Le président de la République puis le premier ministre, dans leurs interventions respectives, ont formulé, s’agissant de la guerre en Ukraine, une position de la France d’une grande intransigeance au regard de la négociation engagée entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie. Cette position veut s’inscrire dans une politique qui serait celle de l’Union européenne à laquelle, de plus, le Royaume-Uni s’associerait. Au-delà, de la dénonciation de l’agression de la Fédération de Russie et de l’impérialisme dont fait preuve son président, le réquisitoire vise, en apparence, la volonté du nouveau président des Etats-Unis de parvenir rapidement à une paix négociée.
À l’origine, un incident diplomatique non une aggravation de la situation militaire
Bien sûr, s’il est pour le moins normal que les autorités françaises affichent une préoccupation majeure pour un conflit de haute intensité qui se déroule sur le sol européen et dont l’un des deux protagonistes est l’une des deux grandes puissances nucléaires de la planète, le ton par rapport au moment suscite quelques réflexions. Au premier degré, la situation est présentée comme alarmante comme si l’armée russe avait percé les défenses ukrainiennes et qu’elle pourrait maintenant menacer à bref délai d’autres Etats, impliquant l’organisation d’une riposte. En fait, exprimé du point de vue de la politique étrangère, le discours s’avère être, en la circonstance, une condamnation de la volonté du nouveau président des Etats-Unis de parvenir à un accord de paix dans un duo avec la Russie. Il lui est reproché de trahir une alliance en abandonnant l’Europe et de bafouer des valeurs morales. L’enchainement des déclarations de ces derniers jours fait suite à l’échange tendu entre les présidents Trump et Zelinsky, avec la présence active du vice-président des Etats-Unis, lors de la conférence de presse tenue le 28 février 2025 à la Maison Blanche. S’il est exceptionnel dans ce type de tractations qu’un différend soit publiquement affiché, de manière aussi brutale, entre les deux chefs des Etats parties prenantes, pour autant, sur le fond, aucun bouleversement n’était intervenu sur le plan militaire dans les jours qui précédaient. Le projet de Donald Trump d’engager des pourparlers de paix était connu de longue date, avant même son élection.
Des références historiques mal appropriées
Pour qualifier la menace, considérée comme inédite sur le sol européen depuis la capitulation allemande du 8 mai 1945, les références historiques aux années 1930 sont allées bon train. Vladimir Poutine s’apparenterait au maître du IIIè Reich. Après l’absorption de l’Ukraine, il pourrait avoir pour ambition de s’en prendre à ses voisins d’Europe centrale avant d’étendre sa domination sur le continent. C’est au moins par les comparaisons faites, le sous-entendu. En évitant toute digression morale sur la gradation dans le mal, force est de reconnaître que la comparaison historique avec les années 1930 est mal appropriée. Relativement, la Fédération de Russie de 2025 n’a pas la puissance de l’Allemagne de 1938 et le président russe n’a pas développé de doctrines s’apparentant à celle d’Hitler. D’une manière générale, les parallèles historiques entre des époques fort différentes dans l’environnement qui les constitue, les mentalités et le cadre des idées et des croyances, exigent la culture et le discernement qui permettent d’en montrer les limites.
Vladimir Poutine, un russe affligé par la chute de l’URSS et de la puissance perdue
Vladimir Poutine à une conception de l’exercice du pouvoir certainement fort distincte de celle qui prévaut dans les sociétés occidentales mais qu’il faut, sans l’excuser ni la justifier, situer dans un héritage historique où le pouvoir absolu a été la règle et que trois quarts de siècle d’un régime communiste, totalitaire n’ont, pour le moins, pas contribuer à en amender profondément la pratique. Le président de la Fédération de Russie est, à tout le moins, un nationaliste russe pour lequel le démembrement de l’URSS, héritière de l’empire des tsars et de l’espace qu’il dominait, a été vécu comme un insupportable effondrement. Cet empire s’étendait de la frontière occidentale de l’Ukraine aux rives du Pacifique, d’ouest en est, et de l’arctique au Caucase, du nord au sud. Nul ne peut affirmer ce que pourrait entreprendre ou pas, dans le futur, le président russe. Si, Vladimir Poutine a pour ambition de recouvrer une zone d’influence dans les limites de l’ancienne URSS, Hitler, conquérant, avait pour objectif d’accaparer un « espace vital » sur les terres de l’est, en particulier l’Ukraine, pour y implanter une population allemande se substituant à celle slave installée avant notre ère.
Les erreurs initiales de la politique étrangère américaine
Sans excuser en quoi que ce soit l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe en février 2022, il est nécessaire pour envisager les voies d’une résolution du conflit de comprendre la succession d’évènements intervenus depuis le démembrement de l’URSS en décembre 1991. A cet égard, un article de l’auteur de ces lignes avait été publié le 13 décembre 2023 par Polemia : Guerre en Ukraine : une histoire, une géopolitique. Il est bien certain que Le grand échiquier de Zbigniew Brzeziński, publié en 1997, ne reflétait pas le rapport de puissance à venir. La nouvelle Russie restait pour les Etats-Unis une préoccupation sinon un adversaire potentiel tandis qu’ils ouvraient la voie à l’adhésion de la Chine à l’OMC le 11 décembre 2001. Dans la lignée d’une fin de l’histoire, il y avait probablement l’illusion que cette intronisation économique et commerciale de l’empire du Milieu amènerait celui-ci à terme à se convertir aux valeurs défendues par l’Amérique. Il n’en fut rien.
La montée de la rivalité chinoise face à une Amérique empreinte de faiblesses économiques et financières
L’ascension économique de la Chine devenue progressivement l’atelier du monde depuis la fin du XXè siècle, développant des capacités techniques de premier ordre, a constitué un facteur de puissance que jamais, au niveau où il a été porté, l’URSS n’a pu atteindre dans sa rivalité avec les Etats-Unis. Face à ceux-ci, la Chine est devenue le compétiteur sinon l’antagoniste à même de les supplanter économiquement, les dégradant dans leur richesse et le niveau de vie de leur population. Avec le conflit ukrainien et les sanctions prises à l’encontre de la Russie, il s’est formé un « Sud global », certes hétérogène mais caractérisé par une hostilité à l’Occident. Si les Etats-Unis demeurent la première puissance économique, leur économie est fortement désindustrialisée depuis le dernier quart du XXè siècle et leur endettement public est colossal en valeur absolue comme en valeur relative par rapport au PIB (plus de 125 %). Dans ces conditions, le caractère du dollar comme monnaie de réserve internationale s’avère indispensable à l’Amérique. Au-delà de la forme prise par sa politique, c’est à cette situation que Donald Trump est confronté, situation prise en compte depuis Barack Obama. De son point de vue, le conflit ukrainien impose un coût géopolitique et financier inutile face au défi que représente la rivalité chinoise. Plus largement, raisonnant en termes financiers, le président américain considère que la contribution en termes de dépenses militaires des pays européens, au sein de l’Alliance atlantique, n’est pas en proportion de l’effort consenti par les Etats-Unis pour assurer la protection du Vieux continent.
Une position d’Emmanuel Macron qui interpelle
Si la défense des pays européens est effectivement une question primordiale dont dépend leur indépendance donc leur souveraineté, la manière dont elle est posée par Emmanuel Macron, en rapport avec les derniers évènements relatifs au conflit ukrainien, interpelle. Comme il a été précédemment indiqué, aucun bouleversement n’est intervenu dans la situation militaire et l’enjeu présent tient aux négociations qui s’engagent entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie. Pour une guerre, de haute intensité, qui se déroule sur le sol européen, il est à l’évidence regrettable qu’aucun pays européen ne soit une partie prenante des pourparlers et, bien sûr, en premier lieu la France. Aurait-ce été le cas au temps où le général De Gaulle présidait aux destinées du pays. Il est permis d’en douter. Dans les apparences qu’il présente, le président de la République procède comme si l’éventualité d’un accord de paix était un danger en elle-même. Il est certain aujourd’hui que même avec une aide militaire accrue, l’Ukraine ne pourra pas reconquérir les territoires perdus depuis 2014 et, même si la progression de l’armée russe est très lente, le risque d’une percée, certes limitée en importance est réel. L’Ukraine se trouverait alors dans une position plus défavorable. Si l’aide militaire américaine est réduite, les pays européens n’ont aucunement les moyens de la compenser. Cette aide ne saurait être que matérielle, l’engagement d’unités de combat étant exclu. Tout en condamnant la violation du droit international commise par la Fédération de Russie, il eut mieux valu qu’une diplomatie discrète soit engagée offrant un rôle à notre pays. L’agressivité affichée à l’encontre du président russe ne peut être qu’un facteur de marginalisation. Même si cela heurte, la politique étrangère ne serait se réduire à une affaire de morale. Pour autant, dans les rapports avec la Fédération de Russie, l’action que celle-ci mène à l’encontre de la France ne saurait être occultée : expulsion du Sahel par l’appui accordé aux gouvernements des Etats de la région, entreprises de déstabilisation dans les territoires d’outre-mer, cyberattaques sur le territoire. Guerre de l’ombre, cela nécessite, bien entendu, les réponses adaptées à ce type d’opérations.
Que peut être une politique européenne de défense ?
Quant à une politique de défense européenne, elle ne se définit pas dans l’immédiateté. Elle exige des moyens importants mais surtout une configuration. L’Europe n’étant ni un Etat, ni un peuple, l’échelon d’une direction au niveau de l’Union européenne n’aurait aucun sens. Il ne pourrait donc s’agir que d’une alliance entre Etats pour laquelle il faudrait définir les menaces et les moyens en rapport. Pour les premières, la Fédération de Russie est-elle appréhendée au même niveau par tous les partenaires de l’alliance potentielle, pour les autres y-aurait-il un accord sur ces menaces et, là encore, seraient-elles perçues au même degré de risque ? Pour les moyens, la première distinction, essentielle, tient à détention de la force nucléaire, d’une part, et ce qui est de l’ordre des moyens dits conventionnels, d’autre part. La force nucléaire, force de dissuasion absolue, ne peut relever que d’un Etat et de son chef. De plus, l’opportunité de son emploi en fonction du caractère de la menace ne saurait faire l’objet d’un affichage. Pour les moyens conventionnels, si des coopérations doivent être envisagées et certaines structures mises en place, là aussi, les menaces n’étant pas à l’identique pour chaque Etat, ceux-ci, tout en respectant le cadre d’une alliance, ces moyens doivent rester d’abord à la disposition de l’Etat. Par exemple, si nos territoires d’outre-mer encouraient la menace de puissances adverses, nos partenaires européens appréhenderaient-ils celle-ci, au à un même degré que la France. Le sujet demande donc du temps et de la réflexion.
La motivation qui peut être prêtée à Emmanuel Macron
Il est à craindre que le président ait voulu répondre à la fois à une considération idéologique, faire progresser l’idée européenne, au sens où il l’entend et, même si cela est nié, polariser l’opinion sur un risque majeur, la guerre, afin de rétablir sa position politique interne et d’affaiblir durablement une opposition dont l’hypothèse de l’accès aux responsabilités est sérieuse. Malheureusement pour le Président, les échéances électorales ne sont pas immédiates et l’émotion suscitée dans l’opinion risque d’être fugace. La réalité présente n’est pas celle d’une aggravation du conflit et de son extension mais une voie vers une solution diplomatique, certes avec tous les aléas qu’elle comporte. Par rapport à d’autres sujets de politique étrangère la même fermeté sera réclamée. Il est fort peu probable que les semaines passant, il soit possible de détourner l’attention des Français et de l’électeur à venir d’une situation intérieure politique, économique et en termes de sécurité, très dégradée, source d’instabilité et de contestation.
Michel Leblay
15/03/2025