », il incarnait le « stupide XIXe siècle » avec ses idées fausses et même « meurtrières » et son libéralisme bourgeois (« Le libéral est un homme qui vénère le Bon Dieu mais qui respecte le diable. Il aspire à l’ordre et il flatte l’anarchie. Cela dans tous les domaines, notamment l’intellectuel et le politique »). Bien qu’ayant peu d’atomes crochus avec L’Action française (3), Cousteau était en parfait accord avec Léon Daudet et notait : « Hugo exècre les religions traditionnelles. Il est “pour la religion contre les religions” »… mais il croit « aux tables tournantes et aux esprits frappeurs » ; pas n’importe lesquels, il est vrai, puisqu’il n’entretient commerce spirite qu’avec Jésus, Moïse, Mahomet, Shakespeare, Chénier et même le Lion d’Androclès. Excusez du peu !
Intelligence avec ennemis
On sait que Victor Hugo, pensionné par Louis XVIII, fait Immortel et Pair de France sous Louis-Philippe, député conservateur sous la IIe République, avait toujours été du côté du manche et qu’il ne commença à se déchaîner contre « Napoléon le Petit » que lorsque ce dernier lui eut refusé le ministère de l’Éducation nationale et, suprême outrage souligné par Jacques Perret, « négligé de le faire arrêter pendant la nuit du 2 décembre ».
Mais, ayant découvert dans un coin de la bibliothèque de Clairvaux un « énorme recueil […] contenant sous les trois titres Avant l’exil, Pendant l’exil, Après l’exil tous les discours subsidiaires du pontife » (discours, manifestes, messages), PAC en a tiré des passages « littéralement prodigieux », et surtout prodigieusement modernes, annonciateurs d’Aragon, de Sartre ou de Bernard-Henri Lévy. Apôtre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Hugo louange tous les révolutionnaires ; il est convaincu que la chute des monarchies, tyranniques par essence, et des colonialistes comme l’avènement de la démocratie du Cap à Varsovie instaureront une ère de paix universelle et rendront le XXe siècle « plus doux ». En attendant ces lendemains radieux, la Guerre de Crimée le met en transes car, quoi qu’il arrive, « c’est le despotisme qui s’écroule » : « Balaklava s’appelle Bérézina ; le petit N tombera comme le grand dans la Russie », vaticine-t-il le 4 janvier 1855. Même enthousiasme un mois plus tard : « Nous entendons en ce moment la France qui tombe avec le bruit que ferait la chute d’un cercueil ! […] La grande république, la république démocratique, sociale et libre rayonnera avant peu. »
La prédiction ne se réalise pas mais, heureusement, arrive la Guerre du Mexique. « Hommes de Puebla », écrit-il dans une ahurissante adresse de 1863, « Vous avez raison de me croire avec vous […]. Combattez ! Soyez terribles ! Vaillants hommes du Mexique, résistez ! […] L’empire échouera, je l’espère, dans sa tentative infâme et vous vaincrez ! »
Les Mexicains vainquent mais l’empire ne s’effondre pas. Hugo appelle donc de ses vœux « une révolution suprême et, peut-être, hélas, une guerre qui sera la dernière ». Celle-ci éclate en 1870 et, dans une Lettre aux soldats allemands, en date du 9 septembre (et que Cousteau reproduit intégralement), le prophète se fait conciliant :
« Cette guerre est finie, puisque l’empire est fini. Vous avez tué votre ennemi qui était le nôtre. Que voulez-vous de plus ? Vous venez prendre Paris de force ! Mais nous vous l’avons toujours offert avec amour. Ne faites pas fermer les portes par un peuple qui de tout temps vous a tendu les bras […] Nous continuerons d’être vos frères ; et vos blessés, savez-vous où nous les mettrons ? Dans le palais de la nation. […] Les Tuileries. Là sera l’ambulance de vos braves soldats prisonniers […]. Nous les traiterons royalement. »
Certes, une décade plus tard, Hugo appelle les Français à la résistance dans une envolée qui annonce celle du Chant des Partisans (« Ô francs-tireurs, allez, traversez les halliers, passez les torrents, profitez de l’ombre, […], rampez, ajustez, tirez, exterminez »). Mais cette exhortation n’avait-elle pas été précédée par deux décennies d’intelligence continue avec l’ennemi ? Nonobstant, Victor Hugo bénéficia en 1885 de funérailles nationales suivies par des millions de Français escortant le corbillard des morts que, fils de pub’ avant tout, il avait choisi pour rejoindre sa dernière demeure.
Cette Hugothérapie ne fut pas profitable au seul Cousteau. Libérant un rire salutaire, elle est aussi une efficace prévention contre l’intoxication médiatique.
Camille Galic
26/04/2015
Pierre-Antoine Cousteau, Hugothérapie, Ed. Via Romana, 09/04/2015, 286 pages, avec une Note aux lecteurs de Jean-Pierre Cousteau, fils de PAC, une correspondance avec Fernande Cousteau, une préface de Jacques Perret et une couverture de la dessinatrice Chard.
Une première édition de cet ouvrage a paru en 1954 aux Éditions Touristiques et littéraires (ETL).
Notes
- Du même auteur : Proust Digest, avec une longue préface de Lucien Rebatet, resté inédit jusqu’à sa publication chez Via Romana en 2013.
- PAC précise avoir relevé « soixante et onze espèces distinctes allant de l’infusoire à l’hippopotame » dans le roman L’Homme qui rit et donne en note le recensement de cette « faune métaphorique », les bons étant à douze reprises comparés à des lions, les méchants étant assimilés à des tigres (neuf fois), à des serpents et à des hyènes.
- Mais c’est la critique, aussi spirituelle que chaleureuse, que Jacques Perret rédigea pour Aspects de la France, successeur de l’AF, à l’occasion de la première publication de cet essai-pamphlet, qui sert de préface à la présente édition.
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